«Laissons les caisses autonomes gérer les régimes complémentaires»

À l'instar des syndicats ECF* et Ifec*, le président du Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables ne comprend pas pourquoi le régime universel doit fatalement impacter le régime autonome de la profession qu'il juge performant.

Charles-René Tandé lors du dernier congrès de l'Ordre des experts-comptables.
Charles-René Tandé lors du dernier congrès de l'Ordre des experts-comptables.

«On a mis en place des systèmes adaptés à nos professions, avec des cotisations plus faibles au début de la carrière et plus fortes avec le temps. Pourquoi ne pas continuer ce système ?» s’interroge Charles-René Tandé.

L’année a commencé avec beaucoup de tensions au sein de votre profession à l’aune de la réforme sur les retraites. Qu’en pensent la profession et le Conseil supérieur ?

Charles-René Tandé. Des tensions, il y en a effectivement, mais pas uniquement dans notre profession. C’est l’ensemble des professions libérales qui sont vraiment concernées et même au-delà, puisque la réforme des retraites instaure un régime universel qui concerne tout le monde. On peut comprendre, avec beaucoup de points de suspension, à travers ce régime universel, la volonté de mettre tout le monde dans le même panier. Mais en ce qui nous concerne, ce qui nous choque, c’est la méthode conduisant finalement à nier ce qui a été pour certains une bonne gestion d’une caisse autonome. Nous ne sommes pas dans un régime spécial. Nous disposons d’une caisse autonome qui a été instaurée après la Seconde Guerre mondiale par l’Ordre, puisque ce sont les élus de l’Ordre des experts-comptables qui ont été à l’origine de cette caisse de retraite professionnelle. Cette dernière a été parfaitement gérée. En 1981, quand François Mitterrand, le président de la République de l’époque, a souhaité ramener l’âge de la retraite de 65 à 60 ans, nous n’avons pas suivi parce que c’était inconséquent, compte tenu des perspectives. Nous avons laissé notre âge de départ à la retraite à 65 ans. C’est aussi pour cela que nous sommes évidemment à l’équilibre et même excédentaire.

 

Vous craignez de voir aujourd’hui disparaître cette caisse autonome…

Aujourd’hui, que nous dit-on ? Que nous allons disparaître parce que finalement, on va regrouper tout le monde pour permettre, notamment, de compenser les régimes déficitaires. On a mis en place des systèmes adaptés à nos professions, adaptées aux indépendants, avec des cotisations plus faibles au début de la carrière et plus fortes avec le temps. Pourquoi ne pas continuer ce système ? Donc, oui, nous sommes aujourd’hui opposés à la réforme telle qu’elle est présentée.

 

Le Gouvernement a indiqué que les caisses autonomes allaient subsister, en étant, d’une certaine manière, intégrées dans le régime général…

On va se retrouver avec des coquilles vides. A partir du moment où les générations d’après 1975 sortiront des effectifs, les caisses, de facto, ne seront plus équilibrées, c’est mathématique. Nous gèrerons alors la fin du régime. C’est à cela que serviront les caisses. On ne peut pas se satisfaire de cette réponse… C’est la raison pour laquelle les avocats continuent, eux aussi, leur mouvement de protestation.

 

Vous vous inscrivez non pas dans un rejet global, mais dans une volonté de continuer à dialoguer avec le Gouvernement ?

Oui, comme cela a toujours été le cas avec les experts-comptables, qui sont des professionnels respectueux. Nos membres nous reprochent parfois de trop l’être ou d’être trop légitimistes… En fait, nous nous exprimons toujours de manière courtoise mais ferme, pour dire ce qui ne va pas. Il serait dommage de voir ceux qui bloquent le pays avoir gain de cause au détriment de ceux qui ont bien géré leur caisse autonome.

Que proposez-vous concrètement pour le régime des experts-comptables ?

Notre demande est simple. C’est le régime universel jusqu’au plafond de Sécurité sociale et les caisses autonomes qui gèrent le régime complémentaire et l’invalidité décès. J’ajoute, bien évidemment, que toutes les réserves qui ont pu être constituées sont la propriété collective des experts-comptables. Nous avons racheté par moment des points. En marge des placements obligatoires, nous avons fait des placements volontaires pour assurer nos retraites. C’est d’une injustice totale de vouloir ensuite utiliser ces fonds. Nous voyons bien que certains souhaiteraient utiliser ces réserves pour financer le régime universel dans les prochaines années. Nous ne pouvons, bien évidemment, accepter ce genre de manœuvre.

 

Pour les professions libérales qui souhaitent conserver leur régime, il y a aussi le problème du conjoint avec la réversion ?

Dans notre régime complémentaire actuel, nous avons instauré un système de réversion qui est extrêmement avantageux pour le conjoint survivant. L’expert-comptable qui cotise peut sur-cotiser chaque année, de façon optionnelle, avec une réversion de 100% des points. Il y a des systèmes sociaux dans le régime Cavec qui n’existent pas dans le régime général et qui ne sont pas projetés dans le régime universel. Là aussi, il y a une régression d’un point de vue social. Pourquoi nous le retirer maintenant ? Ça ne coûte rien à l’État. Nous n’avons jamais rien demandé aux autres.

 

Concernant les cotisations associées au nouveau régime, quel est votre sentiment ?

Je ne peux pas vous parler du futur et de ce qui va être décidé. L’étude d’impact qui a été faite montre évidemment que nous sommes perdants dans le nouveau dispositif, avec une augmentation des cotisations et une baisse des prestations. Après, vous allez avoir toutes les simulations en fonction des niveaux de rémunération. Mais, globalement, pour les experts-comptables, c’est une perte. L’autre point, c’est qu’au-delà de 120 000 euros, il n’y a rien, si ce n’est une cotisation à fonds perdus, au titre de la solidarité. Il y a finalement assez peu d’experts-comptables qui gagnent plus de 120 000 euros annuels. Mais quid pour ceux-là ? Ils n’ont pas le droit d’avoir un dispositif de retraite complémentaire sur cette partie supérieure à 120 000 euros ? Ce sont des questions qui se posent. Le régime Madelin va-t-il pouvoir subsister ? À quelle hauteur ? Avec quelle déductibilité possible, fiscalement et socialement ? Sur ce point rien n’est écrit.

 

Il y a une nouveauté dans la profession : l’inscription du premier expert-comptable en entreprise à l’Ordre. Que peut-on en dire ?

Je me réjouis que cela puisse démarrer. Nous souhaitions depuis 20 ans la mise en place de cette liste des experts-comptables en entreprise. On a réussi à obtenir gain de cause dans le cadre de la loi Pacte. Cette force me paraît importante, notamment sur le plan international. En termes d’attractivité, comme je l’ai souvent dit, je pense que c’est important pour des jeunes de savoir qu’un certain nombre de professionnels de très grande qualité, qui occupent des postes à responsabilité dans des grands groupes, sont des experts-comptables et que notre diplôme a une grande valeur.

 

Et ce que vous pouvez nous décrire sommairement ce nouveau régime d’experts-comptables ? Est-ce que, par exemple, un expert-comptable en entreprise pourra s’inscrire sans problème en libéral s’il quitte l’entreprise ?

Oui, c’était déjà le cas. Avec le diplôme d’expertise-comptable, il était possible de s’installer en libéral après avoir exercé 20 ou 25 ans en entreprise. Pour l’inscription, il suffisait de contacter l’Ordre et de remplir un dossier d’inscription. A présent, ils sont déjà identifiés au sein du tableau avec leur diplôme. L’installation en libéral nécessitera de modifier le dossier pour passer d’une liste à l’autre. A partir du moment où la personne est déjà identifiée et donc répond aux enquêtes de moralité que nous avons et au respect de la déontologie, ce sera évidemment plus facile.

Propos recueillis par Boris STOYKOV (Les Affiches Parisiennes) pour RésoHebdoEco/reso-hebdo-eco.com

+ Logo RHE

 

* ECF : Experts-comptables et commissaires aux comptes de France.

* Ifec : Institut français des experts-comptables et des commissaires aux comptes.