Les fils vont casser

Les dentelliers de Calais vont mal. Le 8 décembre dernier, Codentel se plaçait sous la protection du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer. Un redressement judiciaire de six mois lui a été octroyé. Dans deux mois, les juges diront si l'affaire est viable ou non.

De gauche à droite, Claude Antrope, actionnaire, Isabelle Ravisse, commerciale et Antoine Poitau, actionnaire de Codentel.
De gauche à droite, Claude Antrope, actionnaire, Isabelle Ravisse, commerciale et Antoine Poitau, actionnaire de Codentel.
D.R.

De gauche à droite, Claude Antrope, actionnaire, Isabelle Ravisse, commerciale et Antoine Poitau, actionnaire de Codentel.

Pour l’un, ce sont les tracasseries de la reprise qui continuent de le plomber (des salariés non repris qui s’efforcent depuis trois ans de se faire réintégrer). Pour l’autre, c’est la production qui pose problème et fait fuir les clients. Pour le troisième, ce sont les prix qui ne permettent plus d’assurer les coûts fixes. Enfin, pour le dernier, c’est le château en Espagne qui lui fait peut-être perdre la boussole : Noyon, le plus gros fabricant de dentelle à Calais, a acquis en novembre dernier Central Encajera, dernier dentellier espagnol placé en redressement judiciaire, situé à Barcelone et spécialisé dans la production de mantilles (20 métiers, 42 salariés). Mais sa situation est très critique : plus de collections, plus vraiment de clients, des fournisseurs qui ont fui… et 30 salariés à reprendre. Même pour quelques dizaines de milliers d’euros, l’affaire n’est au final pas rentable. En difficulté en France depuis plus d’une décennie, Noyon a-t-il les moyens de se lancer dans cette aventure ? Mais Central Encajera possède 20 métiers Leavers, dont des “fins point”, devenus rares aujourd’hui. : “il serait dommage de voir disparaître ce patrimoine“, s’est défendu Olivier Noyon. Si son entreprise a vu son chiffre d’affaires grimper de 7% fin 2014, il n’en a pas moins perdu de l’argent. Cette année, le dentellier devrait perdre entre 10 et 15% de son activité en 2015.

Codentel à la peine..Chez Codentel, la situation est dramatique. Avec moins de 3 millions d’euros de chiffre d’affaires et des clients toujours prompts à serrer les prix, Franck Duhamel a vu la situation se détériorer pour l’entreprise. Symbole inquiétant, la production de la “roue de vélo”, dessin qui orne la lingerie de Chantelle depuis plus de 40 ans, s’est arrêtée cet été. Le prix n’ayant plus augmenté depuis des années, Codentel vendait à perte… Le redressement promet d’être complexe avec un gérant qui semble maîtriser très peu des actifs réels de l’entreprise et les deux anciens propriétaires (Antoine Poitau et Catherine Auber-Antrope, fille du fabricant Auber) qui ne perçoivent plus les loyers relatifs aux métiers Leavers. Après avoir fait fabriquer chez Desseilles, Codentel a confié l’essentiel de sa production à Noyon. Ce dernier se positionnera-t-il pour une reprise afin de conserver les clients ? À voir… Codentel est le fruit de la fusion de Peters & Perrin et d’Auber, opérée dans les années 70. Cette première tentative de mutualisation, dans un monde feutré, hyper-concurrentiel, et de montée en surface de production avait permis à ces fabricants de survivre et de vivre de bonnes années sur des marchés très ciblés, comme la petite bande de dentelle. Son teinturier, Color Biotech, commence sérieusement à craindre le passif de Codentel qui y fait de l’escompte. Les actionnaires caudrésiens de Color Biotech ont là une carte à jouer.

Caudry en embuscade. À Caudry, les dentelliers (en meilleure santé que les Calaisiens) attendent leur heure tout en plaçant leurs pièces : Romain Lescroart, dirigeant de Sophie Hallette, a pris la présidence du groupe Calais dentelle, longtemps dévolue à Noyon. Puis celle de la Fédération des dentelles et broderies, propriétaire du label “Dentelle de Calais“, devenu “Dentelle de Calais et de Caudry“. La place de Caudry sera-t-elle la roue de secours des Calaisiens dans les prochains mois ? Le sort de Codentel (et de ses sociétés satellites) donnera bientôt des indications. La situation chez Noyon orientera aussi le jeu de recomposition d’un secteur de niche qui fait briller les stars tout en étant en pleine restructuration. À suivre…

Morgan RAILANE