"L'inquiétude" de Régis Gourlet sur l'avenir du commissariat aux comptes
La Compagnie régionale des commissaires aux comptes et le Conseil régional de l'ordre des experts-comptables près la cour d'appel de Douai se retrouveront ensemble à la cinquième édition de Campus Experts, Une première qui, au-delà de la tenue de leur assemblée générale annuelle, permettra aux professionnels du chiffre de la région d'entendre leurs présidents nationaux débattre de l'actualité comptable et de leurs visions de la profession. Entretien avec Régis Gourlet, président de la CRCC.
La Gazette. CRCC et CROEC réunis à Campus Experts, pourquoi cette évolution ?
Régis Gourlet. Si la Compagnie régionale et le Conseil régional ont déjà organisé des manifestations communes sur des thématiques diverses, jusqu’ici Campus Experts était le seul fait du Conseil régional de l’ordre des experts-comptables. Mais le monde change et il faut se mettre à la place des confrères : de plus en plus de travail, de moins en moins de temps. Multiplier les manifestations devient compliqué, sans parler des motifs d’économies toujours sous-jacents. Sur la proposition d’Hubert Tondeur, président du CROEC, que nous avons acceptée, nous tiendrons notre assemblée générale annuelle à Campus Experts. Mieux : au vu de l’évolution des professions expert-comptable et commissaire aux comptes, nous avons souhaité organisé en intervention principale une table ronde avec les présidents du Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables, Philippe Arraou, et de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, Denis Lesprit.
Vous avez été reconduit à la présidence de la Compagnie régionale à l’unanimité en décembre. Quel est votre sentiment sur l’avenir du commissariat aux comptes ?
J’ai commis, à l’occasion de l’assemblée générale à venir, un éditorial un peu plus polémique et politique que de coutume pour montrer aux confrères que je suis un peu fâché et en colère pour eux.
Au niveau expertise, la profession connaît des évolutions métiers avec la dématérialisation, les obligations de Déclaration sociale nominative entre autres, qui obligent à d’importantes réorganisations de fonctionnement… Le commissariat aux comptes à la française a aussi ses sujets prégnants. Dans le cadre de la réforme européenne qui touche tous les cabinets et dont la transposition est en cours de discussion avec la Chancellerie pour une entrée en application au 17 juin 2016, il est ainsi une disposition qui concerne particulièrement ceux qui traitent des “entités d’intérêt public” – à savoir les entreprises dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé ainsi que les banques et les assurances. Non seulement la réforme prévoit des rotations pour les cabinets titulaires, mais surtout elle impose une rotation tous les sept ans des signataires. Cette dernière obligation est pour moi anticoncurrentielle. Si les cabinets d’une certaine taille ont une multiplicité de signataires, les commissaires aux comptes qui exercent en BNC de façon individuelle et libérale ne pourront plus prétendre aux EIP faute de pouvoir assurer ces rotations de signatures. Cette disposition crée une discordance entre les mandats exercés par une personne morale à signatures multiples et ceux exercés par un individuel.
Si cette disposition peut se concevoir pour les sociétés importantes, elle s’impose aussi aux petites mutuelles qui sont aussi des EIP et qui, demain, devront se priver des petits cabinets de proximité. S’agissant d’un règlement européen, la réforme n’est pas discutable et s’applique d’office. Mais une fois transposée dans la loi française, le conseil de la concurrence pourra être saisi pour distorsion de concurrence.
Les obligations faites aux petites mutuelles prévoient aussi un renforcement des pouvoirs du comité d’audit, notamment sur le choix du commissaire aux comptes avec obligation de présenter à l’assemblée générale plusieurs noms avec une préférence à donner sur celui qu’il pense devoir recommander. L’assemblée générale peut certes ne pas suivre cet avis, mais doit alors justifier sa décision. Donner aux comités d’audit ce pouvoir, c’est aller contre la souveraineté de l’assemblée générale ! Autre sujet prégnant dont ces entreprises ne sont pas informées à ce jour, les sanctions qui, de disciplinaires, devraient devenir aussi pécuniaires, tant pour le commissaire aux comptes que pour les administrateurs de ces sociétés et les comités d’audit.
Quant aux relations avec notre régulateur qu’est le H3C, la Chancellerie examine actuellement un renforcement de ses pouvoirs en matière disciplinaire. Aujourd’hui les dossiers de manquement à la qualité sont jugés par une chambre de discipline à l’échelon régional avec un syndic, désigné par la Compagnie régionale, qui instruit les dossiers. Demain, ce sera peut-être le H3C qui va reprendre la totalité de la discipline pour, dit-on, désengorger les tribunaux… Déjà que la Compagnie nationale ne peut plus siéger au H3C car elle ne peut pas être juge et partie ! On peut craindre que demain les magistrats qui enquêtent sur le travail des commissaires aux comptes n’en connaissent pas toutes les subtilités et n’exercent un contrôle strict de la cinquantaine de normes qui s’imposent à eux. Il est aussi envisagé de confier au H3C la gestion du tableau, inscriptions, radiations, modifications, mais aussi la vérification du bon respect des obligations de formation. Contrôle de qualité, discipline, tableau, formation, que restera-t-il à la CRCC ? Certes, rien n’est décidé, tout est en débat, mais la profession a de quoi être fortement inquiète !
Et pourtant le commissariat aux comptes a bien une utilité ?…
Que ce soit à Bercy ou à la Chancellerie, on ne cesse de nous dire que le commissaire aux comptes est créateur de confiance et je pense que l’économie a bien besoin de cette confiance pour redémarrer. À l’inverse de l’expert-comptable, le commissaire aux comptes a un pouvoir contraignant vis-à-vis du chef d’entreprise défaillant avec son devoir de révélation de faits délictueux. De même, dans le cas d’une entreprise en difficulté, il peut obliger le chef d’entreprise à réagir de façon factuelle et pragmatique via le déclenchement de la procédure d’alerte. On ne cesse de nous dire que le commissaire aux comptes est indispensable, qu’il est sécurisant pour l’économie, pour la fiscalité, mais dans le même temps on ne cesse de nous enlever du métier. La directive comptable n’a-t-elle pas relevé les seuils d’obligation du commissariat aux comptes pour les entreprises obligées de présenter des comptes consolidées ? Ce sont 600 mandats de comptes consolidés qui ont disparu. Il y a un discours par devant : «vous êtes beaux, utiles», et par derrière l’impression que les textes vont à l’encontre de ce discours. D’où ma colère, mon énervement et ma question : que souhaite-t-on faire du commissariat aux comptes aujourd’hui ? Effectivement, nous avons obtenu de nouvelles missions, les comités d’entreprise, les syndicats, la RSE, mais aujourd’hui, dans les faits, j’ai besoin et les commissaires aux comptes ont besoin d’une vision à plus long terme.
Veut-on conserver la création de confiance, la protection économique, la protection fiscale qui est en place en France ? Il n’y a pas eu d’affaires Enron en France. Le commissariat aux comptes n’a pas fait défaut, il n’a rien à se reprocher et travaille correctement. Ce que je constate au niveau de la Compagnie de Douai, c’est une augmentation du nombre des radiations de confrères, fatigués des obligations de formation, des contrôles qualité, des nouvelles normes. On est en train de tuer la France par une surlégislation, par une surorganisation réglementaire du métier. La profession est dans un carcan d’interventions qui l’empêche d’être intelligente.
Je suis inquiet pour l’avenir de la profession, mais intimement convaincu qu’elle est de plus en plus nécessaire.
Au programme de Campus Experts
Jeudi 15 octobre
8h30-10h et 10h30-12h : formations
13h30-14h30 : assemblée générale de la CRCC
14h45-16h15 : formations
16h30-17h30 : table ronde avec les présidents de la CNCC, Denis Lesprit, et du CSOEC, Philippe Arraou
18h-19h : assemblée générale du CROEC
Vendredi 16 octobre
9h-10h30, 11h30-13h et 14h30-16h : formations
Les formations homologables : actualités fiscales, actualités sociales, actualités de l’audit des associations, actualités comptables, actualités des TUP, fusion et regroupement, Sidonie, la table ronde des présidents.
Le commissariat aux comptes dans la région
− 572 personnes physiques, en baisse
− 248 personnes morales, en hausse
− un total de 308 cabinets,
− 510 stagiaires
− 10 858 mandats, chiffre stable, dont 113 mandats EIP