La réforme territoriale impactera-t-elle la coopération transfrontalière ?

Actuellement soumis à une seconde lecture, le projet de loi portant sur la Nouvelle organisation territoriale de la République (loi “NOTRe”) revient au palais Bourbon en vue d’une adoption définitive. Dans ce contexte, de nombreuses questions se dessinent quant aux territoires transfrontaliers et aux collectivités concernées. Pour appréhender chaque enjeu, la Mission opérationnelle transfrontalière (MOT) a organisé sa conférence-débat annuelle autour de cette thématique, le 17 juin à Chamonix.

Niang Ibrahima : l’exemple européen est formidable pour booster les échanges.
Niang Ibrahima : l’exemple européen est formidable pour booster les échanges.
CAPresse 2015

"Il ne faut pas sous-estimer la manière dont l'Europe est prête à soutenir les projets transfrontaliers." Michel Delebarre, sénateur du Nord et président de la MOT.

Le troisième volet de la réforme des territoires engagée par le président Hollande sera ratifié sous peu. Il prévoit notamment une clarification des compétences, un nouveau découpage des régions et un renforcement des intercommunalités. Répercussion majeure : la suppression de la clause de compétence générale, qui permettait aux départements et aux régions d’intervenir dans tous les domaines. Ce point fut largement évoqué lors de la rencontre de la MOT, plate-forme interministérielle et associative d’échanges sur la coopération transfrontalière. Plus de 150 participants étaient ainsi réunis, non pas pour une remise en cause, mais pour mettre en lumière avis et retours d’expériences. Chaque niveau de gouvernance (local, régional, national et européen) était invité à s’exprimer. Étaient représentés : la Métropole européenne de Lille (MEL), le Grand-Genève, la Saar-Moselle, ainsi que l’Italie1.

Des craintes de chaque côté des frontières. En préambule, Jacques Lévy, géographe et professeur à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, a livré son analyse de la loi : “Une mise en mouvement, une cohérence partielle et un avenir assuré sont trois vertus qui prouvent que des évolutions sont possibles, mais on ne peut que regretter la démarche technocratique ‘top-down’, l’approche non subsidiaire, l’étude des frontières avant les compétences, le déni de la différenciation géographique et le manque de simplification du mille-feuille.” Un mille-feuille dans lequel chacun a tenté d’y voir plus clair. “J’ai même peur que cela se transforme en baklava“, a lancé Anna-Karina Kolb, directrice du service des affaires extérieures et fédérales de la République et canton de Genève, pour qui il est important d’avoir des interlocuteurs aux compétences tranchées pour gagner du temps. “Et l’agrandissement géographique peut diluer l’implication“, a-t-elle alerté. “Au contraire, a répliqué Christian Dupessey, conseiller régional Rhône-Alpes, à nous de faire bon usage d’outils plus clairs.” Même inquiétude chez les Belges, selon Simon Jodogne, directeur de la MEL : “La situation suscite l’intérêt de nos voisins, qui cherchaient les conséquences du renforcement des métropoles, avec la peur dans l’inconscient collectif de la domination française.” Frappé par un tel climat de crainte, Michel Delebarre, sénateur du Nord, a conclu par un appel à l’optimisme : “Je serais plus inquiet d’un manque de projets que de savoir si c’est possible, car rappelons qu’aucun document n’interdit quoi que ce soit dans le domaine. Ce dont nous avons donc besoin, c’est d’initiatives, d’imagination et de collectivités qui veulent avancer.” En substance : arrêter d’anticiper les problèmes et lancer plutôt un concours aux idées. Dont acte.

1. Une réforme des territoires est en cours dans plusieurs pays voisins de la France.

Une délégation mauritanienne prend l’Europe en exemple

D.R.

Niang Ibrahima : l’exemple européen est formidable pour booster les échanges.

En visite en France, Niang Ibrahima est expert en développement auprès d’Oumar Aly Thiam, maire de la commune de Sebkha, un quartier de Nouakchott, capitale de la Mauritanie. Son regard est plutôt positif sur la réforme, qu’il a suivie avec attention à plus de 4 500 km. En venant en personne échanger sur ce processus de décentralisation, le conseiller souhaite même s’inspirer de l’expérience des pays européens pour mettre en place dans son pays une coopération avec le Mali et le Sénégal, voisins à l’est et au sud. “Tout est à initier car, pour l’heure, les échanges sont très limités, a-t-il expliqué. Pourtant, en transposant votre fonctionnement en Afrique, des projets structurants peuvent naître, dans l’énergie et les transports par exemple.” En se basant sur le modèle européen, l’expert rêve même d’une libre circulation des biens et des personnes : “Dans nos territoires, les éleveurs auraient tout intérêt à pouvoir franchir les frontières pour faciliter les transhumances.» De retour chez lui, Niang Ibrahima tentera ainsi d’encourager les décideurs politiques à construire leur propre entente transfrontalière.