Le développement à l'international

L’Observatoire du développement international boucle le troisième volet de son cycle d’étude. Après le business développement en 2010, les relations siège-filiale en 2011, le cabinet de conseil BearingPoint publie «Autrement». Sur une trentaine de pages, l’étude résume les grandes lignes au-delà desquelles l’export devient dangereux.

 «La première frontière de notre étude est géographique. Quels sont les pays ciblés par les grands groupes français dans leur stratégie de développement international ? Quelles logiques associer à la croissance de leur périmètre géographique ? La seconde frontière est celle de l’organisation. Si le modèle siège-filiale demeure le modèle préféré des grands groupes, d’autres options, notamment les alliances, s’offrent aux entreprises pour gérer différemment les objectifs et les risques. Le développement international demeure l’un des axes de croissance stratégiques majeurs des entreprises françaises. La crise économique, mais aussi les tensions géopolitiques ne semblent pas ralentir cette tendance lourde. Bien au contraire, les grands groupes français sont prêts à accroître leur investissement dans ce domaine.» Pour analyser la croissance hors du territoire national, Jean-Michel Huet, directeur associé chez BearingPoint, et Inge Kerkloh-Devif, responsable de la formation continue à Science-Po, définissent leur sujet ainsi : «développement international autrement, nouveaux marchés géographiques, stratégie de sortie, modèles alternatifs». L’étude s’annonce comme un livre blanc dont le plan peut sembler incongru : on commence par une synthèse qui définit un bon modèle (la filiale), les auteurs planchent ensuite sur la notion d’alliance et zooment sur la zone BRIC. Toutefois, ils restent pragmatiques dans leur approche et donnent des conseils pour aller à l’international. Les deux experts dressent la liste des dix conseils utiles pour se développer à l’international. Simples, ces préconisations s’appliquent à de nombreuses situations. Avant tout, «suivre une politique de petits pas”. D’abord, réfléchir au mode de présence choisie à l’étranger : active, passive, obligations légales du pays, maîtrise des risques, niveau d’investissement, alliance commerciale… Pour 77% des personnes questionnées par les experts, la filiale intégrale permet de mieux contrôler le risque. Seconde préconisation, «s’intéresser au bottom of the pyramid» : la base de la pyramide comprend les populations à très bas revenus. «Le potentiel lié à ce segment tient non seulement au volume d’individus concernés, mais aussi à trois autres facteurs importants : faible intensité concurrentielle, accroissement démographique rapide et tremplin qu’elle représente pour accéder aux classes moyennes». Près d’une entreprise sur deux s’intéresse à ce segment. Troisième conseil, intégrer les bailleurs internationaux dans son plan d’attaque, en particulier dans des pays dits pauvres ou en développement : 50% des entreprises qui s’y rendent s’appuient sur des bailleurs internationaux. Quatrièmement, le chef d’entreprise devra appréhender l’environnement d’une alliance dans son ensemble : «La concrétisation d’une alliance est le commencement de nombreux questionnements organisationnels et stratégiques. La difficulté est donc de bien identifier ses forces, mais aussi ses faiblesses, pour compenser ces dernières dans le cas d’un partenariat, tout en apportant de la valeur à son partenaire. Une mauvaise évaluation des complémentarités est souvent à l’origine d’une gestion défaillante des partenariats locaux, cause majeure de sortie d’un pays. Il est donc nécessaire d’appréhender une alliance dans toutes ses dimensions : concurrentielle, commerciale, économique et organisationnelle.»

 

Dix recommandations. Pour bien mesurer les indices positifs d’un pays ou d’un marché géographique, les auteurs de l’étude conseillent de s’appuyer sur les Key Performance Indicators qui servent à peser la potentialité des objectifs mis en place pour une implantation. «Près de la moitié des alliances ont comme raison principale d’existence une atteinte des objectifs non réalisable par une entreprise seule.» Pour rester dans les objectifs fixés avec le partenaire, les KPI peuvent servir de “corset”. Autre conseil, investir dans les pays BRIC doit être convenablement envisagé et ne doit pas occulter les autres zones : «Lorsqu’elles souhaitent investir, les entreprises regardent de très près les critères économiques des pays, avec en tête la taille du marché. Il est donc logique qu’à date, elles ambitionnent d’investir principalement sur les pays BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), dont les indicateurs ne font plus de doute ; 41% des répondants ont cité au moins un pays des BRIC pour un investissement futur. Le défi à affronter est donc d’aller au-delà des BRIC.» Derrière ces géants, d’autres destinations offrent en effet de réelles opportunités : les pays CIVETS (Colombie, Indonésie, Viêt-Nam, Egypte, Thaïlande, Afrique du Sud) sont devenus très attractifs. Et de citer aussi l’exemple de l’Algérie : francophone, bénéficiant de revenus pétroliers considérables, d’une énergie bon marché, d’une démographie en hausse rapide… Plus généralement, il faut se souvenir que le milliard d’habitants africains est constitué de personnes issues des classes moyennes. Le septième conseil en appelle à la prudence : «pour aller loin, regarder de près». Un travail de préparation de ses propres ressources est indispensable : «Identifier les employés ayant un lien (nationalité, langue, culture, religion) peut servir. Comprendre les habitudes culturelles, connaître les gestes au quotidien…” Surtout, ce conseil d’importance qui aurait pu être donné dès le début : «intégrer la sortie dès l’entrée dans le pays». Plus de deux tiers des entreprises à l’international sont dans des pays à risque… «La sortie d’un pays doit être envisagée comme un projet à part entière» insistent les deux experts. Que la raison soit économique ou autre, elle doit être intégrer les scénarios de déploiement. Autre recommandation, prendre les choses avec le recul nécessaire pour pratiquer un «lost review» : service client, marketing et direction générale seront bien inspirés de se réunir fréquemment pour savoir pourquoi tel client a été perdu. Même en cas de sortie du pays, l’expérience vaut pour les autres pays où l’entreprise serait déjà présente.

 

Filiales et joint-ventures. Il conviendra aux entreprises qui sortent d’un pays de préparer le retour au moment de la sortie du pays : minimiser les coûts, les impacts sur le ou les partenaires, les employés… Sans s’interdire de laisser une veille car garder le contact est toujours un bon calcul. «La plupart des entreprises consultées envisagent de revenir dans un pays qu’elles ont quitté.» L’entreprise sur le chemin de l’international aura de nombreux choix dans la forme qu’elle choisira pour s’implanter. «Si les entreprises que nous avons questionnées privilégient des modes d’internationalisation offrant un grand contrôle du siège, il faut garder à l’esprit qu’une vingtaine de types de structures possibles existent avec des niveaux variables d’investissement, de risque commercial, d’interaction avec le partenaire local et d’adéquation aux obligations légales.» Chez les entreprises, les avis sont partagés : 77% des entreprises présentes à l’international y sont sous la forme d’une filiale intégrée ; 67% préfèrent le joint-venture majoritaire et 53% le joint-venture minoritaire. La filiale présente de nombreux avantages : contrôle du siège mais dans une autonomie de gestion quotidienne, bonne connaissance du terrain qui rassure les clients et les fournisseurs. Les partenaires ont tendance à considérer les produits comme des nationaux et pas comme ceux de la maison mère. L’engagement de la filiale ne dépasse pas les capitaux investis. Le joint-venture donne aux contractants le partage des coûts et des risques financiers. Cette structure permet aussi de diminuer les risques commerciaux grâce aux connaissances locales du partenaire. Mais les bénéfices doivent être partagés afin de développer un engagement fort entre les partenaires. Là réside peut-être l’adverbe «autrement» donné comme titre au rapport. Ce type d’alliance peut devenir problématique en termes d’investissement en temps, en potentiels conflits d’intérêts, en divergences avec le partenaire.