Olivier Torrès, universitaire «Pmiste» et président-fondateur d’Amarok
«La capacité des dirigeants à s’adapter, à rebondir a augmenté avec la crise»
L’observatoire Amarok de Montpellier, dédié, depuis 2009, à la santé physique et mentale desnon-salariés vient de publier une étude sur l’état de santé des dirigeants de PME(*) et a lancé un dispositif e-santé de prévention. Entretien avec son président.
Quels sont les principaux résultats de votre dernière étude ?
Les chefs d’entreprise font face à un niveau d’épuisement professionnel ou burnout élevé, jamais observé jusqu’alors. L’épuisement habituel lié à une suractivité s’est transformé en un épuisement d’empêchement où les sentiments d’impuissance et d’être coincé prennent le pas sur la déception et la lassitude. Les chefs d’entreprise sont victimes du «syndrome d’empêchement», déjà mis en évidence lors du premier confinement, lié à ces deux sentiments. Des résultats qui contreviennent à l’essence même de l’esprit entrepreneurial qui se caractérise généralement par un sentiment de maîtrise de son destin. Par ailleurs, les chefs d’entreprise sont en «hypervigilance informationnelle, ils s’informent plus», et en «hypovigilance entrepreneuriale» : ils ont tendance à laisser leurs idées nées de ces informations à l’état d’idées et ne les transforment pas en opportunités. La crise atrophie donc leur capacité de rebond et leur «vigilance entrepreneuriale», c’est un danger réel pourla relance économique. Celle-ci ne doit pas être seulement keynésienne, soit consister à injecter de l’argent public dans l’économie,mais passer par l’économie réelle.
Ya-t-il néanmoins des points positifs que vous avez pu relever ?
Lors de la première enquête d’avril 2020, 9,6% des entrepreneurs interrogés avaient constaté une augmentation significative de leur chiffre d’affaires avec la crise. Il faut également prendre en compte la «salutogenèse», soit les facteurs qui sont bons pour la santé. Dans le capital salutopreneurial que nous avons également cherché à mesurer, seul l’optimisme des dirigeants a flanché, tout comme l’auto-efficacité qui s’est légèrement affaissée. En revanche, leur capacité à s’adapter, à résoudre des problèmes, à assumer les conséquences de leurs actions et à leur donner du sens, la résilience, soit la capacité à rebondir face aux difficultés, ont augmenté avec la crise, ce qui constitue de bonnes nouvelles.
Vous avez lancé un nouveau dispositif pour évaluer la santé des dirigeants ?
Il s’agit du «dispositif Amarok e-santé» pour évaluer la santé globale des chefs d’entreprise, avec un système de dépistage intégré du risque de burnout. Concrètement, les dirigeants reçoivent par mail l’outil comprenant 58 questions liés à des événements de leur vie professionnelle positifs (satisfacteurs) et négatifs (stresseurs), auxquels ils ont été confrontés. Sur la base de leurs réponses, nous établissons un score et si celui-ci est négatif se déclenche le dépistage du burnout. Si le seuil d’alerte est atteint, le dirigeant reçoit une invitation à contacter un service d’écoute ou sera directement rappelé par le service en question. L’objectif est de passer de la «main tendue» à la «main saisie». C’est un outil gratuit pour les chefs d’entreprise puisqu’il est financé par les partenaires. L’Agefice (Fonds d'assurance formation du Commerce, de l'Industrie et des Services) a déjà adopté le dispositif, tout comme les 23 services de santé au travail d’Occitanie - Présanse. Des discussions sont également en cours avec le monde agricole. Nous espérons nouer d’autres contrats de partenariats, dans les autres départements.
Quels sont les déterminants de la dégradation de la santé des chefs d’entreprise ?
Étonnamment, le risque de dépôt de bilan impacte davantage la santé du chef d’entreprise que le risque de contracter gravement la Covid-19. Ce résultat montre à quel point le chef d’entreprise est attaché à son entreprise. In fine, ce n’est plus le travail en lui-même qui est épuisant, mais la crainte de ne pouvoir bien travailler (empêchement) ou de ne plus travailler (dépôt de bilan) qui épuise le plus les chefs d’entreprise.
Les entrepreneurs constituent-ils une population plus fragile face à la crise ?
Le résultat précédent ne fait que confirmer le rapport existentiel que les entrepreneurs, dirigeants et propriétaires d'entreprise, vouent à leur travail et à leur entreprise. Ils sont engagés à la fois au niveau social et capitalistique et se voient comme la «somme de leurs actes», c’estla définition de Sartre de l’existentialisme. Ils parlent de résultats, de chiffre d’affaires, de nombre de salariés, de production, de levées de fonds… La crise peut présenter des risques supplémentaires pour eux, d’autant plus que cette population est plus âgée, travaille plus longtemps que les salariés et qu’elle est plus sensible à l’économie, du fait de son engagement social, lorsqu’ils ont des salariés, et patrimonial dans leur entreprise.
Propos recueillis par Charlotte DE SAINTIGNON
(*) 2e enquête nationale Covid-19 «Entrepreneuriat français, relance économique et vaccination» (Observatoire Amarok et Labex Entreprendre de l’Université de Montpellier), réalisée en ligne du 11 janvier au 2 février 2021 auprès de 1 065 chefs d’entreprise dont 41,87 % de femmes, avec un effectif salarié moyen de 7,28 salariés.