La Côte d'Opale en ébullition
La Scop SeaFrance composé d'anciens salariés de feu la filiale de la SNCF liquidée en novembre 2012, a repris la main après la signature de contrats entre Eurotunnel et le groupe danois DFDS sur l'utilisation de 2 des 3 navires du premier (Cf nos précédentes éditions). « Lâchés » par leur parrain Eurotunnel et par le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer qui leur a refusé, le 29 juin dernier, un délai pour parfaire leur offre de reprise, les salariés de la Scop SeaFrance n'entendent pas se faire sortir du dossier.
À quoi ressemblera le trafic Transmanche dans quelques jours ? Une partie de la réponse réside dans la suite des événements qui ponctuent les derniers mois entre les acteurs politiques, portuaires, et ferroviaires sur la Côte d’Opale. Et le reste de la réponse se trouve très probablement dans la manière dont ces acteurs entendent résoudre cette crise qui a débouché sur une série de blocages : du port de Calais, opérations champignon vers le port de Dunkerque, incursions sur le site d’Eurotunnel, occupation des navires de ce dernier… À l’heure où nous mettions sous presse (mercredi 1er juillet), voilà ce que nous pouvions dire sur un situation dont personne ne sait ce qu’elle peut engendrer. « On ne lâchera pas nos navires » : c’est ce que les marins et les sédentaires répètent à qui veut l’entendre. Le contrat d’affrètement de MyFerryLink s’est arrêtée le 1er juillet à minuit. Dés minuit, c’est théoriquement DFDS qui doit prendre possession des navires et remplacer MyFerryLink dans les rotations entre Calais et Douvres. Et reprendre 202 salariés sur plus de 600… La colère est d’autant plus énorme que les salariés de la Scop (sous-traitant de MFL) tentent depuis des semaines de construire un scénario alternatif avec le soutien des pouvoirs publics. « Depuis 3 semaines, la stratégie d’Eurotunnel de laisser l’affaire se tasser est à l’œuvre. Je ne le crois pas. Il ne s’agit pas seulement de MyFerryLink, c’est le territoire, c’est le pavillon français sur le détroit. Les financiers venus faire du fric sur le détroit sont à la manœuvre et ne s’arrêteront pas là. Ils parient sur l’impuissance des pouvoirs publics. C’est d’un cynisme absolu » explique Yann Capet, député de Calais et ancien conseiller régional. L’élu bataille à Paris pour qu’Emmanuel Macron intervienne auprès de Jacques Gounon. À l’échelon régional, Daniel Percheron, Jean-Marc Puissesseau et Jacques Gounon se sont rencontrés il y a un mois. Sans résultat.
Des résultats, et une stratégie différente.
À la fin du printemps, il était encore temps d’étudier un scénario « gagnant-gagnant ». Eurotunnel voyait alors avec circonspection la décision de la cour d’appel britannique de débouter DFDS de sa plainte contre Eurotunnel, accusé d’être en situation dominante sur le détroit. Les salariés de MyFerryLink qui avaient repris le combat judiciaire (Eurotunnel n’avait pas fait appel de la précédente décision de la cour) et fini par gagner au grand étonnement de tous. La décision de la justice britannique permettait donc à Eurotunnel de poursuivre l’exploitation des ses 3 navires. « Ils seraient venus nous rechercher ailleurs, on le sait bien. On aurait gagné un an ou deux » justifie un cadre du groupe franco-britannique. « On devait sortir du Transmanche maritime » conclut-il. Les salariés de la Scop SeaFrance ne l’entendaient pas de cette oreille et se sont trouvés abasourdi quelques semaines plus tard quand Jacques Gounon annonçait la location du Berlioz et du Rodin à DFDS. « On ne comprend pas. Depuis le printemps, on est rentable » s’époumonent les salariés de la Scop. « Vous en connaissez beaucoup, des compagnies créées à partir de rien qui prennent 15 % des parts de marché en moins de 3 ans ? » interroge Philippe Brun, avocat de la Scop. « Pourquoi devraient-ils renoncer à ce qu’ils ont construit ? ».
Ils n’ont pas été les seuls. Quand les pouvoirs publics laissent la SNCF couler leur filiale maritime fin 2012, Eurotunnel noue ses premiers contacts avec Didier Cappelle, à l’époque secrétaire général du syndicat maritime Nord, décédé brutalement il y a quelques jours, et Eric Vercoutre secrétaire du Comité d’entreprise de la société moribonde : « Il nous a dit : je ne ferai pas sans vous, je veux la paix sociale dans mon entreprise » raconte Eric Vercoutre. « Aujourd’hui, il nous trahit ». Du côté d’Eurotunnel, on rappelle les arguments : « il ne faut tout de même pas se tromper de cible » tonne une source bien informée du dossier : « Eurotunnel a investi 170 millions d’euros et en a perdu 70 en trois ans pour sauver les salariés de SeaFrance. On a suppléé la carence de l’État. Qui est là pour le rappeler ? ».
De faux espoirs ou un ultime rebondissement ?
Côté politique, la mobilisation st à son comble. Le conseil municipal de Calais a été annulé lundi 29 juin dernier pour aller soutenir les salariés de MyFerryLink. L’ancien ministre des transports de Jean-Marc Ayrault, Frédéric Cuvilier, est sorti de son silence et ressent « une terrible amertume devant les efforts des salariés »… Sur le terrain, ces paroles ne valent plus grand-chose. « C’est totalement irresponsable de la part des élus de laisser croire que la situation peut être renversée. La vérité, c’est que la Scop n’a pas les moyens d’acheter les navires. Et que les pouvoirs publics ne les ont pas aidés hier. Et qu’il est trop tard depuis longtemps pour ce scénario fumeux » argumente un cadre d’Eurotunnel. Ce que reconnaît également Yann Capet : « On n’a pas nationalisé depuis 1981…. » Chiche ?
Sur le terrain, les forces de l’ordre sont largement débordées. Déjà fort occupées dans le Calaisis par le phénomène migratoire, ils se sont vus renforcés par plus de 5 unités de forces mobiles ces derniers mois. À ce stade, il y a plus de 1 000 hommes affectés au territoire. La tâche n’est pas mince. « Regardez moi avec mes sandales » sourit Eric Vercoutre, « on peut rentrer sur le site du Tunnel comme dans du beurre ». Dans un communiqué daté du 30 juin, Eurotunnel « rejette toute responsabilité dans la liquidation judiciaire de la Scop » et « dénonce les déclarations et les actions de toutes natures, y compris par voie de justice, qui ont pour but de faire croire que le processus de cession des navires, incluant la comparaison des offres, pouvait être organisé par d’autres que leur propriétaire ». Les politiques n’ont qu’à bien se tenir. Cette semaine, on apprenait que DFDS comptait augmenter ses prix de 15 %. sur le Transmanche. Si la fin de l’expérience coopérative semble proche, nul ne peut oublier que ce dossier est totalement atypique et qu’il ne s’est déroulé qu’avec de multiples rebondissements.
Morgan RAILANE