Entretien avec Carole Deneuve, cheffe des études économiques à l’Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction
«Le secteur de la construction neuve est en train de lâcher»
Sable, béton prêt à l’emploi, pierre… la filière des matériaux de construction, qui pèse environ 9 milliards d’euros annuels, redoute une diminution de la demande et s’inquiète de réglementations contraignantes.
Quel
est le poids économique des industries de carrière et matériaux de
construction et comment se caractérise la filière ?
La
filière des carrières et matériaux de construction représente un
chiffre d’affaire annuel entre 8 et 9 milliards d’euros. Au
total, elle compte environ 1 375 entreprises de tailles très
diverses dans lesquelles travaillent entre 35 et 40 000 salariés.
Les entreprises vont de la TPE, à l’entreprise patrimoniale, aux
groupes d’envergure internationale à l’image de Colas ou
Lafarge, par exemple. Leur activité va de l’extraction du granulat
(sable, gravier…) à la fabrication de matériaux de construction.
Aujourd’hui, la production de BPE, béton prêt à l’emploi,
représente 4 milliards d’euros et l’extraction de granulats, 3,7
milliards d’euros. A cela, il faut ajouter l’extraction de la
pierre, du calcaire, du marbre…
La localisation de nos activités suit
une
logique de proximité avec les chantiers. Ainsi, l’activité
de carrière est répartie sur environ 2 500 sites, sis sur l'ensemble du territoire. Le granulat coûte cher à transporter :
si vous dépassez les 30 km de transport, son prix double. Et environ
1 900 unités de production fabriquent du BPE, matériau frais
dont il faut limiter le déplacement. Par nature, dans nos métiers,
les importations et les exportations sont donc très limités avec
une activité qui se cantonne aux zones frontalières.
Comment
la filière traverse-t-elle les crises successives que nous
connaissons ?
Aujourd’hui, l’une de nos inquiétudes majeures concerne la demande. En particulier, nous sentons nettement que le secteur de la construction neuve est en train de lâcher, ce qui a un effet sur la demande du BPE. De plus, notre activité est très impactée par la hausse des prix de l’énergie : la production de ciment en est très consommatrice. Et nous sommes également concernés par les hausses des prix sur les salaires, même si notre activité nécessite peu de main d’œuvre. En la matière, notre souci réside aussi dans le fait de trouver des chauffeurs de poids lourds…
La situation
actuelle diffère donc profondément de celle de la crise du Covid.
Le secteur s’était montré plutôt résilient, faisant preuve de
réactivité lors du redémarrage de l’économie. En fait, notre
activité est implantée sur le territoire, et l’approvisionnement
essentiellement local, - ou au plus loin, européen, pour une partie
du ciment. Nous avions donc échappé aux tensions inflationnistes
sur les marchés internationaux, à la désorganisation des chaînes
logistiques mondiales…
Les
impératifs d’économie des ressources de la planète – sable
compris – et la RE2020, réglementation environnementale pour la
construction, imposent-ils des changements importants ?
L’évolution des réglementations constitue un sujet d’inquiétude. La RE 2020 incite à introduire des matériaux biosourcés dans la construction. Cette réglementation ne nous est pas favorable, et elle peut impacter négativement l’activité du BPE. Toutefois, il revient aussi aux industriels de déployer la recherche et développement pour trouver des solutions. Par exemple, en développant des ciments plus bas carbone qui rentrent dans la composition du béton, afin de diminuer l’impact carbone de ce dernier.
Quant à l’utilisation de la ressource, nous en avons déjà une approche de plus en plus économe. En 2007, nous produisions environ 440 millions de tonnes de granulats. Aujourd’hui, c’est 20% de moins. Et il est clair que l’activité extractive ne retrouvera jamais le niveau d’il y a 15 ans. En France, de toutes les façons, l’activité des carrières est extrêmement réglementée et leur nombre est plutôt en baisse… Par ailleurs, la filière est engagée, depuis plusieurs années, dans une démarche de recyclage du béton. Par exemple, lorsqu’un ouvrage est déconstruit, les matériaux sont récupérés et retravaillés, afin de produire des granulats de recyclage. Ils sont destinés à des terrassements, par exemple. Aujourd’hui, ces granulats de recyclage couvrent 28% des besoins en granulat.