L’Insee publie une première estimation de la perte d’activité économique française

L'Insee a dévoilé le 26 mars ses premières enquêtes de conjoncture durant cette période exceptionnelle. L'Institut fera le bilan national toutes les deux semaines pour évaluer la perte de l'activité des entreprises mais aussi celle de la consommation durant cette crise sanitaire, et surtout pour «mesurer le choc que connaît l'économie».

La perte d’activité économique est actuellement estimée à 35% par rapport à une situation dite «normale» mais l'industrie hors alimentaire enregistre une baisse de 52%. © industrieblick
La perte d’activité économique est actuellement estimée à 35% par rapport à une situation dite «normale» mais l'industrie hors alimentaire enregistre une baisse de 52%. © industrieblick

Au-delà de la grave crise sanitaire, c’est également une situation économique exceptionnelle que connaît le pays, et c’est aussi le cas pour l’Insee. Durant cette période, l’Institut publie des enquêtes de conjoncture inédites qui ont un seul objectif : mesurer la perte de l’activité économique. Un objectif dérisoire ? Jean-Luc Tavernier, le directeur général de l’Insee, répond : «Il me semble indispensable de mesurer le choc que connaît l’économie, indispensable aux décideurs, indispensable aux acteurs économiques. Et même si l’Institut de la statistique devait rester muet, d’autres avanceraient de toutes façons leurs estimations.»

Au milieu du mois de mars, l’Insee a annulé sa “Note de conjoncture” du mois de mars pour la remplacer par une évaluation de la situation économique, et ce, toutes les deux semaines. Un challenge pour l’Institut qui doit faire appel à différentes sources tant l’activité économique est différente et évolutive selon les secteurs et selon les territoires. Cette première enquête est spéciale puisque la moitié des données ont été collectées avant le confinement – et l’autre moitié pendant le confinement –, et ne permettent pas de mesurer la chute de l’activité, même si elles ont été, depuis, étayées par de nombreux acteurs économiques nationaux (Medef, la Banque de France, France industrie, etc.). Pour autant, Jean-Luc Tavernier affirme : «Nous pensons être en mesure de donner un ordre de grandeur de la perte d’activité instantanée, par rapport à une semaine normale, par rapport à ce que nous aurions pu attendre.»

À l’heure actuelle, l’Insee estime ainsi que l’activité est à environ à 65% de la normale et que la consommation totale des ménages français s’établit actuellement aussi à 65% de la normale, avec des différences sectorielles très marquées, soit une baisse de 35%.

Une lourde chute du climat des affaires

Le climat des affaires représente la plus forte baisse mensuelle de l’indicateur depuis 1980 : il perd 10 points et atteint 95 points. Pour comparaison, en octobre 2008, après la faillite de Lehman Brothers, l’indicateur avait chuté de 9 points. L’indicateur de climat de l’emploi connaît également sa plus forte chute depuis le début de la série (1991). Il perd 9 points et atteint 96. Du côté des secteurs, les indicateurs de climat des affaires se dégradent le plus fortement dans les services (-14 points) et dans le commerce de détail (-13 points). Ils se détériorent également dans le commerce de gros (-5 points) et dans l’industrie (-3 points).

Quant aux perspectives générales d’activité dans chaque secteur, elles sont jugées en nette baisse : les soldes d’opinion correspondants perdent 15 points dans les services, 25 points dans le commerce de détail, 33 points dans l’industrie et dans le commerce de gros. Le climat des affaires dans l’industrie du bâtiment apparaît, quant à lui, stable en mars. «Cela confirme que ces indicateurs sont à lire avec prudence ce mois-ci ; pour les raisons évoquées précédemment, ils reflètent sans doute l’opinion des chefs d’entreprise début mars plutôt que fin mars. De même, il est a priori difficile d’utiliser ces indicateurs pour des étalonnages visant à prévoir l’activité, compte tenu du caractère très brusque de la chute tout au long du mois de mars, chute dont les enquêtes de conjoncture n’ont sans doute capté qu’une partie», précise l’enquête.

Premières estimations de la perte d’activité

En général, la perte d’activité économique est actuellement estimée à 35% par rapport à une situation dite «normale». Du côté des secteurs, les chiffres sont à prendre selon des hypothèses. L’agriculture et les industries agroalimentaires enregistrent une baisse de 4% ; l’industrie hors alimentaire enregistre une baisse de 52% ; la construction, 89% ; les services marchands, 36% ; les services non marchands, 14%.

Par ailleurs, l’Insee estime que les activités agricoles devraient se poursuivre seulement un peu en deçà de la «normale» et les industries agroalimentaires seraient moins affectées que le reste de l’industrie. L’ensemble ne verrait son activité fléchir que légèrement. En revanche, compte tenu des remontées obtenues dans les différentes branches industrielles, seule la moitié de l’activité du reste de l’industrie serait maintenue.

Parmi les services marchands, certaines branches sont très sévèrement touchées (transports, hôtellerie, restauration, loisirs, etc.), tandis que d’autres «le sont sans doute beaucoup moins» (télécommunications, assurance, etc.). Par ailleurs, les versements de loyers immobiliers sont inertes et donc peu affectés à court terme pour la plupart. Les deux tiers de l’activité des services marchands seraient ainsi maintenus. Pour ces premières études, les résultats pour le secteur des services non marchands sont à relativiser. «Leur prise en compte en comptabilité nationale retient le plus souvent l’hypothèse d’une valorisation par leurs coûts de production, principalement salariaux, ce qui les rend très inertes par nature. Le recul de l’activité y est donc moins marqué, par convention», note l’Insee.

La consommation des ménages en baisse

L’agriculture et l’agroalimentaire sont les seuls secteurs à enregistrer une hausse de la consommation des ménages. © eldarnurkovic

Les études révèlent que la consommation des ménages enregistre une baisse de 35% se répartissant selon les secteurs : l’agriculture et l’agroalimentaire sont les seuls secteurs à enregistrer une hausse de la consommation des ménages (6%) – du fait du confinement et de la baisse de la consommation dans la restauration – ; l’industrie hors alimentaire enregistre une baisse de la consommation de 60% ; la construction, 90% ; les services marchands, 33% ; les services non marchands, 34%.

La plus forte contribution à cette baisse résulte de l’effondrement de la consommation de nombreux biens de l’industrie manufacturière (-60%), qui compte pour 18 points de cette baisse. Certaines dépenses de consommation se sont réduites au minimum, entre -100% et -90% (matériel de transport, textile, habillement). D’autres se maintiennent (électricité, eau), voire augmentent légèrement (industrie pharmaceutique, +5%).

Début avril, l’Insee tentera d’examiner l’évolution de ces estimations et d’apporter des éclairages sur la situation conjoncturelle de la France qui devrait être plus précise, car elle prendra en compte les données des entreprises durant le confinement.


Et le PIB ?

L’Insee estime qu’un confinement d’un mois aurait un impact de l’ordre d’une douzaine de points de PIB trimestriel en moins (soit 3 points de PIB annuel). «À partir de l’estimation de ces effets ‘instantanés’, il n’est pas aisé de déduire des prévisions trimestrielles ou annuelles d’évolution du PIB français, note l’Institut. L’évolution de la croissance du PIB est très étroitement liée au scénario de sortie de la crise sanitaire. Or l’Insee ne dispose pas de capacités de prévision à ce sujet. Les mesures de soutien aux ménages et aux entreprises visent à empêcher que ce choc brutal mais a priori temporaire ne laisse des cicatrices permanentes trop profondes. Mais il n’est pas exclu que le retour à la normale ne soit pas immédiat. Enfin, le comportement des agents économiques dépendra de leur confiance dans l’amélioration de la situation sanitaire et reste de ce fait très incertain.»