L’export, un ratage historique
Il y a quinze ans, France et Allemagne étaient au coude à coude en matière de commerce extérieur. Comment en arrive-t-on à la situation actuelle ? Débat entre Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur, des économistes de renom et des étudiants de Sciences-Po.
Plus 198 milliards d’euros d’un côté, moins 61 milliards de l’autre : ce sont les résultats des balances commerciales allemandes et françaises en 2013. Mais comment en arrive-t-on à ce résultat ? “Le commerce, c’est d’abord du flux”, insiste Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur, au démarrage de son intervention, lors du débat “Commerce extérieur et compétitivité française”, auquel elle participait aux côtés de deux économistes, Elie Cohen, directeur de recherche CNRS à Sciences- Po, et Lionel Fontagné, professeur à l’université Paris I, avec des étudiants. C’était le 20 février dernier à Paris, à Sciences-Po, à l’initiative du Centre d’études européennes de l’institution. Quelques chiffres donnés par Nicole Bricq illustrent la forte interdépendance entre les différents pays : 2 millions de salariés sur le territoire national travaillent dans des entreprises à capital étranger ; 30% des exportations françaises sont le fait d’entreprises étrangères implantées dans l’Hexagone. Une voiture fabriquée en France est composée à 40% de composants importés. Et de façon générale, d’après les études de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), les produits fabriqués en France comportent un quart de composants importés.
La culture commerciale et le tissu industriel. Résultat, un lien fort existe entre attractivité des territoires et compétitivité à l’international. Par ailleurs, pour Nicole Bricq, la mondialisation se traduit par “un impératif d’innovation” af in d’être en mesure de répondre à la demande des classes moyennes qui se développent dans les pays émergents. Pour le secteur des produits cosmétiques, par exemple, ce débouché pourrait représenter 1,8 milliard de consommateurs supplémentaires. Mais pour profiter à plein de la demande étrangère potentielle, il est nécessaire de mettre en phase les produits avec la demande mondiale et d’y intégrer du service. Or, “nous sommes une nation d’ingénieurs”, soupire Nicole Bricq, évoquant la difficulté de sensibiliser ses interlocuteurs à ces sujets. A ces réticences, s’ajoute une autre dimension, culturelle encore. “Nous avons un vrai problème avec le commerce, on est méfiant par rapport au mercantilisme, y compris dans l’administration”, commente la ministre.
Sur un plan plus pratique, pour Lionel Fontagné, le problème de l’export aujourd’hui n’est pas lié à un secteur en particulier, mais“c’est un problème d’entreprise (…). Les entreprises qui exportent sont plus efficaces que les autres. Donc, il faut rendre les entreprises plus efficaces”, explique-t-il. Or, le nombre d’entreprises exportatrices a chuté ces dernières années (à l’exception des deux dernières). Et la structure de l’export reste concentrée autour d’un petit nombre d’entreprises. Pour Nicole Bricq aussi, cette “fragilité” de l’export reflète finalement une “caractéristique de notre tissu économique. Les entreprises naissent, mais ne grandissent pas suffisamment”.
L’abandon du colbertisme et l’étape européenne. Mais les difficultés à l’export ne datent pas d’hier. Historiquement, les mauvaises performances de la France en la matière sont le résultat de “l’incohérence de la politique macro-économique des treize dernières années”, estime pour sa part Elie Cohen. D’après l’économiste, “au tournant des années soixantedix, la France a abandonné la stratégie colbertiste qui lui avait formidablement réussi, avec l’aéronautique, les transports, les télécommunications, l’énergie”. Bref, l’export c’est l’histoire d’un “ratage de la mondialisation française”. Parmi les étapes mal négociées de cette mondialisation, figure en bonne place celle de l’intégration européenne : “Nous n’avons pas tenu compte de la contrainte du Marché unique”, analyse Elie Cohen. “Il n’y a pas eu la prise de conscience que cela exigeait un effort de montée en gamme (…). C’est ce qu’on fait les Allemands”, confirme Nicole Bricq. Et la comparaison avec les voisins d’outre-rhin semble inévitable. Mais attention aux données trop simples. En Allemagne, on constate “un déséquilibre entre l’investissement et l’épargne. Ce pays ne dépense pas assez”, pondère Lionel Fontagné. En somme, l’important excédent de la balance commerciale ne représente pas nécessairement un gage de très bonne santé économique. Le déficit non plus…