"La profession doit intégrer davantage encore le numérique"
Les 11, 12 et 13 avril, Lille Grand Palais accueillera l'incontournable salon professionnel biennal Nordbat, 11e édition. L'occasion pour tous les acteurs de la filière construction du Nord de la France de se questionner et de se positionner dans un contexte économique et professionnel en forte mutation.
La Gazette : Il y a un an vous avez retrouvé le fauteuil de la présidence de la FFB Nord – Pas-de-Calais pour un mandat de trois ans, poste que vous aviez déjà occupé de 2005 à 2011. Que retenez-vous de cette première année de mandat ?
Benoît Loison : Entre mes deux premiers mandats et l’actuel, il y a eu, en novembre 2016, la création de la Fédération des Hauts-de-France dont la mission principale est de travailler la stratégie et la politique de formation. Par contre et parce que le réseau national est toujours organisé par département, nous avons souhaité que perdure notre particularité et spécificité de fédération bidépartementale, avec ses axes forts que sont les métiers et ses quatre territoires – Grand Lille, Hainaut, Côte d’Opale et Lens-Artois –, qui pèsent autant que certains départements, voire davantage. C’est avec la volonté affirmée de continuer son animation que je suis revenu à la présidence.
Nous avons été élus en mars 2017 sur trois axes : faire de la FFB une fédération forte avec des mandataires mieux formés et mieux accompagnés, une fédération proche de ses adhérents et innovante. Tout au long de cette première année, nos adhérents ont été invités à participer au projet fédéral «Confiance» et à réfléchir sur la vision et le positionnement qu’ils souhaitaient pour une Fédération Nord – Pas-de-Calais qui soit connue et reconnue, proche, forte, impliquante, innovante… Chaque territoire a travaillé un des axes stratégiques proposés par le conseil d’administration : Grand Lille, la communication ; le Hainaut, les mandats ; la Côte d’Opale, l’innovation ; Lens-Artois, l’animation. Les adhérents se sont réellement impliqués avec plus de 400 contributeurs pour quelque 1 200 idées. Lors du salon, ils seront invités à se positionner à 360° sur les chantiers qui ont été ouverts, avant que le conseil d’administration de juin valide les orientations qui seront retenues, pour une présentation de l’ensemble du projet fédéral à la rentrée. Tant il est vrai que pour s’être beaucoup focalisée jusqu’ici sur la partie énergétique, la profession doit intégrer davantage encore le numérique porteur de changements dans les relations sur les chantiers, dans les formations aux métiers ou via l’apport des start-up dans les réalisations de construction.
La construction profite-t-elle de la reprise qui s’est amorcée l’an dernier ? Les signes encourageants se sont-ils confirmés ? Où en est-on en ce début 2018 ?
Nous faisons le constat d’une certaine inertie de la reprise au niveau régional dans notre région. La crise arrive moins vite, mais est plus longue à partir. C’est historique. En augmentation certaine à l’échelon national, la reprise de l’activité n’en est qu’à ses débuts en Hauts-de-France et en Nord – Pas-de-Calais. En témoignent l’emploi qui, s’il s’affichait encore en diminution jusqu’à fin 2017, s’est inversé sur le début de l’année, l’évolution significative de l’intérim et de la consommation de matériaux. Pour autant, la situation est encore difficile avec des prix qui ont du mal à retrouver une bonne dynamique, d’autant plus nécessaire que les entreprises qui ont affaibli leur trésorerie pour préserver au maximum leurs effectifs ont besoin, avec la reprise, d’améliorer leur BFR. En ce sens, l’action du fonds dédié «Construire demain», qui permet d’accompagner leur financement en fonds propres en position minoritaire, ainsi que les taux d’intérêt bas sont deux éléments qui nous apparaissent positifs alors que les mesures fiscales qui ont visé le Pinel et le CITE, crédit d’impôt transition énergétique, sont moins positives et nous causent des inquiétudes pour l’après-juin.
Et l’emploi ? Après l’apprentissage, le gouvernement s’attaque à la formation professionnelle. Ces réformes répondent-elles à vos attentes ? Et la révision de la directive européenne sur le travail détaché ?
Sur le sujet de l’apprentissage, qui compte beaucoup pour le secteur et pour lequel nous sommes porteurs d’idées, la réforme nous apparaît positive, notamment, par exemple, en matière d’assouplissement du temps de travail et surtout pour avoir remis les branches professionnelles au cœur du système, que ce soit pour le financement ou pour le référentiel de formation. Sur la réforme de la formation professionnelle, nous sommes inquiets sur les perspectives dévolues aux OPCA qui en assuraient le financement avec une stratégie et une gestion paritaire. Nous sommes dans l’expectative. Sur le travail détaché qui reste notre cheval de bataille dans ses aspects concurrence déloyale et conditions d’emploi dans certains cas totalement anormales, si la carte d’identification du bâtiment se déploie bien, nous faisons passer le message auprès de certains maîtres d’ouvrage qu’ils doivent prendre en compte les risques qu’ils prennent et qu’ils peuvent occasionner à des travailleurs non déclarés. Encore une fois, il faut des règles saines et respectées…
Par ailleurs, compte tenu des grands projets comme le Grand Paris, il va falloir aux entreprises du secteur travailler sur leur stratégie RH car, il ne faut pas se leurrer, les mouvements de personnel commencent. La vigilance s’impose sur la perte de compétences, notamment en encadrement et en bureaux d’études, mais aussi en compagnons.
L’édition 2018 du salon, qui a pour thème «Bâtiment à performances, bâtiments à vivre ?», fait la part belle aux start-up et propose deux parcours, BIM et objets connectés/domotique. Comment voyez-vous et jugez-vous l’évolution de la profession ?
Je suis très optimiste sur l’évolution de la profession quand on sentira un peu plus de sérénité sur les chantiers. Oui, notre ressenti est que le métier évolue, change d’image, qu’il va intéresser les jeunes, mais sur les chantiers on ne sent pas cette forme de sérénité. Aujourd’hui, on sent bien que les relations sont tendues entre tous les intervenants, maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre jusqu’aux entreprises… à partir du moment où tous les prix sont tirés, où les prestations sont vendues au plus juste. Je serai très optimiste quand, à nouveau, on aura la sérénité. Et cela passera par la remontée du juste prix et par une meilleure reconnaissance du travail effectué par chacun et à tous les niveaux.
“La sérénité sur les chantiers passera par la remontée du juste prix et par une meilleure reconnaissance du travail effectué”
Trois questions à François Delhaye, président de la FFB Hauts-de-France
La Gazette : L’activité du bâtiment est-elle repartie à la hausse dans la région, après la crise qui a perduré quelques années ?
François Delhaye : Oui vraiment depuis 2017 le redressement de l’activité est bien présent dans nos entreprises. La CERC, notre observatoire commun à l’ensemble des acteurs de la construction en atteste : hausse de 7,5% sur douze mois des mises en chantier de construction de logements neufs, carnet de commande en hausse de 1,2% sur le dernier trimestre 2017, stabilisation des effectifs salariés et fort recours à l’intérim constituent trois indicateurs en net progrès après huit années d’une crise permanente (2008-2016). À cela s’ajoutent les effets induits des chantiers du Grand-Paris qui impactent positivement aussi nos entreprises régionales bien au-delà du sud de l’Oise ! Seul bémol à ce panorama plus favorable, les différences territoriales marquées entre les villes métropoles et les territoires ruraux.
Quels sont les grands défis et chantier du secteur dans les mois et années à venir ?
Les défis de taille qui impactent notre profession sont à l’œuvre depuis déjà quelques mois pour ne pas dire années : la transition numérique de nos métiers comme du reste de la société française, la transition énergétique où notre filière se voit attribuer 80% de l’effort national d’économie d’énergie alors que notre secteur ne représente que 30% des émissions de gaz à effet de serre. (…) Nos CFA nous mentionnent plusieurs centaines d’offres d’apprentissage nous pourvues en région faute de candidats ! L’attractivité de nos emplois est donc fortement requestionnée, c’est un enjeu de taille pour notre profession.
Les mesures du nouveau gouvernement vont-elles dans le sens souhaité par la FFB ?
Oui sur une partie des réformes engagées et moins sur d’autres. Je m’explique, lors des débats sur la loi de Finances à l’automne dernier, force est de constater que les quelques mesures que nous avons critiqué, commencent aujourd’hui a produire leurs effets négatifs : la restriction du Pinel, la quasi-suppression de l’APL et le changement du Crédit d’impôt transition énergétique (CITE) ne pouvaient pas être indolores et l’activité globale du bâtiment en France commence déjà à ralentir. Aujourd’hui ceux sont au moins trois grands projets de réforme qui nous interpellent : la formation professionnelle et l’apprentissage, alors que les annonces faites par le Premier ministre, le 9 février dernier, laissent entrevoir des évolutions très positives pour l’apprentissage, le deuxième volet consacré à la formation pose nettement plus de questions. La ministre du Travail, Muriel Penicaud, a en effet présenté toute une série de mesures visant à provoquer un “big bang” dans le monde de la formation, big bang qui aboutit surtout à remettre l’État au cœur du dispositif… (…)Toutes ces annonces ne doivent pas cependant occulter les points plus positifs obtenus en matière d’apprentissage (…) La future loi “Évolution du logement et aménagement numérique” pourrait faire l’objet des mêmes remarques : si l’on peut se réjouir d’y voir des mesures positives en matière d’urbanisme (notamment sur les recours abusifs), il faut en revanche s’assurer que la redéfinition des zonages territoriaux ne constitue pas un prétexte pour concentrer davantage les aides au logement dans les seules zones urbaines. La lutte contre la fracture territoriale demeure un enjeu plus que jamais d’actualité dans notre pays comme dans notre région. On le voit au travers de ces trois grandes réformes, les intentions et ambitions sont favorables mais la vigilance de leurs traductions législatives demeure une préoccupation pour la FFB et les entreprises qu’elle représente.
Propos recueillis par Amélie PEROZ
Le secteur du BTP en Hauts-de-France
- Chiffre d’affaires 2016 : 8,7 milliards d’euros
- 30 000 artisans
- 4 208 apprentis et 9 069 lycéens
- + 3,5% dans l’activité d’entretien-rénovation des ménages dans le logement individuel et collectif au 1er trimestre 2017