Assises européennes de la transition énergétique 2024

«Le Dunkerquois est l'un des endroits de France qui a le mieux compris l’intérêt de la transition énergétique»

François Gemenne, politologue et spécialiste des questions du climat (co-auteur du rapport du GIEC, Groupe intergouvernemental d’experts du climat), était le grand témoin des trois jours des Assises européennes de la transition énergétique de Dunkerque, du 10 au 12 septembre derniers. Il pose son regard sur la stratégie de développement industrielle du dunkerquois.


François Gemennes aux Assises européennes de la transition énergétique.
François Gemennes aux Assises européennes de la transition énergétique.

Que pensez-vous du choix de Dunkerque de miser sur la transition écologique ?

Je trouve que c’est assez épatant. C’est une région que je connais bien car j’y ai passé toutes mes vacances étant enfant. Ce territoire a connu de grosses difficultés économiques, avec un déclin démographique important. Les gens partaient car il n’y avait pas de perspectives d’emploi. Mais c’est incroyable de voir comment la région a su se saisir de la question de la transition écologique pour en faire une opportunité du redéploiement économique, pour attirer des emplois et des habitants. Quand je vois aujourd’hui toutes les nouvelles entreprises qui vont s’y installer, comme Verkor par exemple, qui produit des batteries électriques. Au niveau territorial, c’est l'un des endroits de France qui a le mieux compris l’intérêt de la transition énergétique, comme projet d’avenir et nouveau modèle économique.

On peut citer aussi les projets d’éolien offshore, d’EPR2, de décarbonation … Mais certains s’interrogent sur la concentration de risques sur un territoire exposé à la hausse du niveau de l’océan. Partagez-vous leur inquiétude ?

Il faut trouver une ligne de crête entre l’intérêt de faire du secteur une sorte de hub qui va concentrer différentes énergies et activités industrielles et le risque que cela comporte face aux aléas climatiques : risque de submersion marine, de tempête, de sécheresse… L’adaptation des sites industriels à ces risques climatiques sera l'un des enjeux futurs sur lesquels la France doit absolument travailler. Il faut reconnaître que nous sommes très en retard au niveau européen sur ces sujets. C’est pour cela que je regrette beaucoup que la dissolution de l’Assemblée nationale ait mis en pause le plan d’adaptation du gouvernement. Il avait pour vertu d’imposer aux entreprises d’avoir un vrai plan. J’espère que la nouvelle équipe gouvernementale pourra se saisir de ce chantier et prendre conscience de sa propre vulnérabilité.

Parmi les projets d’actualité, citons l’installation à Gravelines de deux centrales nucléaires nouvelle génération dont le débat public s’est ouvert le 17 septembre. Est-ce une bonne chose ?

Je crains - et je parle de la stratégie nucléaire nationale - que l’on ne mette tous les oeufs dans le même panier. Évidemment, le nucléaire est une énergie décarbonée et a toute sa place dans la transition énergétique. Mais en période de vache maigre budgétaire, je ne voudrais pas qu'il grille le budget alloué aux énergies renouvelables. Dans un mix énergétique décarboné, il va falloir trouver une complémentarité entre nucléaire et énergies renouvelables, qu’elles soient éoliennes, solaires, hydroélectriques ou issues de biomasse.

Sur le Dunkerquois, l’ensemble des projets de décarbonation ont de nombreux impacts sur le foncier, la gestion de l’eau, les paysages, les transports. Certaines associations environnementales regrettent l’absence d'un plan de cohérence des élus pour gérer tous ces impacts. Quelles recommandations pourriez-vous faire ?

Un des points importants est le déplacement des travailleurs depuis leurs habitats. Ce développement va créer des emplois, attirer de nouveaux habitants. Cela va renchérir le foncier et il faudra trouver des solutions de logement et de transport. C’est important d’avoir d’avoir cette cohérence pour que ces nouveaux sites industriels profitent à l’ensemble de la population du Dunkerquois et non pas seulement à ceux qui y travaillent.

Ces projets sont souvent accompagnés de débats publics - avant toute autorisation de construction - pour permettre à la population locale de mieux en comprendre les enjeux et donner son avis. Ces débats sont-ils importants ?

Le Dunkerquois est l'une des régions les plus avant-gardistes dans la gestion de ces débats publics sur les projets industriels. Ils sont gérés par la Commission nationale du débat public (CNDP) et sont importants, même si certains voudraient sortir de la CNDP les débats sur les sites industriels. Ces échanges permettent que ces initiatives profitent à l’ensemble de la population et de prendre en compte certains impacts auxquels on n’a pas toujours pensé au moment d’implanter les sites. Ces débats doivent être maintenus, voire étendus à plus grande échelle.

Les Assises européennes de la transition énergétique embarquent de nouvelles agglomérations

Depuis 25 ans, Dunkerque, Bordeaux et Genève organisent annuellement ce rendez-vous des acteurs publics et privés de l’innovation et la coopération en matière de transition énergétique. Cette année, les Dunkerquois accueillaient 3500 congressistes du monde entier - collectivités, scientifiques, entreprises, étudiants, associations et experts - lors de 120 ateliers, 12 plénières et 7 conférences du 10 au 12 septembre, en plus de 14 visites de terrain. A cette occasion, Strasbourg et de Dijon ont annoncé - lors de la plénière d’ouverture - rejoindre le groupe des trois villes pilotes de ces Assises. Pia Imbs, présidente de l’Eurométropole de Strabourg, accueillera l’édition 2025. 

Des usines sans parking à Dunkerque

Patrice Vergriete, président de la Communauté urbaine de Dunkerque, en a profité pour annoncer de nouvelles initiatives : « la CUD va tenter les usines sans parking. Avec les projets de décarbonation au sein de la plateforme industrialo-portuaire, 20 000 emplois vont être créés. Nous souhaitons une nouvelle révolution : personne n’atteindra nos usines avec sa voiture personnelle». Par ailleurs, 12 000 logements vont être construits sans toucher à 1 m2 de consommation foncière. Tout sera installé soit sur des friches, soit sur un tiers des parkings existants, soit par densification de l’agglomération. Enfin, pour que cette révolution écologique soit juste, l’agglomération promeut un dispositif pour aider les personnes dans le besoin à payer leurs factures et isoler leurs logements.