La Chambre d’agriculture déjà engagée dans les défis à venir
Nourrir une population en expansion, procurer un revenu aux agriculteurs et protéger l'environnement, les défis que doivent relever le monde agricole est de taille. Dans ce chamboulement intrinsèque, la Chambre d'agriculture de la Somme soutient les agriculteurs à travers des outils, la recherche, l'accompagnement et de nombreuses initiatives. Interview de Françoise Crété, agricultrice depuis 40 ans, et présidente de la Chambre d'agriculture de la Somme.
Picardie la Gazette : Quelle est la vision d'avenir de l'agriculture de votre chambre ?
Françoise Crété : Avant toute chose, rappelons qu’il n’y a pas d’agriculture sans agriculteur. Les agriculteurs sont les premiers acteurs du changement. Notre premier objectif en tant que Chambre d’agriculture, est d'accompagner toutes les agricultures, car nous avons un pluriel d'agricultures dans le département, et c'est une vraie chance. Cultures locales, élevages, méthanisations sont les voies pour rendre ces agricultures résilientes car il faut aujourd'hui allier performance environnementale, économique et sociétale. La Somme est l'un des territoires les plus cultivés de la région et de la France, avec une situation géographique avantageuse, un potentiel agronomique indiscutable et de nombreuses usines agroalimentaires à proximité. Dans cette perspective de développement, nous anticipons le renouvellement des générations : l'agriculture est un travail d'hommes et de femmes, ce sont des porteurs de projets, des PMI et PME, qui donnent la valeur ajoutée au territoire.
Comment ces défis environnementaux peuvent-ils être intégrés ?
Nous sommes passés d'un rôle de producteurs strictement d'alimentation à un rôle de défenseur de l'environnement, et même de producteurs d'énergie. C'est un risque pour les agriculteurs : pour qu'une exploitation ainsi que les nouveaux projets d'installation fonctionnent, il faut qu'il y ait une viabilité économique et une vivabilité sociale, c'est donc un équilibre à trouver. L'agrivoltaïsme, la méthanisation, par exemple, peuvent se présenter comme des solutions d'avenir. Pour intégrer ces défis environnementaux, nous travaillons notamment sur la valorisation du carbone car nos sols sont des puits de carbone et nous avons un impact positif. Dans ce sens, nous apportons un diagnostic carbone aux agriculteurs, élaboré par le ministère de l'Agriculture et les projets avancent pas à pas.
Des outils existent-ils pour accompagner les agriculteurs dans ces nouveaux défis ?
L’ensemble des dispositifs d’accompagnement de la Chambre d’agriculture sont regroupés sous la bannière « Point Accueil Installation Transmission (PAIT) ». C’est la porte de tout porteur de projet ou cédant. Pour être plus efficient, nous avons instauré le « parcours installation » qui rassemble toutes les démarches indispensables pour le candidat à l’installation ou à la transmission. Beaucoup de personnes font le choix du retour à la terre, qu’elles soient issues du milieu agricole ou non, les métiers de l’agriculture sont très attractifs. L’agriculteur n’est jamais seul dans son parcours d’installation. Même après son installation, en parallèle du suivi réglementaire qui dure 4 ans, notre équipe juge important de garder contact.Nous travaillons en étroite collaboration avec les banques, la Région, le Département, la Chambre de commerce et d'industrie, qui facilitent le montage de projets. Et il est essentiel de maintenir ce dynamisme économique : deux exploitations sur trois sont reprises dans la Somme. Si nous prenons un peu de recul, l'objectif de la transmission est de garder la diversité des exploitations sur le territoire pour maintenir notre potentiel. Et puis notre rôle est aussi de chercher les innovations et les expérimenter dans les fermes de la Somme pour tester leur bien-fondé. Nous travaillons notamment avec les instituts techniques dans ce sens pour penser cet avenir, et nous analysons leurs résultats pour en tirer parti pour notre territoire, notamment sur la gestion de l'eau, grand défi pour les agriculteurs car avec le réchauffement, nous devons nous adapter, ce qui se fait petit à petit. Au total, nous sommes 70 personnes qui accompagnent les agriculteurs, avec un service de productions végétales, de productions animales, un pôle diversification, un bureau d'études, un service urbanisme (PLUI, ouvrage...), un service environnement, un service formation.
Le numérique fait aussi partie des nouvelles pratiques des agriculteurs...
Le numérique fait effectivement partie du quotidien des agriculteurs, les innovations servent à la gestion quotidienne de l’exploitation mais aussi à la pratique technique au champ. Nous sommes très impliqués dans l’agriculture de précision. A titre d’exemple, nous proposons aux agriculteurs la technologie du désherbage par drone pour cibler les chardons dans leurs betteraves sucrières. Cet outil a tenu ses promesses et nous travaillons à étendre ce service à des cultures de printemps comme le lin ou les pommes de terre. Cette innovation est prometteuse puisqu’elle permet d’éviter la phytotoxicité de la culture lors du passage d’herbicide. Nous avons cette neutralité pour présenter l'utilité de certaines innovations pour les cultures, ce qui permet de conseiller pour chaque cas précis. Nous sommes aussi investis dans la culture de précision qui se fait à l'aide de robots et nous instaurons des plateformes d'essais pour ces robots, qui participent à l'agriculture de demain. La robotisation est actuellement à l’essai sur le sujet de la gestion de l'eau avec le robot d'irrigation Osiris qui permet par exemple de travailler sur la réinfiltration de l'eau dans les nappes. Sans oublier, le lancement de notre application mobile Mon Conseil Agri à destination de tous les agriculteurs, téléchargeable gratuitement depuis son smartphone et sur laquelle l’agriculteur peut retrouver tous les conseils techniques, règlementaires et l’ensemble des actualités et documents utiles à son exploitation.
Quelle est la force du territoire ?
En Hauts-de-France, nous avons gardé une agriculture diversifiée : élevages, légumes, céréales avec de nombreuses reconnaissances du savoir-faire comme la marque Baie de Somme Saveurs. Notre Chambre d’agriculture s’efforce d’engager un maximum de producteurs dans la recherche de valeur ajoutée à travers la diversification des cultures, des élevages et des circuits de commercialisation. Aussi, rapprocher producteurs et consommateurs et remettre l’approvisionnement local au cœur de nos habitudes de consommation fait partie de notre leitmotiv. Dans un département traditionnellement tourné vers les grandes filières, la diversification des exploitations agricoles vers les circuits courts et vers l’accueil à la ferme est un challenge de taille qui a été initié depuis plus de dix ans et accentué ces cinq dernières années. Nous partageons cette ambition avec le Conseil départemental à travers la démarche « Somme Produits Locaux » pour que les collégiens retrouvent le bon goût des produits de nos fermes, ou encore avec le site de commande Approlocal.fr qui facilite l’achat de produits locaux et la mise en relation des acheteurs et des fournisseurs. Plus de 400 producteurs ont été ou sont actuellement suivis et accompagnés par nos conseillers pour vendre dans ses filières alimentaires de proximité et accueillir les consommateurs et citoyens au sein de leur exploitation. Aussi, les crises à répétition auxquelles sont confrontés les territoires appellent à une prise de conscience urgente sur la manière dont nous organisons et orientons notre système alimentaire, c’est pourquoi le dispositif Projet alimentaire territorial (PAT), issue de la loi d’avenir d’octobre 2014, fait partie de nos outils de la reterritorialisation de la politique alimentaire. A ce jour, la Chambre d’agriculture en compte deux (Amiens Métropole et PNR de la Baie de Somme) et participe à trois autres PAT sur le territoire. Notre force est aussi et surtout nos jeunes formés qui développent de nombreux projets et de nouveaux modèles ! Ils sont notre fierté et nous devons écouter leur vision. Aujourd'hui, les nouveaux agriculteurs sont des agriculteurs individuels, ce n'est plus nécessairement des exploitations familiales. Le monde change, l’agriculture change et nous devons prendre la mesure de ces changements et repenser nos accompagnements en fonction de cela. C’est aussi cela notre force, l’agilité de notre Chambre d’agriculture à répondre au plus près aux problématiques rencontrées par les agriculteurs. Pour ce faire, nous travaillons avec l'administration pour plus de souplesse et de compensation face à des décisions qui peuvent fragiliser nos exploitations. Par exemple, le fait d'avoir arrêté la ferme des 1 000 vaches est un signal négatif pour nos jeunes. Je suis persuadée que ce n’est pas la taille de l’élevage qui contribue au bien-être animal mais plutôt le bien-être de l’éleveur qui contribue au bien-être animal. Finalement, je pense qu'il faut faire preuve d'intelligence collective pour pérenniser nos agricultures car nous avons tout intérêt à garder le dynamisme agricole que l’on reconnait à notre territoire. Autre exemple, l'élevage hors sol (les porcheries, les poules pondeuses), c'est du circuit court, et je regrette qu'il ne soit pas suffisamment mis en avant. Il faut aussi mettre en avant nos bonnes pratiques, je pense à l’utilisation de nos céréales pour nourrir nos bêtes, qui participent à l’amendement de nos terres.
Participez-vous à des projets de territoire ?
Effectivement, nous travaillons également pour les collectivités dans l'optique d'être un levier de mise en place de projets de territoire. La Chambre d’agriculture de la Somme a constitué en 2021 un Groupement d’Utilisation de Financements Agricoles, autrement dit un fonds d'investissement pour accompagner les démarches entrepreneuriales, innovantes et collectives des agriculteurs samariens, en partenariat avec d'autres acteurs (Crédit Agricole, FDSEA, etc…). Nous sommes une des seules Chambres d’agriculture de France à avoir pris cette initiative. En participant au capital d’entreprises agricoles, ce financement renforce les fonds propres d’entreprises agricoles, accroit leur capacité d’investissement et de développement. Aussi, notre bureau d’études Terralto travaille au service des collectivités : études érosion, études de zones humides, diagnostics agricoles, mesures de compensation, reconstruction parcellaire, sont autant de sujets travaillés avec les collectivités dans le cadre de leurs projets d’aménagement et d’urbanisme. Par exemple, nos ingénieurs Terralto travaillent actuellement avec une collectivité sur une étude de la gestion des eaux pluviales suite aux inondations de cet hiver, dans le cadre du PLUI. Aussi, le projet canal Seine-Nord Europe est un sujet d’importance pour notre Chambre : nos ingénieurs ont sondé les sols avant l'aménagement du canal. Notre Chambre d’agriculture assure un relai permanent entre les agriculteurs et la Société du canal pour anticiper, évaluer les pertes et compenser les préjudices liés au canal. 8 protocoles d’accord ont été signés entre VNF, la Société du canal et la profession agricole. Dans ce sens, nous avons fait des réserves foncières pour ce projet, pour faire du canal une opportunité pour les agriculteurs. Comment minimiser les impacts négatifs, créer un aménagement efficient, créer des outils de gestion de l'eau, comment aménager les bords du canal sont autant de sujets sur lesquels nous intervenons.
Quels sont les défis à venir pour l'agriculture ?
Les nouveaux défis s'articulent autour du changement climatique et notamment la gestion de l'eau : c'est un des plus grands défis de l'agriculture pour lequel le secteur a son rôle à jouer. Dans ce sens, notre Chambre participe aux discussions sur la gestion de l'eau avec les instances publiques. Nous sommes favorables, et nous l'utilisons d'ailleurs, à la gestion volumétrique qui est beaucoup plus efficiente. Des expérimentations sur différents systèmes d’irrigation en pommes de terre et autres légumes sont également menées par nos ingénieurs. Les récentes Assises de l'eau avec le Préfet de la Somme montrent que nous sommes impliqués et porteurs de solutions. Par ailleurs, la réinfiltration de l'eau en est une par une évolution des pratiques culturales. Pour conclure, les défis sont de taille, et c’est une stimulation supplémentaire pour nos agriculteurs. Il nous fait avoir une vue d’ensemble sur l’amont et l’aval des évènements et veiller à bien conserver la complémentarité en culture et élevage qui est une véritable richesse de notre territoire. C’est un challenge à la portée de nos agricultrices et agriculteurs et de nos jeunes. Les collaborateurs de notre Chambre d’agriculture disposent d’expertises techniques pointues pour accompagner nos agricultures à relever les défis. Nous avons toutes les clés pour réussir !