L’UE en perte de compétitivité

Malgré le décrochage de la compétitivité de l’UE et la dépendance économique accrue aux États-Unis, les Européens, embarrassés par le retour de Trump, n’arrivent pas à s’entendre sur une stratégie commune pour changer de modèle socioéconomique.

(c) adobestock
(c) adobestock

L’Union européenne (UE) décroche ! C’est ainsi que l’on pourrait résumer le rapport de l’ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi. Chargé par la Commission européenne d’analyser la perte de compétitivité de l’UE, il propose plusieurs pistes — pas toutes convaincantes — pour enrayer ce déclin. Nonobstant les nombreuses divergences entre les 27, Ursula von der Leyen, a décidé de faire de ces propositions la feuille de route de son second mandat à la tête de l’exécutif européen, espérant de la sorte extraire au plus vite l’économie européenne de l’ornière. Or, au vu des échecs économiques européens pointés par Mario Draghi, il eût été préférable d’inclure la problématique de la compétitivité dans un débat de fond pour aboutir à un nouveau modèle socioéconomique européen.

Les composantes de la compétitivité

Pour une entreprise, la compétitivité désigne sa capacité à vendre durablement ses produits à un prix supérieur à ses coûts, en faisant face à la concurrence. Chemin faisant, elle peut être divisée en deux composantes : la compétitivité-prix, qui repose sur l’évolution des prix domestiques comparée à l’évolution des prix dans les pays concurrents et la compétitivité hors-prix, qui trouve son origine dans d’autres déterminants que le prix, comme l’innovation, la qualité, le niveau de gamme, etc.

Trop souvent encore, les gouvernements concentrent leurs aides sur l’amélioration de la seule compétitivité-prix au travers principalement de réduction de cotisations sociales et de subventions, la dévaluation de la monnaie n’étant plus possible au sein de la zone euro. De la sorte, ils négligent que le nerf de la compétition économique n’est pas uniquement les coûts, mais le couple coûts de production/niveau de gamme. C’est d’ailleurs sur ce constat que l’Allemagne avait bâti son modèle économique sous le chancelier Schröder, misant sur des exportations industrielles de qualité pour échapper à la mortifère concurrence par les prix. Stratégie gagnante jusqu’au jour où la Chine s’est éveillée à la production de biens de qualité à prix réduit…

Que faut-il alors entendre par compétitivité d’un pays ? Le plus souvent, il s’agit de sa capacité à exporter sur les marchés internationaux, ce qui laisse entendre qu’un excédent de la balance commerciale est signe de bonne santé économique. L’Europe fournit une preuve éclatante du contraire, dans la mesure où la zone euro se caractérise, depuis le début des années 2010, par un excédent structurel de sa balance courante qui, pourtant, est loin d’aller de pair avec une bonne santé économique. Bien au contraire, les nuages noirs se sont amoncelés, entre croissance poussive, investissement en berne et défaillances des entreprises. Quant aux entreprises européennes exportatrices, elles se battent actuellement bien plus pour empêcher le recul de leurs parts de marché face à la concurrence que pour en gagner.

Des solutions pas à la hauteur

Le rapport Draghi met en avant les enjeux du nouveau contexte socioéconomique mondial (recomposition du commerce international, approvisionnement plus coûteux en énergie…) et en déduit la nécessité d’apprendre des échecs de l’UE : investissement et innovation trop faibles, absence d’une véritable politique industrielle européenne, vieillissement démographique, dépendance accrue aux technologies détenues par quelques sociétés de la Big Tech, etc.

Pour ce faire, il préconise essentiellement une relance de l’innovation au moyen d’une mise en commun partielle des dépenses de R&D et des règles de financement, solution difficilement praticable au vu de l’hétérogénéité au sein de l’UE. À cela s’ajouterait une relance massive de l’investissement par un grand emprunt commun européen, proposition chimérique tant l’Allemagne y est opposée par principe. Il est ensuite question de développer de véritables politiques industrielles et commerciales européennes, serpents de mer de la politique qui demeureront des vœux pieux. Quant à sa proposition de réduire les obstacles réglementaires « particulièrement lourds dans le secteur technologique », c’est précisément ce dont rêvaient les dirigeants des sociétés de la Big Tech américaine. Ursula von der Leyen a pour ainsi dire devancé l’appel, puisqu’elle vient d’annoncer la mise en pause des enquêtes en cours contre Meta, Apple et X. Il est vrai qu’Elon Musk, même s’il suscite de l’aversion lors de ses prises de positions politiques en Europe, n’en reste pas moins un homme dont on se méfie en raison de sa proximité avec Trump.

Seule certitude, le nombre de réunions européennes non concluantes pour s’entendre sur une réponse commune face au danger Trump démontre, jusqu’à l’absurde, que les dirigeants européens ne voulaient pas croire en l’éventualité de sa victoire et se retrouvent là embarrassés…

À bien y regarder, la feuille de route européenne pour renouer avec la compétitivité ressemble plus à une fuite en avant qu’à un indispensable changement de modèle face à l’impérialisme de la Chine et des États-Unis.