Santé du dirigeant : la grande oubliée par les premiers intéressés

La Qualité de vie et santé au travail (QVST) s’affirme aujourd’hui comme une des préoccupations majeures de la sphère entrepreneuriale intensifiée par la succession de crises depuis deux ans. Si les collaborateurs s’affichent comme les premières cibles de cette QVST, les dirigeants d’entreprises semblent en être les grands oubliés. La donne n’est pas nouvelle mais ce sont surtout les premiers concernés qui mettent de côté, de leur propre chef, leur propre santé.

Il y a deux ans, plus de 50 % des chefs d’entreprise présentaient des risques de burn-out selon l’Observatoire Amarok. Depuis, la tendance ne semble pas être inversée...
Il y a deux ans, plus de 50 % des chefs d’entreprise présentaient des risques de burn-out selon l’Observatoire Amarok. Depuis, la tendance ne semble pas être inversée...

«Le chef d’entreprise a plus peur de déposer le bilan que d’attraper une maladie grave. Les chefs d’entreprise doivent comprendre que préserver leur santé contribue à préserver le premier capital immatériel de leur entreprise. Aucune entreprise ne vaut la vie d’un homme !» Ce message Olivier Torrès, professeur à l’université de Montpellier et président de l’Observatoire Amarok l’a répété fin mars à l’occasion de sa venue à Nancy dans les locaux d’Harmonie Mutuelles pour une conférence sur la santé du chef d’entreprise. Et elle fait encore plus écho aujourd’hui ! Son observatoire est le premier du genre à s’intéresser à la santé physique et mentale des dirigeants d’entreprise et des travailleurs non-salariés. En 2020, il affirmait que près de 51 % des chefs d’entreprise présentaient un risque de burn-out dont près de 10 % un risque très élevé. Depuis, les choses semblent avoir continuer à évoluer. Le sentiment d’épuisement aujourd’hui des chefs d’entreprise est estimé à près de 40 %. Avec les différentes évolutions conjoncturelles actuelles et les perspectives de plus en plus floues et inquiétantes sur les mois à venir, «le niveau de stress chez les chefs d’entreprise est maximal. Deux tiers d’entre eux se disent préoccupés par la santé mentale et physique de leurs collaborateurs mais ils oublient également qu’ils doivent prendre soin de leur propre santé», constate un professionnel de l’accompagnement des chefs d’entreprise. «Le capital santé du dirigeant d’entreprise est le premier capital actif immatériel de l’entreprise», assure Olivier Torrès. Force est de constater que l’importance de la santé du dirigeant d’entreprise est tout simplement négligé par les principaux intéressés.


Prise de conscience ?

«Pendant plusieurs années, j’ai cru que c’était normal de finir l’année à l’hôpital, sinon, cela voulait dire que je n’avais pas assez donné.» Ce type de témoignages surprenant était encore assez courant dans la sphère entrepreneuriale des dirigeants d’entreprise il y a quelques années. La crise sanitaire et les différentes prises de conscience sur l’importance à prendre soin de soi apparaît aujourd’hui touché également l’univers des dirigeants d’entreprise mais à un niveau moindre. L’évolution conjoncturelle n’apparaît pas permettre réellement ce changement de donne. L’enchaînement des crises totalement imprévues et inédites (crises sanitaire, environnementale, géopolitique) s’additionnent aujourd’hui à des pressions multiples liés aux dommages collatéraux de ces crises. Inflation, hausse du coût de l’énergie, difficultés de recrutement, n’en jetez plus la coupe est plus que pleine, elle déborde. En première ligne, le dirigeant peut rapidement se trouver complètement noyé voire tout simplement acculer. Les conséquences peuvent être irréversibles. En 2020, l’observatoire national du suicide estimait que «27 % des dirigeants d’entreprise auraient déjà envisagé sérieusement de se suicider, soit la même proportion que dans la population des demandeurs d’emploi.» Combattant de l’extrême et jusqu’au boutisme pour continuer à maintenir à flot son navire entreprise, le dirigeant prend tous les risques et s’expose, sans même réellement le savoir car grisé par l’urgence du moment, a des risques importants pour sa propre santé. Plusieurs services de prévention de santé au travail proposent d’ailleurs un programme baptisé Capital santé dirigeant pour tenter de répondre aux problématiques physiques et psychologiques rencontrées par les chefs d’entreprise ou les cadres supérieurs. Être accompagné n’est pas une fatalité, cela apparaît même être une réelle nécessité, encore faut-il que les intéressés en prennent réellement conscience avant qu’il ne soit trop tard.

Le syndrome d’empêchement

«L’épuisement habituel du chef d’entreprise a muté en un épuisement d’empêchement où les sentiments d’impuissance et d’être coincé prennent le pas sur la déception et la lassitude.» Conclusion tirée d’une enquête menée par l’Observatoire Amarok à la fin 2021 sur la santé du dirigeant. «Nos résultats montrent que ce n’est plus le travail en lui-même qui est épuisant mais la crainte de ne pouvoir bien travailler ou de ne plus travailler qui épuise le plus les chefs d’entreprise.» Avec la multiplication des difficultés actuelles, cette analyse apparaît être suivie de près.