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L’exercice abusif du droit de retrait justifie-t-il le licenciement ?

L’existence d’un danger grave et imminent permet au salarié de se retirer de son poste de travail. Mais les conditions de recours à ce dispositif étant naturellement appréciées par le salarié lui-même, l’exercice de ce droit de retrait peut parfois être abusif, et donc fautif. Le Conseil d’État* a récemment admis que cette faute peut justifier le licenciement, y compris d’un salarié protégé.

©Magnus Møller
©Magnus Møller

Le droit de retrait, reconnu par le législateur avec la loi du 23 décembre 1982 est désormais codifié à l’article L. 4131-1 du Code du travail. Ce dispositif ne peut être déclenché par le salarié qu’en cas de «situation de travail» présentant «un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé», ainsi que de «toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection»

Conformément à la circulaire n° 93/15 du 25 mars 1993 , il faut entendre par «grave» tout danger susceptible de produire un accident ou une maladie entraînant la mort ou paraissant devoir entraîner une incapacité permanente ou temporaire prolongée, et comme «imminent» tout danger susceptible de se réaliser brutalement dans un délai rapproché.

Les conséquences d’un droit de retrait

Le dispositif légal prévoit, pour le salarié qui désire s’en prévaloir, à la fois un droit mais aussi une obligation : d’une part, celui-ci est tenu d’alerter immédiatement son employeur de la situation ; d’autre part, il peut se retirer d'une telle situation et l’employeur ne peut lui demander de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste le danger grave et imminent. 

La Cour de cassation retient que le licenciement d’un salarié ayant légitimement recouru à son droit de retrait est nul (Soc., 25 nov. 2015, n° 14-21.272). A contrario, dans l’hypothèse où un salarié fait usage de son droit de retrait alors qu’il apparaît que les conditions ne sont pas réunies, le «retrait» s’analyse donc comme une absence injustifiée de l’intéressé à son poste de travail. L’employeur peut donc légalement opérer une retenue sur salaire (Soc., 11 juillet 1989, n° 86-43.497, Bulletin 1989 V N° 516), peu important qu'il reste à la disposition de l'employeur (Crim., 25 novembre 2008, n° 07-87.650, Bull. crim. 2008, n° 239). 

Dans les cas les plus extrêmes, ce retrait pourra même constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement (Soc., 17 octobre 1989, n° 86-43.272 ; Soc., 20 janvier 1993, n° 91-42.028, Soc., 21 janvier 2009, n° 07-41.935).

Le statut des salariés protégés

Pour rappel, selon le Code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle.
D’un point de vue procédural, cette protection prend d’abord la forme d’une nécessaire demande d’autorisation à l’inspection du travail, lorsque l’employeur souhaite procéder à leur licenciement. Sur le fond, ensuite, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit évidemment pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. 

Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail de rechercher si les faits reprochés au salarié sont d'une «gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi». Il doit aussi vérifier qu'il n'est pas en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec son appartenance syndicale.

L’autorisation de licenciement, en cas de retrait abusif

Dans le cas où l’inspection du travail est saisie d'une demande d'autorisation de licenciement pour faute d'un salarié protégé, au motif de l'exercice irrégulier du droit de retrait par le salarié, il doit rechercher «si le salarié justifiait d'un motif raisonnable de penser que la situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé. Lorsque tel est le cas, l'autorité administrative ne peut pas autoriser ce licenciement.  Si tel n'est pas le cas, il appartient à l'administration, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de rechercher (...) si le comportement du salarié est constitutif d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier que son licenciement soit autorisé»

A noter : le juge administratif exerce un contrôle «normal» (et non restreint) sur l’appréciation des faits par l’administration. 

Ici, le Conseil d’État valide le licenciement en retenant que le salarié concerné avait usé de son droit de retrait «alors qu'il n'était qu'observateur des procédures de chargement et de déchargement en cours, au motif que l'employeur n'avait pas mis à sa disposition un "pull" et un "tee-shirt" en complément de sa veste et de son pantalon de protection, alors qu'il ressort de la notice des équipements de protection qu'il est seulement "souhaitable de porter, sous (la) tenue de protection, des matières qui ne risquent pas de fondre en cas d'élévation de température" et "déconseillé de porter la tenue à même la peau"».

* Conseil d’État, 28 mai 2024, N° 472007