Table ronde de l'Association des journalistes spécialisés dans les PME
L'Europe, quels enjeux pour les PME ?
Entre financements et lourdeurs administratives, l'Union Européenne (UE) constitue un cadre structurant, mais difficilement lisible pour les PME. Décryptage.
Qui savait que l'UE avait financé le plan « 1 jeune, 1 solution » (doté de 6,5 milliards d'euros), qui a permis à de très nombreuses PME d'embaucher des jeunes avec de fortes primes ? Probablement pas les 63% de dirigeants de PME qui estiment que l'appartenance à l’Europe n'a pas d'impact sur leur entreprise, selon un sondage réalisé en mars dernier par CCI France (Chambres de commerce). Le 23 mai, à Paris, l'AJPME, Association des journalistes spécialisés dans les PME, organisait une table ronde consacrée aux « Élections européennes : quels enjeux pour les PME ? » Et l'exemple du plan « 1 jeune, 1 solution » illustre la complexité d'appréhender et de qualifier l'influence pourtant bien réelle de l'UE sur la vie des PME, entre acronymes changeants, complexité des processus de décision et manque de visibilité et de lisibilité de son action.
Par exemple, des flux financiers ( y compris en subvention) que l'Union Européenne destine aux PME demeurent souvent invisibles. « Certains fonds européens sont distribués via les régions. Si ces dernières ne le précisent pas la provenance du financement auprès du bénéficiaire, il ne la connaîtra pas », illustre Alain di Crescenzo, président de CCI France. D'après les chiffres de la Commission européenne, cette dernière a notamment fléché 200 milliards d'euros vers les PME, via son budget et le plan de relance Next Gen EU, entre 2021 et 2027. Et la liste des outils- variés - destinés aux PME est longue. Par exemple, la Banque européenne d'investissement finance des PME innovantes. Le réseau Enterprise Europe Network (EEN) accompagne les PME européennes à l'innovation et à l'internationalisation, via 600 organisations, dont CCI France. Des PME peuvent aussi participer à des programmes comme celui successivement nommé « Horizon 2020 », puis « Horizon Europe » : encourageant la collaboration entre les pays, ils financent des projets de recherche et d'innovation montés à plusieurs, dans une optique de commercialisation.
L'exemple double face de l'énergie
Ces programmes ont fortement contribué à la stratégie de DualSun, entreprise cofondée par Lætitia Brottier, en 2010 à Marseille. La société fabrique (en France) des panneaux solaires qui produisent de l'électricité et de l'eau chaude. Avec 80 collaborateurs et un chiffre d'affaires de 60 millions d'euros, la société vise aujourd'hui l'Europe. Elle vient d'ouvrir une filière en Finlande. Là bas, dans le cadre de « Horizon Europe », elle a déjà pu mettre au point, avec des partenaires locaux, le fonctionnement corrélé de pompes à chaleur et de panneaux solaires. « Participer aux programmes européens nous a permis de disposer de références. Cela nous aide à aller sur ce marché, même si sur le plan commercial, tout reste à faire », témoigne Lætitia Brottier. Sur le plan financier, l'UE a financé les projets de DualSun à hauteur de 1,5 million d'euros au total (avec la participation à trois programmes). « Ce n'est pas simple. Cela représente un travail important et il faut avancer les fonds », précise Lætitia Brottier. Mais surtout, au delà de l'utilité des programmes d'accompagnement, « les décisions de l'Union Européenne sont déterminantes pour nous dans la mesure où l'énergie est un marché extrêmement régulé », explique-t-elle. Les directives sur les énergies renouvelables, tout comme celle sur la performance énergétique des bâtiments stimulent le marché de DualSun.
Au delà, toutes les PME, qu'elles qu'elles soient, sont impactées par le cadre européen en matière d'énergie. Lors de la flambée des prix de l'énergie engendrée par la guerre en Ukraine, « nous avons flexibilisé l'encadrement des aides d’État prévu par le Code de la concurrence pour permettre aux États d'aider les PME », précise la Commission européenne. La France a ainsi mis en place un « bouclier tarifaire » adressé aussi aux PME. A l'inverse, en 2022, le cadre européen en matière d'énergie est apparu contraignant : quand l’Espagne et le Portugal décrochaient du système tarifaire européen, la France y restait alors même que le nucléaire assure des coûts de production de l'énergie plus faibles que dans les pays qui dépendent des énergies fossiles.
Protéger et simplifier
Très spécifique, l'exemple de DualSun, est aussi représentatif de problématiques qui concernent toutes les PME dans leur rapport à l'Europe. «Auparavant, nous pouvions acheter tout ce dont nous avions besoin pour produire nos panneaux solaires. Nombre de nos partenaires ont disparu. Les Chinois sont devenus leaders. Il faut reconquérir ce terrain », se désole Lætitia Brottier. A la fin des années 2000, l'écosystème des équipementiers européens du photovoltaïque avait été littéralement balayé par une concurrence chinoise subventionnée, faute de mesures adéquates de la part de l'UE. Et la concurrence déloyale hors Union Européenne concerne potentiellement tous les secteurs. De fait, 43% des dirigeants de PME la qualifient comme l'une des leurs « inquiétudes prioritaires », selon l'étude de la CCI.
Autre souci partagé par les PME européennes, la complexité des démarches administratives. DualSun, qui travaille avec un réseau d'installateurs de ses panneaux photovoltaïques, la connaît bien. « Nous travaillons avec des artisans, des personnes qui aiment leur métier. Ils ne sont pas dans l'administratif. Répondre à un formulaire de 167 lignes, ils ne savent pas ! », témoigne Lætitia Brottier. « Simplifiez, s'il vous plaît (…) Les PME sont les grandes oubliées de l'économie européenne. Leurs besoins ne sont pas suffisamment pris en compte par rapport à ceux des grandes entreprises. Aujourd'hui, la majorité des dispositifs sont trop complexes pour une PME qui n'est pas structurée en conséquence », renchérit Alain di Crescenzo. D'après l'étude, 51% des entreprises attendent de la prochaine mandature européenne une simplification. Côté Commission européenne, on promet que celle-ci est à l'ordre du jour , déjà concrétisée par le principe : « One in, one out ». Plusieurs chantiers de simplification ont déjà été entamés. De plus, à l'agenda des prochains parlementaires européens, nouvellement élus, figurera notamment le « test PME » qui devrait être réalisé en amont de toute décision, afin d'en mesurer les impacts potentiels sur ces entreprises.