Le Goncourt peut rendre heureux, la preuve avec Alexis Jenni
Si l'histoire littéraire a retenu le cas de lauréats rendus malheureux par leur prix Goncourt, il en existe aussi d'heureux, comme Alexis Jenni, qui écrit et publie beaucoup...
Si l'histoire littéraire a retenu le cas de lauréats rendus malheureux par leur prix Goncourt, il en existe aussi d'heureux, comme Alexis Jenni, qui écrit et publie beaucoup - quatre livres en six mois.
"Je vais très bien!", dit l'écrivain à l'AFP. Ce n'était pas donné. Comme il le raconte dans "Le cerveau, qu'est-ce que ça change", publié jeudi, il a été victime d'un accident vasculaire cérébral en novembre 2022.
Lançant une collection d'essais brefs, chez l'éditeur suisse protestant Labor et Fides, ce texte percutant raconte les modifications de sa perception après cet AVC, et ce que la neurologie sait aujourd'hui du cerveau. C'est drôle et intelligent à la fois.
"L'organe touché va bien. Je n'ai pas perdu l'usage de ma cervelle. Même si je ne voyais que la moitié des choses, et que c'était compliqué, en rigolant je disais que j'avais eu un AVC de nanti", explique à l'AFP Alexis Jenni, 60 ans.
Le livre raconte tout de même "cette tristesse d'être passé si près de ma propre mort, émotion énorme que mon cerveau avait mise sous clé pour qu'elle ne tourne pas en panique".
L'homme a un parcours singulier en littérature. Professeur de sciences au lycée, "écrivain du dimanche", il n'a jamais réussi à se faire publier avant ses 48 ans, et "L'Art français de la guerre". Gallimard parie sur lui lors de la rentrée littéraire de 2011.
N'intéresser "plus grand monde
Cette fiction sur un ancien des guerres d'Indochine et d'Algérie obtient le prix Goncourt. Il devance entre autres Sorj Chalandon, qui court encore aujourd'hui après cette récompense.
Le coup de projecteur du prix, suivi d'un retour à un certain anonymat, peut déstabiliser.
Romain Gary était tellement lassé qu'on ne le lise plus sérieusement, longtemps après son couronnement en 1956, qu'il est reparti à zéro sous un pseudonyme. Ce sera Émile Ajar... qui gagnera le prix Goncourt 1975, cinq ans avant le suicide de l'écrivain.
Yves Navarre, Goncourt 1980, a été lui aussi victime d'un AVC, à 44 ans, puis s'est suicidé dix ans plus tard.
Pascal Lainé, Goncourt 1974, confiait en 2007 au Nouvel Obs que le roman primé l'avait "dévoré" et déplorait de n'intéresser "plus grand monde".
De manière spectaculaire, Jean Carrière, dans "Le Prix d'un Goncourt" en 1987, a raconté sa chute dans la dépression après son prix en 1972.
"J'ai lu ce livre", relève Alexis Jenni. "Carrière explique qu'il n'allait déjà pas très bien, qu'il s'était construit un petit monde en écrivant, et que ce monde a été balayé".
L'intellect reste vif
"Je ne suis pas du tout un écrivain mélancolique, sombre et désespéré", ajoute-t-il. "Pendant 20 ans j'avais écrit sans être publié, en étant toujours refusé. J'ai continué à écrire après. J'ai publié 25 bouquins depuis".
En octobre, c'était "Nous", aux éditions Gallimard, recueil de trois ans de chroniques pour le quotidien La Croix.
En avril, ce sera "Le Naturaliste", une biographie d'un scientifique qu'il admire, le biologiste Francis Hallé, aux éditions Paulsen, et un beau-livre sur la Seconde Guerre mondiale d'un célèbre photographe, "Robert Capa, libérations", aux éditions du Seuil.
Preuve que oui, l'intellect reste vif. Il l'était dès la convalescence, le moment où a démarré son essai sur le cerveau.
"Faire ce bouquin a été une sorte de vérification que tout fonctionnait encore. Je l'ai commencé sur mon lit d'hôpital", se souvient l'auteur. L'éditrice "Marion Muller est une amie très proche, à qui je donnais des nouvelles. Je lui racontais mes hallucinations sur un mode un peu bouffon. C'est elle qui m'a dit que je devrais en faire un livre".
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