Les avocats picards inquiets mais déterminés

A l’occasion de la réunion trimestrielle de la conférence régionale des bâtonniers de Picardie, les représentants des avocats picards ont exprimé leurs inquiétudes sur la prochaine réforme de “La justice du XXIe siècle”.

Accueillie par le bâtonnier de Beauvais Jean-François de La Servette (à d.) la Conférence régionale des bâtonniers de Picardie et son président Pierre Lombard dénoncent une concertation insuffisante autour de la réforme “La justice du XXIe siècle”.
Accueillie par le bâtonnier de Beauvais Jean-François de La Servette (à d.) la Conférence régionale des bâtonniers de Picardie et son président Pierre Lombard dénoncent une concertation insuffisante autour de la réforme “La justice du XXIe siècle”.

Quand on entame une réforme, la première chose à faire, c’est de tirer des enseignements de la précédente », estimait Pierre Lombard, président de la Conférence régionale des bâtonniers de Picardie, réunie au Palais de justice de Beauvais mi-avril. « Or, ce qu’on nous propose aujourd’hui, c’est la réforme Dati, en pire… » Les bâtonniers des sept barreaux de Picardie ou leurs représentants, défendant les intérêts des quelque 600 avocats d’Amiens, Beauvais, Compiègne, Laon, Saint-Quentin, Senlis et Soissons, l’annoncent sans ménagement : ils ne laisseront pas le tissu judiciaire se détériorer sans réagir.

Aide juridictionnelle en baisse

Accueillie par le bâtonnier de Beauvais Jean-François de La Servette (à d.) la Conférence régionale des bâtonniers de Picardie et son président Pierre Lombard dénoncent une concertation insuffisante autour de la réforme “La justice du XXIe siècle”.

Accueillie par le bâtonnier de Beauvais Jean-François de La Servette (à d.) la Conférence régionale des bâtonniers de Picardie et son président Pierre Lombard dénoncent une concertation insuffisante autour de la réforme “La justice du XXIe siècle”.

Leur premier sujet d’inquiétude concerne la baisse du budget alloué à l’aide juridictionnelle : « Entre 2012 et 2013, le budget de la justice a augmenté de 5,5%, passant de 7,3 à 7,7 milliards d’euros ; c’est tant mieux, même si la France reste à la dernière place des pays de l’OCDE en budget par habitant. Mais parmi toutes les augmentations, un seul poste baisse, c’est celui de l’aide juridictionnelle, qui passe de 350 à 320 millions d’euros », soulève Pierre Lombard. Concrètement, la grille tarifaire appliquée aux avocats qui défendent des justiciables les plus démunis ne couvre pas, et de loin, la prestation effectuée. « En fait, c’est nous, les avocats, qui finançons l’aide juridictionnelle, ce qui est à peu près possible pour des cabinets importants, mais que les petits cabinets ne peuvent pas supporter financièrement », dénonce Muriel Bellier, ancien bâtonnier de Compiègne.

Vers des zones de non-droit ?
Mais c’est le projet de réforme dit “La justice du XXIe siècle” porté par la Garde des sceaux qui alarme le plus les avocats. Après la fermeture de 23 tribunaux de Grande instance sur tout le territoire national entre 2008 et 2012, entraînant la suppression de 80 postes de magistrats et 428 postes de fonctionnaires, le projet de supprimer tous les tribunaux comptant moins de 20 magistrats a de quoi les inquiéter. « En Picardie, nous avons jusqu’ici conservé in extremis nos trois tribunaux dans l’Oise et trois dans l’Aisne. Si cette mesure est appliquée, il n’y aura plus qu’un tribunal dans chaque département, comme c’est actuellement le cas dans la Somme : et on voit bien les problèmes que cela pose : allongement des délais et baisse considérable d’activité, allant jusqu’à 30% dans certains cas », constatent les Bâtonniers. Trop éloignés des tribunaux, les justiciables renonceraient selon eux à faire valoir leurs droits, se présenteraient de moins en moins aux audiences où les jugements sont rendus par défaut. « Plus on éloigne les juridictions, plus on diminue les recours », résume Pierre Lombard. Et on peut craindre de voir apparaître des zones de non-droit, où des personnes, se sentant trop éloignées de l’appareil judiciaire, pourraient être tentées de se faire justice elles-mêmes… « Notre profession n’est pas hostile à certaines réformes, par exemple celle de la procédure de divorce ; d’ailleurs, le Conseil national des barreaux vient d’éditer un Livre blanc rassemblant 44 propositions pour une justice simplifiée, négociée, dématérialisée et accessible à tous, reprend le président, mais nous serons intraitables sur le maintien des tribunaux de proximité. » Et les avocats se déclarent prêts à aller jusqu’à la grève pour faire entendre leur voix : comme les magistrats, comme les greffiers, qui eux aussi se mobilisent face à un climat jugé « délétère », et même « risquant de devenir explosif ».