Les notaires appellent à une cohérence collective avec l’Etat

Loi de croissance, droit privé international, création d’offices, tarifs… les notaires, réunis à Bruxelles pour leur 115e congrès national, ont interpellé l’Etat, prônant davantage de concertation afin de reconstruire un modèle de régulation, basé sur l’«équité» et la «justice».

  «La loi Croissance nous a rappelé que rien n’était acquis», a rappelé Jean-François Humbert, président du Conseil supérieur du notariat. © Tim Fox
«La loi Croissance nous a rappelé que rien n’était acquis», a rappelé Jean-François Humbert, président du Conseil supérieur du notariat. © Tim Fox

Si le thème principal de ce 115e Congrès – qui, pour la première fois, s’est déroulé en dehors des frontières – était consacré à l’international, Jean-François Humbert, président du Conseil supérieur du notariat (CSN), lors de la séance solennelle d’ouverture, n’a pas manqué de rappeler les défis que doit relever la profession. Et près de quatre ans après la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques de 2015 (dite loi Macron), le moins que l’on puisse dire, c’est que la profession a des revendications et espère vivement un dialogue constructif avec l’Etat. «Certains imaginaient que la loi Croissance apporterait la démonstration d’une sclérose de notre profession, incapable de se renouveler (…). Si elle a créé beaucoup d’inconfort et si elle est toujours source d’inquiétudes, si les tirages au sort se déroulent selon des procédés archaïques, la loi Croissance nous a rappelé que rien n’était acquis», a débuté le président. Alors que la profession compte près de 14 000 notaires au sein de 6 700 offices – contre 9 500 professionnels et 4 500 études en 2014 –, Jean-François Humbert reste cependant prudent : «L’arrêté du 3 décembre 2018, qui prévoit l’installation de 733 notaires supplémentaires après plus de 1 600 dans une première vague, n’aurait pas dû être adopté avec cet empressement. Rien ne prescrivait de se précipiter dans cette deuxième vague de créations.» S’il en appelle au Conseil d’Etat à se prononcer sur le recours que le CSN a déposé, il souligne tout de même que la profession reste solidaire en continuant d’accueillir les nouveaux confrères «qui ne sont pas responsables des erreurs en chaîne à l’adoption de l’arrêté interministériel du 3 décembre.»

«Nous réclamons justice et cohérence»

«La procédure devant l’Autorité de concurrence pourrait être améliorée», a concédé Thomas Andrieu, directeur des Affaires civiles et du Sceau.

«Le notariat aura beau faire œuvre d’intelligence collective et de bonne volonté, il ne peut pas, il ne pourra pas continuer à œuvrer de manière positive si l’Etat n’y aide pas», a poursuivi le président, en réclamant justice et équité sur trois points : le premier, sur «la correction des déséquilibres qui caractérisent les pouvoirs de l’Autorité de la concurrence dans l’exercice de la mission qui lui a été conférée par la loi de croissance». Et c’est sur un aspect purement technique que Jean-François Humbert interpelle l’Etat : «Le CSN ou les chambres ou les notaires n’ont aucune des protections dont jouiraient des entreprises dans le domaine d’application du droit de la concurrence». La profession demande donc des modifications législatives : que les avis de l’Autorité ne soient plus publics et que les garanties de procédure lui soient accordées. Le deuxième point concerne l’écrêtement, dont l’impact a représenté plus de 5% du chiffre d’affaires pour près de 500 offices, et plus de 10% pour près de 100. Jean-François Humbert demande donc à la ministre de la Justice que le champ des bénéficiaires de l’écrêtement soit «corrigé» car jugé «incompréhensible» et «pas acceptable». Enfin, la dernière requête porte sur les tarifs : «Je formule le vœu que l’on nous épargne un système absurde d’analyse au microscope de nos comptabilités, aussi bien qu’un système hyper administré», préconisant une «péréquation à l’intérieur des études entre différentes catégories d’actes, et une péréquation entre les études à travers les budgets des instances de la profession, financées sur cotisations». Alors qu’une révision des tarifs est annoncée en février 2020, le président du CSN craint que la profession n’ait plus les moyens «d’une quelconque péréquation». Si la ministre de la Justice, garde des Sceaux, Nicole Belloubet, retenue par un Conseil des ministres, n’a finalement pas pu être présente pour répondre à ces requêtes, Thomas Andrieu, directeur des Affaires civiles et du Sceau, se devait d’apporter des réponses à l’auditoire. «Au 1er février 2019, nous avons enregistré 23 400 candidatures. La profession est attractive et il faut s’en féliciter, c’est une force. La loi Macron a certes changé la donne et la profession est en pleine transformation sociale. Je sais l’inquiétude que cela suscite. La procédure devant l’Autorité de concurrence pourrait être améliorée, plus collaborative. Discutons-en avec le ministère de l’Economie.» Thomas Andrieu a semblé approuver l’idée d’une «convention qui rassemblerait l’ensemble des relations qu’ont les notaires avec l’Etat», mesure portée par le CSN.

«Je formule le vœu que l’on nous épargne un système absurde d’analyse au microscope de nos comptabilités»

Former les nouveaux
confrères

«Nous avons la responsabilité de former les jeunes qui exerceront jusqu’en 2060», rappelle Jean-François Humbert. Et c’est un important chantier de modernisation de la formation initiale qui a été entrepris par la profession, notamment grâce au décret du 25 juillet 2018, à l’origine de la création de l’Institut national des formations notariales, pour travailler notamment sur la rénovation des filières de formation. «Je remettrai dans les prochains mois, à la ministre de la Justice, une demande de modification du décret qui définit le contenu de la formation aux futurs notaires, afin de l’adapter aux besoins et aux exigences de notre époque.»

Faire œuvre de
cohérence collective

En avril dernier, la profession a mis en place différents mécanismes de soutien et de compensation, à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros, au profit des études les moins robustes. Mais Jean-François Humbert insiste : «On ne peut pas demander de soutenir les études confrontées à un contexte difficile pour maintenir le maillage territorial et les 7 000 points d’accès au droit que nous représentons, et menacer de baisser le tarif en 2020 (…). Il est urgent, qu’avec les services de l’Etat, nous fassions œuvre de cohérence collective.» Et de rappeler les efforts consentis par la profession, notamment en ce qui concerne les premières étapes franchies du projet ANF (accès des notaires au fichier immobilier). «Nous sommes prêts à nous engager sur le long terme pour exercer des responsabilités plus étendues dans la gestion même de la publicité foncière (…), mais nous ne pouvons pas le faire sans visibilité.»