Conjoncture

L’énergie : ressource de base à prix de luxe

Depuis le début de l’année, les prix du pétrole, du gaz et de l’électricité ont très fortement augmenté, au point de mettre en péril la reprise économique…Décryptage de la flambée de la facture énergétique.

Sur le marché de référence du gaz en Europe, le TTF (Title Transfer Facility) aux Pays-Bas, l’indice Neutral Gas Price (NGP) a doublé entre septembre et mi-octobre. (c)AdobeStock
Sur le marché de référence du gaz en Europe, le TTF (Title Transfer Facility) aux Pays-Bas, l’indice Neutral Gas Price (NGP) a doublé entre septembre et mi-octobre. (c)AdobeStock

Alors que l’énergie avait connu une chute des prix importante en 2020, en raison de la crise sanitaire et de son cortège de confinements, l’année 2021 est celle de leur flambée ! À tel point que la Commission européenne recommande de baisser temporairement la fiscalité sur l’énergie et de redistribuer une partie de la somme aux ménages, au travers notamment de chèques-énergie et de baisses temporaires de la TVA ; ce qu’envisagent de faire presque tous les États européens.

Forte demande de pétrole

Après les restrictions à la production et aux transports au plus fort de l’épidémie de covid-19, les entreprises ont redémarré quasiment de concert leur production. D’où l’apparition de goulets d’étranglement sur les matières premières. Le pétrole, en particulier, demeure pour l’instant indispensable à l’activité, d’où une demande extrêmement forte partout dans le monde, renforcée par le prix élevé des autres sources d’énergie, comme vient de le confirmer un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Conjugué au jeu trouble des pays exportateurs de pétrole, rien d’étonnant à ce que tous ces facteurs propulsent le baril de Brent au-delà de 80 dollars (+ 70 %, depuis janvier), son plus haut depuis octobre 2018.

Les répercussions sur les agents économiques sont nombreuses. Tout d’abord, les prix du fioul domestique et des carburants ont rapidement augmenté. En France, selon une étude du ministère de la Transition écologique, une hausse de 1% du prix du gazole raffiné importé se traduit par une hausse de 0,75% du prix HT et de 0,3% du prix TTC du gazole à la pompe. 

En une semaine, 50% de l’ajustement de prix est déjà réalisé et l’étude conclut que la variation du coût de la matière première est totalement intégrée aux prix des carburants après quatre semaines. C’est dire l’effet ressenti depuis l’été ! Quant aux entreprises, leurs coûts de production augmentent, ce qui pourrait peser sur une reprise somme toute assez fragile, d’après le FMI.

De l’eau dans le gaz

Un chiffre qui donne le tournis : sur le marché de référence du gaz en Europe, le TTF (Title Transfer Facility) aux Pays-Bas, l’indice Neutral Gas Price (NGP) a doublé entre septembre et mi-octobre ! Cela donne une idée de l’envolée des prix du gaz depuis le début de l’année… 

Cette évolution des prix tient certes à la reconstitution de stocks, après un hiver relativement froid en Europe, et à l’augmentation du prix des quotas d’émission de CO2 incitant à privilégier le gaz pour la production d’électricité. Mais, c’est surtout la forte reprise économique en Asie, notamment en Chine, qui a conduit à une demande massive de gaz, conjuguée à celle des autres régions du monde — dont l’Europe — , dans la mesure où les contraintes environnementales incitent à privilégier le gaz à d’autres énergies. Cela n’aura néanmoins pas empêché de nombreux pays de faire tourner à plein régime leurs centrales à charbon…

Face aux critiques des dirigeants européens l’accusant de réduire les flux de gaz pour obtenir l’ouverture rapide de son gazoduc controversé vers l’Allemagne (Nord Stream 2), le président russe, Vladimir Poutine, répète à l’envi que cette situation en Europe résulterait principalement de l’absence de contrats de livraison à long terme de gaz avec son pays. Il est vrai que pour l’UE, l’équilibre entre dépendance au gaz russe et sécurisation des approvisionnements est difficile à trouver.

L’énergie, un marché pas comme les autres

Pour les ménages, la facture de gaz tient compte des coûts d’approvisionnement, de transport, de distribution, de stockage et de commercialisation, ainsi que de nombreuses et lourdes taxes. Comme la France importe la quasi-totalité de son gaz naturel, elle se retrouve donc soumise aux variations de prix sur les marchés de gros. Au total, début octobre, la douloureuse pour un ménage qui se chauffe au gaz avec des tarifs réglementés est en hausse d’environ 45% depuis le début de l’année. Et en ce qui concerne les fournisseurs alternatifs, il n’est pas certain qu’ils aient les reins suffisamment solides pour tenir encore bien longtemps…

Quant à l’électricité, la tarification au coût marginal sur le marché du gros implique de fixer le prix du MWh sur la centrale la plus chère, souvent au gaz. Dès lors, une hausse du prix du gaz fait monter le coût de production d’électricité par une centrale à gaz, d’où par répercussion une hausse des tarifs de l’électricité pour le client !

La situation actuelle rappelle donc avec force que l’énergie, en raison de son importance capitale dans l’économie et ses contraintes physiques d’exploitation, ne peut pas être régie par un marché en libre concurrence, comme une simple marchandise.