L’accueil des gens du voyage par les communes de moins de 5 000 habitants

La question du stationnement des gens du voyage n’est pas que politiquement sensible. Elle est aussi juridiquement complexe. Tentons d’y voir clair s’agissant des communes – les plus nombreuses dans notre pays – à l’égard desquelles notre droit est particulièrement lacunaire, c’est-à-dire celles de moins de 5 000 habitants.

La loi n°2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage (communément appelée “loi Besson”) pose cinq règles essentielles. En premier lieu, les communes, toutes les communes, sont tenues de participer à l’accueil des gens du voyage (art.1.I). En deuxième lieu, un schéma départemental élaboré par le représentant de l’Etat dans le département et le président du conseil général prévoit les secteurs géographiques d’implantation des aires permanentes d’accueil et les communes où celles-ci doivent être réalisées. Figurent obligatoirement dans ce schéma toutes les communes de plus 5 000 habitants (art.1.II, al.2). Y sont inscrites également les communes de moins de 5 000 habitants pour lesquelles un besoin est identifié (art.1.II, al.1er). En troisième lieu, les communes figurant au schéma départemental sont tenues de participer à sa mise en oeuvre. Elles peuvent le faire selon trois modalités (art.2.I) : soit la commune met à disposition une ou plusieurs aires d’accueil, aménagées et entretenues; soit elle transfère cette compétence à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) “chargé de mettre en oeuvre les dispositions du schéma”; soit, enfin, la commune contribue financièrement à l’aménagement et à l’entretien des aires d’accueil “dans le cadre de conventions intercommunales.” En quatrième lieu, dès qu’une commune remplit les obligations qui lui incombent au titre du schéma départemental, son maire peut, par arrêté, interdire en dehors des aires d’accueil aménagées le stationnement sur le territoire de la commune des résidences du gens du voyage (art.9). Ces dispositions sont également applicables : d’abord, aux communes non inscrites au schéma départemental (donc forcément de moins 5 000 habitants) qui sont dotées d’une aire d’accueil; ensuite, à celles qui décident, sans y être tenues (donc, là encore, de moins de 5 000 habitants), de contribuer au financement d’une aire d’accueil ou qui appartiennent à un groupement de communes qui s’est doté de compétences pour la mise en oeuvre du schéma départemental; enfin, aux communes de moins de 5 000 habitants non inscrites au schéma départemental et qui, au surplus, comme la loi le leur permet, ne financent aucune aire d’accueil et n’appartiennent à aucun EPCI. En dernier lieu, la loi ouvre la possibilité (ce n’est donc qu’une faculté) au préfet de procéder, sans passer par le juge, à l’évacuation forcée des résidences mobiles des gens du voyage en cas de stationnement illicite. Pour cela, trois conditions doivent être réunies (art.9 et 9-1).
Première condition : la commune concernée doit avoir rempli ses obligations au titre du schéma départemental ou ne pas être soumise à de telles obligations (cas des communes de moins 5 000 habitants qui ne figureraient pas au schéma départemental).

Deuxième condition : le stationnement illicite doit être de nature à porter atteinte à l’ordre public. Troisième condition : le maire doit avoir pris un arrêté d’interdiction de stationnement en dehors des aires aménagées (cette dernière condition ne s’applique pas aux communes de moins de 5 000 habitants qui ne figureraient pas au schéma départemental). Ces règles posées, il importe d’en connaître l’application qu’en fait le juge, s’agissant des communes de moins de 5 000 habitants. Dans l’hypothèse où une telle commune n’aurait pas transféré sa compétence en matière d’accueil des gens du voyage à un EPCI, peut-elle être inscrite au schéma contre son gré ? A ce jour, des tribunaux administratifs l’ont clairement exclu (TA Versailles, 5 juin 2007, n°610279), prenant ainsi le contrepied de la position de l’Etat (voir, par exemple, rédigé par le préfet du Morbihan, “Le guide pratique de l’accueil des gens du voyage dans le Morbihan” avril 2011, p.4).
La position de ces tribunaux nous semble contestable pour trois raisons. D’abord, on l’a vu, les termes généraux de l’article 1er de la loi Besson (“les communes participent à l’accueil des gens du voyage”) interdisent d’exclure les communes de moins de 5 000 habitants d’une telle obligation. Par suite, on ne voit pas ce qui exclurait leur intégration dans un schéma. Ensuite, si ce même article impose l’intégration des communes de plus de 5 000 habitants dans ledit schéma, il n’exclut pas que les autres, “au vu d’une évaluation préalable des besoins et de l’offre existante” y figurent aussi. Enfin, si la loi prescrit que les communes concernées par le schéma doivent être consultées pour avis, rien ne dit que préfets et présidents de conseils généraux ne puissent passer outre. Il en a d’ailleurs été jugé ainsi dans l’hypothèse où la compétence “gens du voyage” avait été transférée par une commune à un EPCI. Ainsi, un schéma départemental révisé a pu, postérieurement au transfert de la compétence susdite, valablement positionner une aire de passage sur le territoire d’une commune de moins de 5 000 habitants, malgré l’avis défavorable que celle-ci avait émis (CAA Bordeaux, 26 mars 2013, req. n°11BX03273). Ce même arrêt nous apprend que le contrôle du juge sur le choix de la localisation de l’aire d’accueil est léger, seule une erreur grossière pouvant être sanctionnée.

Autre précision apportée, cette fois, par la Cour administrative d’appel de Lyon, aux termes d’un arrêt du 24 novembre 2011 (n°10LY01887) : une commune de moins de 5 000 habitants non inscrite au schéma départemental peut bénéficier de la procédure d’évacuation forcée, quand bien même les aires d’accueil prévues audit schéma n’auraient pas été réalisées, ou que le maire de la commune concernée n’aurait pas édicté d’interdiction de stationnement. Enfin, deux décisions importantes méritent d’être rapportées. Celle-ci d’abord : quand des communes ont transféré leur compétence “gens du voyage” à un EPCI, ce dernier est alors seul compétent pour choisir le terrain d’implantation de l’aire d’accueil, dans le respect des prescriptions du schéma départemental. L’EPCI peut ainsi légalement choisir de réaliser ladite aire mise à la charge d’une de ses communes (de plus de 5 000 habitants) membres figurant au schéma sur le territoire d’une autre de ses communes membres, non inscrite au schéma (donc de moins de 5 000 habitants), sous réserve que cette commune d’implantation de l’aire soit incluse dans le même secteur géographique que la commune figurant au schéma (CAA Lyon, 10 juin 2010, n° 08LY01791, Cne de Saint-Rémy- Rollat ; CE, 5 juillet 2013, n°346695, Communauté de communes de Dinan). Puis, cette dernière décision récemment rendue : dès lors qu’une commune (quel que soit son nombre d’habitants), membre d’un EPCI, a respecté l’obligation d’implantation d’une aire d’accueil prévue par le schéma départemental et une délibération de cet EPCI, elle peut légalement solliciter l’expulsion administrative issue de la loi Besson, alors même que les obligations pesant sur les autres communes membres de cet EPCI au regard du schéma départemental n’auraient pas été remplies (CAA Douai, n°12DA01228, 1er octobre 2013).
Ultime conseil : une commune de 5 000 habitants qui ne serait pas inscrite dans un schéma départemental et qui ne se verrait imposer aucune obligation d’installation d’aire d’accueil par l’EPCI dont elle serait membre, devra tout de même permettre la halte des gens du voyage sur des terrains (même sommaires) qu’elle leur indiquera pendant une période minimale de 48 heures (CE, 2 décembre 1983, n°13205, Ville de Lille c/ Ackermann). Cela ne fera que renforcer la position de cette commune en cas de stationnement illégal des gens du voyage sur son territoire. Les préfets sont, de fait, plus favorables au recours à la force publique en pareil cas.

Par Me Etienne COLSON, avocat au Barreau de Lille (contact@colson-avocat.fr)