La longue histoire du vélo urbain
Le vélo a plus de 200 ans. Des premières «draisiennes» sans pédales aux modèles à assistance électrique qui tracent sur les «olympistes» toutes neuves, une exposition retrace l’histoire tumultueuse de ce moyen de déplacement qui séduit de plus en plus.
En
trente ans, la pratique du vélo a été multipliée par dix. Le
chiffre concerne Paris, mais l’engouement pour les trajets et
voyages à bicyclette atteint toute la France. Outre ses atouts
environnementaux, le vélo évite les embouteillages, assure la
pratique de l’exercice physique et demeure bon marché. Les
personnes qui pédalent tous les jours ne le savent pas forcément,
mais elles sont les héritières d’une longue histoire.
Commissaire de l’exposition À vélo, Paris-Métropole 1818-2030, l’urbaniste Clément Dusong, 31 ans, voudrait «redonner de la force et de la légitimité aux politiques actuelles, pour les inscrire dans le temps long». L’exposition, qui se tient au Pavillon de l’Arsenal, à Paris, jusqu’à la fin septembre, se divise en sept sections, chacune consacrée à un pan de l’histoire. Pour la composer, le jeune commissaire de l’exposition a consulté, en plus de deux ans, des centaines de documents, «gravures, photos, cartes, affiches, vidéos» et en a sélectionné une centaine.
La
«machine à courir», objet à deux roues, mais
sans pédales imaginé par un inventeur badois,
Karl Drais von Sauerbronn, dont le nom transparaît dans la
«draisienne», a vu le jour en 1817. L’année
suivante, le 5 avril, une présentation de l’ancêtre du vélo se
tient à Paris, au jardin du Luxembourg. Les observateurs sont
sceptiques, relate Clément Dusong : «Cette machine ne
saurait avoir d’utilité réelle, car même les enfants vont plus
vite à pied», tranche Le journal de Paris, un
quotidien de l’époque.
Baisse des prix et démocratisation
L’objet
acquiert ses lettres de noblesse à la fin du siècle, lorsque des
inventeurs la dotent d’un pédalier et d’une chaîne. Alors,
«ce ne sont plus seulement des dandys excentriques, mais
l’élite sociale qui s’en empare», souligne Clément
Dusong. Le vélo permet en outre de «se libérer des
contraintes du cheval», qu’il fallait nourrir, loger,
soigner, à grands frais. Les cochers s’estiment lésés et
n’apprécient pas l’essor de la bicyclette, comme le résume
alors une caricature utilisée par la marque américaine de cycles
Snell.
Après la Première Guerre mondiale, le prix des vélos neufs baisse nettement. «L’industrie propose des vélos pour femme et pour homme, dédiés aux loisirs ou à la ville, et même un vélo de garçon-boucher», souligne Clément Dusong, en montrant un catalogue publié dans les années 1920. Des constructeurs, vendeurs, réparateurs, installent leurs ateliers par centaines. Les ouvriers adoptent ce mode de déplacement, comme en témoignent les célèbres images des couples en tandem partant en congés payés en 1936.
Mais
déjà, la société française se convertit à l’automobile. Dès
les années 1930, voit-on sur les films consultables au Pavillon de
l’Arsenal, les rues de l’ouest parisien sont investies par les
voitures. L’avenue de la Grande Armée, qui mène au Bois de
Boulogne, est même élargie, des arbres coupés, des trottoirs
rétrécis, pour laisser passer le flux croissant de la circulation
motorisée.
Le
tout-automobile après la guerre
Chacun
a entendu, dans sa famille, des récits de lointains grands-parents
contraints de pédaler sous l’Occupation, au point que le souvenir
aigre de cet âge noir a longtemps constitué un obstacle au
développement du vélo. Alors que les automobiles étaient
réquisitionnées par l’occupant, Clément Dusong retient notamment
«la crainte du vol, très forte, au point que les gens
démontaient leur vélo», pour le mettre à l’abri, et
«le remplacement des chambres à air par des ressorts, de
la paille, des lattes en bois». Un objet si précieux
devait s’entretenir jusqu’à son dernier souffle.
Après
la Libération, l’automobile emporte tout sur son passage, précédée
par le vélomoteur, ou le solex, ancêtres des scooters
d’aujourd’hui. Sur la route, et dans les villes, le vélo devient
un intrus. Les chiffres des accidents de la route explosent. À la fin
des années 1960, chaque année, 900 cyclistes meurent sur la route,
un record. En 2023, on en décomptait encore 226, pour un nombre
d’usagers beaucoup plus important.
C’est en mai 1968 que Clément Dusong situe «la rupture» qui a redonné aux citadins l’envie de pédaler. «En raison des pénuries d’essence, on vend plus de vélos en une semaine qu’en un an», dit-il. Les slogans estudiantins remettent en cause la société de consommation, et son corollaire, l’utilisation massive de l’automobile. Dans les années 1970, le vélo devient un emblème des manifestations écologistes. «Aux Pays-Bas, à la même époque, ce mouvement aboutit» à l’aménagement de pistes cyclables, qui expliquent encore aujourd’hui un fort usage du vélo dans le pays.
Mais en France, et
même à Paris, il faudra encore attendre plusieurs décennies pour
que ce bouillonnement se matérialise sur la voirie. Les premiers
«couloirs de courtoisie», bandes limitées par
des traits pointillés de peinture verte, tracés dans les rues de la
capitale en 1982, préfigurent certes les pistes cyclables.
Toutefois, mal conçus, baptisés «couloirs de la mort»
par le Nouvel Observateur, ces aménagements sont rapidement
délaissés.
La réorganisation de l’espace public ne commence en réalité qu’à la fin des années 1990, après le long mois de grève des transports qui a paralysé la ville à l’automne 1995. Le mouvement se poursuit au début du XXIème siècle, mais par à-coups, souligne le commissaire de l’exposition. A Paris, souligne-t-il, lorsque le Vélib’ conquiert les rues en 2007, «les associations n’y croient pas» et réclament, à la place, des axes aménagés. Ceux-ci finissent par se matérialiser en masse juste avant la pandémie, puis juste après. Selon l’urbaniste, l’ensemble des grandes agglomérations françaises a connu une histoire similaire, au point que les «réseaux express vélo» dépassent désormais les limites communales, à Lyon, Rennes ou Grenoble. Dans la capitale, le dernier chaînon en date est destiné à desservir les sites des Jeux olympiques. Les associations militantes ont baptisé ces aménagements les «olympistes». Comme pour prendre place dans l’Histoire.