Le secteur des transports entre technologie et gratuité
Alors que la loi d’orientation des mobilités (LOM) doit être promulguée prochainement, les spécialistes des transports craignent la multiplication des promesses électorales proposant la gratuité du réseau. Ils comptent en revanche beaucoup sur la technologie, qui pourtant ne fait pas toujours ses preuves.
La navette rouge est vide. Devant le centre des congrès de Nantes, où se tiennent, pour la 27ème édition, les Rencontres nationales des transports publics, le véhicule autonome attend désespérément ses passagers. Mais les piétons qui passent à proximité ne lui jettent même pas un regard. A leur décharge, tous ces passants connaissent bien le monde des transports : ils y travaillent. Et des navettes autonomes, ils en ont vu d’autres, à tous les congrès et autres salons depuis au moins trois ans. Ils savent que la vitesse de ces engins dépasse rarement celle du piéton. Si encore la navette rouge desservait la station de tramway, quelques centaines de mètres plus loin ? Mais non, elle se contente de faire un petit tour sur le parking.
Ceci n’empêchera pas bon nombre de spécialistes, dans les débats, de vanter le «futur désirable», qui passerait par l’avènement d’une «mobilité autonome, électrique, servicielle et partagée». Car une partie de «la grande famille des transports», selon une expression en usage, semble encore à la recherche du Graal, cette formule magique qui permettrait à chacun de se déplacer comme il le souhaite, quand il veut, sans faire d’efforts et de préférence gratuitement.
Le piège de la gratuité ?
Gratuitement, c’est la nouvelle mode. Dans les travées, chez les opérateurs, parmi les élus, et jusque dans les bus sentant le neuf disposés par les constructeurs dans les grands hangars, on ne parle que de ça. Depuis septembre 2018, le réseau de la communauté urbaine de Dunkerque, 200 000 habitants, est gratuit pour les usagers, et les élus s’enorgueillissent d’une forte progression de la fréquentation. Après Châteauroux en 2001, ou encore Gap, Aubagne ou Niort, plusieurs villes vont suivre, telles Calais ou Cahors.
Surtout, plusieurs futures listes aux municipales ont placé cette mesure en bonne place dans leurs promesses de campagne. Etonnamment, la gratuité des transports publics est défendue par des équipes se revendiquant de tous les partis politiques : LFI à Toulouse ou Rennes, PS à Caen ou Montpellier, EELV à Mulhouse, LRM à Béziers, LR à Saint-Nazaire, etc. «Dans chaque ville, les principaux opposants, quelle que soit leur couleur politique, sont pour la gratuité», résume un responsable du Groupement des autorités responsables des transports (Gart), qui réunit les élus spécialisés.
Les dirigeants de cette organisation, comme de l’Union des transports publics, qui rassemble les entreprises, ont répété, tout au long du congrès, les mêmes arguments, que l’on peut résumer ainsi : «rien n’est jamais gratuit. Ce sera aux contribuables de payer et les villes risquent à terme de ne plus avoir les moyens d’investir dans leur réseau». Le Gart a publié à Nantes une étude de plusieurs centaines de pages destinée à «objectiver le débat», mais chacun est reparti sur ses positions.
Les opérateurs comme les élus s’inquiètent en outre pour le devenir du «versement transport», cet impôt assis sur les salaires qui finance les métros, tramways et bus. En 2016, le Parlement avait relevé le seuil de cotisation des employeurs de 9 à 11 salariés. L’Etat s’engageait alors à verser aux collectivités locales une compensation trimestrielle. Cet engagement, tenu jusqu’ici, a été rompu par le projet de loi de Finances pour 2020, qui diminue la compensation de moitié. «C’est un très mauvais signe», admettent plusieurs responsables du secteur, craignant que le gouvernement ne finisse par considérer le financement des transports comme accessoire.
La mobilité comme un service, nouvelle mode
Profitant du passage éclair, à Nantes, de Jean-Baptiste Djebbari, tout nouveau secrétaire d’Etat aux transports, qui seconde Elisabeth Borne devenue ministre de la Transition énergétique, en juillet, Louis Nègre, maire (LR) de Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes) et président du Gart a rappelé une revendication ancienne, la TVA à 5,5%. En 2014, le taux intermédiaire, auquel sont soumis les transports publics, était relevé de 7 à 10%. Or, pour les élus, la mobilité constitue un bien de consommation courante qui devrait bénéficier du taux réduit. L’Allemagne, indique Louis Nègre, vient d’abaisser la TVA de 19% à 7%, dans le cadre de sa politique pour le climat. En France, cette réclamation dépend non pas de l’administration des transports, mais des comptables sourcilleux de Bercy.
La technologie viendra-t-elle au secours du secteur ? Depuis quelques années, une nouvelle appellation a fait son apparition dans le jargon des transports, le «Maas», ou «mobility as a service», la mobilité comme un service. Pour ses concepteurs, les déplacements en transports publics, mais aussi à vélo, à pied, voire en trottinette, doit se dérouler «sans couture». Se déplacer sans voiture doit devenir aussi simple que d’appuyer sur la pédale d’accélérateur en suivant les indications du GPS. Le Maas, qui existe déjà à Helsinki ou sous une forme simplifiée à Mulhouse, se matérialise par une application pour smartphone. L’utilisateur connecté peut, non seulement consulter les horaires, les prix et les localisations des stations de tram ou de vélo, mais aussi acheter son ticket, voire bénéficier de réductions automatiques.
C’est séduisant, mais difficile à mettre en place, admettent les opérateurs tels que Keolis ou Transdev. En outre, tous les usagers ne disposent pas d’un smartphone en état de marche dont ils maîtrisent l’utilisation.
Enfin, à force de vouloir faire «aussi bien que la voiture», le secteur des transports publics risque d’oublier ce qui fait l’attrait d’un déplacement en bus ou en tramway : le temps gagné, le coût inférieur à celui de la possession d’un véhicule, le fait de ne pas avoir à stationner. Des atouts que semblent apprécier les voyageurs : la fréquentation des transports publics connaît, depuis quelques mois, une hausse significative.