Conjoncture

Recrutement : les paradoxes ont la vie dure...

Recherche collaborateurs presque désespérément ! Si cet état de fait demeurait présent il y a encore quelques mois, la tendance pourrait bien s’inverser rapidement. Certaines enquêtes régionales assurent que le taux de postes non pourvus, qui a connu une hausse significative depuis 2021, a commencé à redescendre à la fin de 2023. Le ralentissement de l’activité dans certains secteurs apparaît y être pour beaucoup. En novembre dernier, l’Insee dans ses sondages de conjoncture stipulait que les dirigeants d’entreprises avançaient avec prudence au niveau des recrutements. Entre incertitude permanente sur l’évolution conjoncturelle et une pénurie de compétences certaine dans bon nombre de secteur, la planète Recrutement doit faire face à une mini (r)évolution.

Le chômage stagne dans la région et paradoxalement les difficultés de recrutement continuent de persister. Cherchez l’erreur...
Le chômage stagne dans la région et paradoxalement les difficultés de recrutement continuent de persister. Cherchez l’erreur...

Situation paradoxale ! D’un côté des difficultés de recrutement jugées toujours présentes pour la grande majorité des entreprises et de l’autre un marché de l’emploi dans la région qui continue de fléchir. 

Dans sa dernière livraison conjoncturelle de mi-janvier , l'Insee stipulait : «qu'au 3e trimestre 2023, le chômage continue d’augmenter dans le Grand Est. Son taux s’établit à 7,4 % de la population active, comme au niveau national. Le taux de chômage augmente dans tous les départements de la région. Il progresse fortement dans les Ardennes et dans l’Aube atteignant respectivement 9,9 et 9,8 %. Le taux de chômage s’accroît ou stagne dans toutes les zones d’emploi de la région. La hausse est importante à Charleville-Mézières et Sedan, ainsi qu’à Bar-le-Duc et Mulhouse. Il est quasi stable dans les zones d’emploi de Saint-Avold, Saint-Dié-des-Vosges, Verdun et Épernay. Il demeure inférieur à 5 % dans les zones de Sélestat, Haguenau et Épernay», note l’Insee. 

Du côté de l’emploi salarié, une perte de 3 300 emplois a été enregistrée dans la région au 3e trimestre 2023. L’emploi privé intérim stagne avec une évolution de – 0,1 %. Le Grand Est est la région où l’emploi salarié baisse le plus et la quasi-totalité des secteurs est concernée.


Contraction de l’emploi

«L’emploi salarié stagne dans le secteur industriel et recule au 3e trimestre 2023 dans la construction (- 0,4 %). Dans le tertiaire non marchand, l’emploi diminue également (- 0,3 %) contrairement à la tendance nationale (+ 0,2 %). Dans le tertiaire marchand, les emplois augmentent de 0,2 % comparés au trimestre précédent. L’hébergement et la restauration demeurent dynamiques avec une forte progression de l’emploi (+ 0,9 % soit près de 800 emplois supplémentaires). À l’inverse, les activités immobilières continuent de plonger (- 0,9 % sur le trimestre et - 1,6 % sur un an). L’emploi intérimaire continue de baisser au 3e trimestre 2023, avec une diminution de 2,6 %.» 

Au niveau départemental, le repli de l’emploi salarié est particulièrement fort en Haute-Marne et en Moselle (- 0,6 % et - 0,5 %). L’emploi progresse seulement en Meurthe-et-Moselle (+ 0,2 %) et stagne dans la Meuse, le Bas-Rhin et les Vosges. Au final une dynamique de l’emploi loin d’être active malgré les derniers chiffres de la DR France Travail Grand Est, paru fin de semaine dernière, mentionnant une baisse de 1 % au 4e trimestre du nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A. 

Dans son enquête : «Métiers 2030 : quelles perspectives de recrutement en région», la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques), parue l’an passé mentionnait qu’à cet horizon : «le Grand Est serait l’une des deux régions les moins dynamiques avec une contraction de l’emploi de 1 % dans les décennies à venir.»


Question de compétences

Les chiffres actuels, semblent bien aller dans le même sens et laisser présager une pénurie certaine de compétences. À cette donne, vous ajoutez une démographie en berne et une part des seniors qui vont partir à la retraite supérieure à la moyenne nationale, l’électrocardiogramme en termes de compétences nécessaires pour faire tourner la machine économique pourrait être dans l’avenir bien plat. Une recherche de compétences rendue, semble-t-il, délicate du fait d’une certaine volatilité des candidats et à de nouveaux codes et aspirations apparus depuis ces trois dernières années. 

«La donne a changé. Il y a un avant et un après Covid-19. L’attractivité de l’entreprise est l’un des principaux enjeux pour les recruteurs. Il faut s’approprier ces nouvelles réalités du recrutement. Il faut travailler sur la culture de l’entreprise, l’intégration dans l’entreprise. Il est nécessaire de se réinterroger sur la manière de faire les choses. La fonction managériale est en pleine mutation. Les collaborateurs, tout comme les futures recrues, recherchent une véritable relation avec leur manager. Pour les recruteurs, la problématique est beaucoup plus profonde, ce sont l’ensemble des codes, de nos références qui ont changé», assure Frédéric Lemoine, le président de l’ANDRH (Association nationale des directeurs de ressources humaines) Lorraine Centre.


Rééquilibrage des forces

Quête de sens, aspiration à un travail hybride et à un télétravail qui se veut devenir la norme, des prétentions salariales qui pour certaines catégories de collaborateurs avec en première ligne les cadres frôlant le surréalisme, les codes traditionnels de recrutement ont littéralement volé en éclat. Du moins, c’est ce que l’on pourrait croire car le vent semble aujourd’hui tourner. Dans sa récente étude de rémunération des cadres, le cabinet Robert Walters dans ses perspectives pour l’année en cours sent frémir un changement de paradigme. 

«Si les recrutements ont tendance à se complexifier, ils se poursuivent tout de même avec des candidats volatiles, qui postulent au maximum d’offres éligibles. Marqués par les augmentations exceptionnelles reçues l’année dernière, ils restent en veille permanente pour ne pas risquer de passer à côté d’une belle opportunité», constate le cabinet Robert Walters. 

Dans le genre mercenaire, difficile de faire mieux. Tout n’a qu’un temps ! «En 2024, les candidats qui se disperseront dans une démarche opportuniste seront mal perçus par les entreprises, qui ne seront plus prêtes à tout pour recruter. Elles poseront leurs limites et attendront des candidats un réel projet professionnel.» Un genre de rééquilibrage des forces semble donc bien s’opérer, ou pas....

Seniors : la carte à abattre, sur le papier

Abattre la carte des seniors dans l’entreprise ! Histoire de faire face aux difficultés de recrutement, cette alternative est souvent mise en avant. L’ANDRH (Association nationale des directeurs de ressources humaines) milite d’ailleurs pour l’instauration d’un plan «un senior, une solution» sur le modèle du plan «un jeune, une solution». L’Apec (Agence pour l’emploi des cadres) a mené une vaste campagne de communication choc sur les atouts de cette typologie de collaborateurs pouvant être un plus pour l’entreprise. Reste que dans la pratique, les choses semblent être bien différentes. Dans une récente enquête sur le sujet, Grant Alexander, groupe de conseil et services RH, assure que 75 % des DRH préfèrent des candidats plus jeunes et 68 % filtrent les seniors. Plus de la moitié des recruteurs (45 %) admet avoir reçu l’instruction de privilégier les candidats plus jeunes et un tiers (32 %) avoue avoir écarté des candidatures seniors sur demande de leur direction. Une donne confirmée par une autre enquête sur le sujet réalisé par le cabinet Robert Walters où l’on apprend que 66 % des cadres estiment que les seniors sont exclus des CV. En première ligne de cette mise à l’écart directe : la rémunération. Elle est jugée trop élevée chez les seniors. «Il est intéressant de noter que si la rémunération est régulièrement citée par les cadres comme critère de motivation dans l’entreprise, les seniors évoquent avant tout l’envie d’évoluer, la flexibilité et le management», explique Aude Boudaud, associate director du cabinet Robert Walters. Du côté des seniors, 36 % des cadres de plus de 50 ans estiment que les changements doivent être opérés par les organisations en priorité, et que la vision des recruteurs doit évoluer.

Vers un service RH mutualisé pour les TPE dans la région

90 % des TPE rencontrent des difficultés de recrutement ! Constat établi notamment par le CPME Grand Est. «La gestion des compétences est primordiale mais très délicate à mettre en œuvre au sein d’une petite structure», assure Stéphane Heit, son président. À l’aube de la mise en place d’un nouveau Pacte de vie au travail (dont les négociations devraient aboutir à la fin mars), la CPME Grand Est devrait travailler avec la Région pour mettre en place un service RH mutualisé «permettant aux TPE d’avoir des solutions pratiques pour mettre en œuvre une véritable stratégie de gestion des compétences.»

Formation continue : plus qu’une alternative

Face à la difficulté de recruter en externe, bon nombre d’entreprises entendent abattre de la formation en interne pour pourvoir certains postes. «Investir dans le développement des compétences internes des employés revêt une importance stratégique. Dans un contexte de transformations rapides et de technologies évoluant à grande vitesse, la formation continue est essentielle pour maintenir l’entreprise à la pointe de l’innovation et de la compétitivité», assure un cabinet de conseil. «Cet investissement se traduit par des collaborateurs plus compétents, plus engagés et mieux préparés aux défis futurs assurant ainsi la pérennité de l’entreprise dans un paysage économique en constante mutation.»