Le transmanche s'habitue aux migrants

C’est une actualité brûlante qui a duré tout l’été et qui est appelée à s’éterniser. La présence d’un millier de migrants dans la région (5 000, 6 000, 7 000 ?), et plus particulièrement sur la Côte d’Opale (4 000 dans le Calaisis et quelques centaines dans le Dunkerquois), mobilise les pouvoirs publics, soucieux des répercussions sur le trafic maritime et ferroviaire. Depuis juin dernier, le port de Calais et le site du tunnel sous la Manche ont été victimes de sérieux dysfonctionnements ayant entraîné des arrêts complets (quoique limités dans le temps) du trafic. La pointe côtière de la région constituant le conduit par où transitent les deux tiers des marchandises et des personnes entrant en Grande-Bretagne, le problème est rapidement devenu européen. La récurrente actualité en Méditerranée a fait prendre conscience aux autorités françaises qu’il fallait saisir à bras-le-corps le phénomène migratoire. Ainsi, Bernard Cazeneuve et son homologue britannique Théresa May se sont rendus dans le Calaisis : sous une pluie fine, les ministres ont tenu des propos rassurants devant les forces de l’ordre sur le site d’Eurotunnel. «Nous mettons des moyens très importants pour sécuriser le transmanche : 1 300 policiers sont mobilisés à ce jour devant un problème extrêmement complexe», a expliqué Bernard Cazeneuve. Les deux ministres ont signé une déclaration commune censée démontrer la coopération entre les deux États. Celle-ci s’inscrit dans une problématique européenne avec plus de 350 000 migrants entrés en Europe depuis le début de l’année. «Si Calais ne concentre qu’une petite part des flux migratoires qui arrivent en Europe, une action ferme et coordonnée de la part de nos deux pays est cependant rendue nécessaire par la présence sur place de milliers de personnes souhaitant gagner le Royaume-Uni, souvent au péril de leur vie» lit-on dans la déclaration.

Des projets soutenus pour dédommager le Calaisis. Cette «petite part» n’est cependant pas du goût des élus locaux qui, Natacha Bouchart en tête, réclament des dédommagements financiers pour les préjudices qu’ils estiment causés directement par les migrants. «Huntsmann-Tioxide quitte Calais à cause des migrants» s’insurge la sénatrice-maire de Calais : l’Agglomération a prêté un demi-million d’euros il y a trois ans pour que le géant américain de la chimie développe un projet de production d’engrais, depuis passé par pertes et profits… Si l’attractivité du territoire souffre de la présence migratoire, c’est essentiellement au niveau touristique. Les chiffres de l’été seront donc à regarder de près. En attendant, la Ville pousse des projets économiques qui doivent entrer dans l’évaluation de la «solidarité avec Calais», dixit Manuel Valls lors de sa visite du 31 août dernier. Des projets en logistique notamment, dont le premier pourrait sortir dans quelques semaines. Une enveloppe de plusieurs dizaines de millions d’euros est en discussion. Ce qui est plus tangible, c’est l’aide européenne de 25 millions d’euros promise par les commissaires européens qui accompagnaient le Premier ministre français. Ce dernier a accédé à la demande de Natacha Bouchart de loger durablement les migrants aux abords du camp Jules-Ferry (qui abrite 200 femmes et enfants) qui offre chaque jour plus de 2 000 repas. A deux pas du port de Calais, le long de la quatre voies désormais presque totalement grillagée, le camp s’organise alors que les travaux du projet d’agrandissement portuaire vont probablement commencer cette année. La Société d’exploitation des ports du Détroit, délégataire de la concession octroyée par le Conseil régional, continue pourtant de craindre la présence des migrants. Même si une partie d’entre eux décident de s’établir en France, même si une autre partie est reconduite à la frontière (un millier depuis le début de l’année selon Manuel Valls), il y aura toujours une part substantielle de candidats à la traversée pour monter dans les camions. La décision de Manuel Valls d’octroyer 120 tentes pouvant accueillir jusqu’à 1 500 migrants (début 2016) ne change que peu de choses. Si les passages deviennent plus difficiles, le nombre de migrants augmentera

Une présence à laquelle le Calaisis est depuis longtemps habitué. Ce qui a changé cet été, c’est le mode de passage des migrants : quand deux des trois navires d’Eurotunnel furent bloqués dans le port par les salariés de MyFerryLink et quand les premières barrières furent posées, les migrants se tournèrent naturellement vers le site d’Eurotunnel. Ce dernier n’en a pas souffert outre mesure si l’on en juge par les chiffres records publiés cet été. L’opérateur ferroviaire gestionnaire du tunnel recrute cependant pour se prémunir des intrusions hebdomadaires qu’il continue de subir. Une centaine de personnes sont en cours de recrutement actuellement.

Certes, cet été a mis les migrants sous les feux de l’actualité et montré la fragilité du transmanche. Mais c’est oublier que depuis la guerre du Kosovo, en 1999, il y a toujours eu des migrants dans le Calaisis. Avec ou sans un camp à Sangatte ou dans les dunes portuaires…