Le tourisme de demain : hyperconnecté et robotisé

Le tourisme se réinvente, et sa transformation s’est accélérée avec la pandémie. Si certains aspirent à la déconnexion durant leurs vacances ou week-ends, d’autres ont des exigences d’hyperconnexion et entendent que leur séjour soit placé sous le signe de la technologie. Petit tour d’horizon de ce que pourrait être le tourisme d’ici peu, avec Sophie Lacour, directrice générale d’Advanced Tourisme, conférencière et consultante*.

«Le touriste surfe en permanence. En moyenne, pour réserver un voyage, il se rend 50 fois en ligne, parcourt 38 sites et lit une douzaine d’avis minimum», affirme Sophie Lacour, directrice générale d’Advanced Tourisme. © Africa Studio
«Le touriste surfe en permanence. En moyenne, pour réserver un voyage, il se rend 50 fois en ligne, parcourt 38 sites et lit une douzaine d’avis minimum», affirme Sophie Lacour, directrice générale d’Advanced Tourisme. © Africa Studio

Quelles sont les tendances qui vont façonner le tourisme de demain ? Comment le secteur, poids lourd de l’économie du pays et de la région, peut-il, et doit-il, se réinventer au regard d’une crise sanitaire qui l'a mis à genoux ? Quelles nouvelles expériences, pour quel nouveau type de clients ?

Un touriste qui sait tout et surfe en permanence

Le tourisme est un secteur complexe à analyser, friand d’innovations technologiques : «On ne fait en réalité qu’appliquer dans le tourisme ce que l’on fait déjà dans la vie quotidienne», commence Sophie Lacour. Le secteur suit donc le mouvement sociétal, avec des touristes qui sont devenus des «pros de la technologie», connectés en permanence.

«Le touriste sait tout, affirme Sophie Lacour. Il surfe en permanence. En moyenne, pour réserver un voyage, un internaute se rend 50 fois en ligne, parcourt 38 sites, lit une douzaine d’avis minimum et effectue ses recherches pendant 15 semaines.» Si le futur vacancier sait tout des professionnels du tourisme, la réciproque est vraie grâce à la data, «qui crée une sorte d’ADN numérique».

Partir en vacances : une source d’angoisses

Mais partir en vacances ne ressemble pas toujours à une sinécure. Les touristes sont "netlag" : 26% considèrent cette recherche de leur futur lieu de villégiature comme l’un des plus grands stress de leur vie ! Si 31% parviennent même à réserver un séjour qui ne leur convient pas, ou pas aux bonnes dates,  17% décident au final de… ne pas partir.  Et 52% optent pour une valeur sûre : opter pour des destinations où ils se sont déjà rendus.

«Faire des recherches et trier toutes les informations disponibles sur Internet s’avère très complexe ; 24% des millenials se disent d’ailleurs prêts à sous-traiter cette tâche à un ami, contre un dédommagement de 169 euros en moyenne. Ce qui sous-entend qu’ils ne connaissent pas le métier d’agent de voyage, qui pratique en moyenne les mêmes tarifs, voire moins», analyse Sophie Lacour.

Un tourisme technologique et robotisé

Pour la consultante, le tourisme de demain sera de plus en plus prédictif, avec des professionnels qui, grâce aux nouvelles technologies, pourront concocter un carnet de voyage sur mesure aux clients. Et Sophie Lacour l’assure : «Ce n’est pas de la science-fiction, de nombreuses innovations de ce type sont testées ou en phase de R&D.» Certaines entreprises ont déjà imaginé, il y a quelques annéesn de proposer un voyage en fonction du séquençage de l’ADN. «Dans ce monde d’hyper personnalisation, qui répond à une vraie envie du touriste, ce sont des technologies qui seront utilisées pour rafraîchir l’offre. Je ne dis pas que tout le monde aura une appétence pour ce type de tourisme, mais il plaira à une certaine clientèle qu’il faut prendre en compte», prévient-elle.

Pour ces clients, les prestations font peau neuve et l’hôtel devient intelligent : «Aujourd’hui, vous pouvez parler à votre lampe, miroir, robinet, à vos toilettes… Cela peut paraître anecdotique, mais dans un monde où les virus font peur, ces technologies permettent de ne pas toucher les objets. C’est assez cohérent avec notre environnement actuel», observe Sophie Lacour. D’où l’apparition de la safe-chambre : «La lumière bleue, jusque là utilisée dans le milieu hospitalier, arrive dans le monde du retail et du tourisme. Les clients veulent que tous les objets soient désinfectés», illustre-t-elle.

Autre vrai sujet : l’accueil du public par la robotique. «Au Japon, cela ne choque personne d’être accueilli par un robot dinosaure quel que soit le standing de l’hôtel. En France, c’est plus délicat», note l’experte. Des robots aux fonctions basiques, «la robotique étant difficile à intégrer dans le tourisme», concède Sophie Lacour.

Mais elle peut permettre de répondre à la problématique du dernier kilomètre – aller de la gare à l’hôtel, de l’hôtel au lieu de visite, etc. – avec la valise-robot ou la chambre d’hôtel-voiture, un prototype certes, mais sur lequel sont déjà positionnées plusieurs marques. «Là, nous sommes vraiment dans un tourisme futuriste, mais ce sont des inventions qui posent la question du devenir de l’hôtel. Peut-être sera-t-il à l’avenir mobile, éclaté sur le territoire ou se déplacera-t-il avec les touristes», avance Sophie Lacour.

Autres nouvelles tendances du tourisme : le workation (travailler durant ses vacances) et le staycation (rester chez soi pendant les congés). Le touriste de demain aura un téléphone au doigt, un tee-shirt et des lunettes utilisant la technologie haptique ou pourvus de batterie rechargeable. «Le touriste est nomophobe, il ne supporte pas d’être déconnecté et a besoin d’être rassuré», note Sophie Lacour.

«Au Japon, cela ne choque personne d’être accueilli par un robot quel que soit le standing de l’hôtel. En France, c’est plus délicat», note l’experte. © Monopoly919

Une exigence de durabilité

«Le tourisme a été accusé de tous les maux, notamment durant la pandémie. Mais il y a pour moi un point capital : c’est un vecteur de paix, qui permet d’aller à la rencontre des autres et de découvrir d’autres cultures», explique Sophie Lacour, convaincue qu’il faut repenser le tourisme pour qu’il devienne durable, grâce à la greentech. Une étude Booking le prouve : la demande pour les destinations et les pratiques durables est en constante augmentation – 87% des personnes interrogées disent vouloir voyager de façon durable et 72% pensent qu’il faut agir maintenant. Certains professionnels se sont déjà engagés dans cette voie, en proposant des challenges écologiques.

Pour ceux que ces visions touristiques futuristes effraieraient ou rebuteraient, des vacances déconnectées, au grand air, en toute simplicité, sont toujours possibles. «Tout est une question de dosage et certains aspirent à cette déconnexion», rassure Sophie Lacour.

*Conférence donnée dans le cadre des Rencontres régionales de la recherche et de l’innovation 2021.

«Aujourd’hui, on est instragrammable ou on meurt»

Le touriste d’aujourd’hui est Atawadac [ndlr, acronyme pour "any time, any where, any devices, any content"] et exige du contenu en permanence et immédiatement, sur tout type de supports, un usage dont pourraient s’emparer les professionnels en leur permettant de leur indiquer le trajet des lieux à visiter. Réalité augmentée, eye tracking (qui permet, en fonction de ce que l’on regarde, de déclencher un média en rapport avec le lieu touristique visité, grâce à des lunettes connectées).

«Nous sommes dans un monde d’images, aujourd’hui, on est instragrammable ou on meurt ; 32% des voyageurs adorent séjourner dans des lieux qui le sont et 56% déclarent avoir séjourné dans un établissement qui semblait plus beau en photo que dans la réalité», affirme Sophie Lacour. «Pour une fausse photo, ou un cliché arrangé, vous risquez de perdre vos clients», alerte-t-elle.

Une chaîne d’hôtels a même inventé un nouveaux métier : social media sitter, qui prend la photo et se charge de la poster pour vous sur les réseaux sociaux. «On s’éloigne vraiment de la spontanéité et de l’authenticité, reconnaît Sophie Lacour. Mais si le métier existe, si des personnes sont payées pour l’exercer, c’est qu’il y a une piste à creuser.»