Economie
L’autoroute doit-elle financer le rail ?
Alors que la France n’en finit pas d’élaborer son budget pour l’année en cours, un mur d’investissements serait nécessaire pour renforcer les infrastructures de transports, les routes comme le rail. Une ressource semble toute trouvée : les péages autoroutiers, alors que les concessions se terminent dans les années 2030.
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« Un réseau sûr, efficace, dont nous sommes fiers et qui contribue à l’attractivité de la France ». C’est en ces termes que le ministre des Transports, Philippe Tabarot, décrit les
9 000 kilomètres d’autoroutes concédées à des sociétés privées, un peu plus d’un mois après sa prise de fonction. En revanche, « on ne peut pas dire la même chose des routes nationales ni du réseau ferré, avec 16% des voies en fin de vie », admet-il. Ce constat alarmiste est partagé par tous les participants au débat organisé le 28 janvier par TDIE, un groupe de réflexion spécialisé dans les transports. Les pouvoirs publics le répètent depuis des années : le secteur, qui pèse pour un tiers dans les émissions de gaz à effet de serre du pays en raison de l’usage massif des véhicules motorisés, doit être « décarboné ». Une étude de Santé publique France, publiée le 29 janvier, rappelle par ailleurs l’impact de la pollution de l’air, dont le trafic routier est l’une des causes majeures, sur la santé des enfants comme des adultes, pour un coût estimé de 13 milliards d’euros par an.
Les opérateurs de transports publics, qui prônent un « report modal » de la route vers les transports collectifs, réclament dès lors un « choc d’offre » qui consiste davantage à assurer l’entretien des lignes ferroviaires existantes et multiplier les cadencements qu’à créer de nouvelles voies. En vain. En février 2023, la Première ministre, Elisabeth Borne, annonçait certes un plan de 100 milliards d’euros pour le ferroviaire, mais son financement n’a jamais été concrétisé. En octobre 2024, le ministre des Transports, François Durovray, laissait entendre que les impératifs budgétaires ne permettaient plus d’honorer la promesse. Par ailleurs, les ressources qui contribuent au budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport (Afit) sont en passe de s’amenuiser. La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), perçue notamment sur le carburant, a vocation à se réduire à mesure de l’électrification du parc automobile, sans compter les coups de rabot de Bercy. Quant aux recettes des péages autoroutiers, qui alimentent également le budget de l’Afit, elles butent sur la fin annoncée des principales concessions, entre 2031 pour la Sanef et 2036 pour les Autoroutes du sud de la France.
Quel sort pour le péage ?
Pour enrichir le débat, l’association TDIE a confié à Thierry Dallard, ancien président de la Société du Grand Paris (SGP, devenue fin 2023 la Société des grands projets), la rédaction d’un rapport sur le financement « des investissements nécessaires à la transition écologique des transports ». La France fait face à « des besoins colossaux », assure l’auteur du rapport, qui, entouré d’une équipe d’experts, les évalue à 40 milliards d’euros par an, entre 2035 et 2050, soit 1,5% du PIB.
Les experts ont imaginé plusieurs solutions, aussitôt écartées : une augmentation de la TVA, inenvisageable compte tenu de la tournure que prend la discussion budgétaire, une fiscalité basée sur les émissions de carbone, au risque de réveiller les « gilets jaunes », ou le remplacement de la TICPE par une taxe au kilomètre parcouru, un choix tout aussi inflammable.
Les regards se tournent donc vers les autoroutes. Les sociétés concessionnaires, créées dès la construction des premiers tronçons, ont été privatisées au début des années 2000. S’il juge « difficile d’ajouter une taxe sur quelque chose qui est gratuit », Thierry Dallard estime en revanche « plus facile de maintenir une contribution » existante, « en travaillant sur son acceptabilité ». S’il était maintenu à un niveau inférieur à ce qu’il est aujourd’hui, le péage post-2031 ne servirait plus à rembourser les travaux de construction des autoroutes, mais à maintenir le réseau en état. Il pourrait, en outre, financer le réseau routier non concédé, voire les transports publics. C’est la solution préférée par Louis Nègre, président du Groupement des autorités responsables des transports (Gart), qui rassemble les collectivités locales : « Il est paradoxal de se demander où trouver de l’argent pour les transports publics dans un pays qui puise 60 milliards d’euros par an sur la mobilité », notamment par l’acquisition et l’usage de la voiture. Pour lui, « la mobilité pourrait payer la mobilité », comme cela se fait en Suisse, où les automobilistes contribuent à l’entretien du réseau ferré. Ce n’est évidemment pas l’avis d’Arnaud Quémard, directeur général du groupe Sanef, qui se fait le porte-parole des usagers : « ils veulent que l’argent de la route aille à la route ».
Tous les intervenants s’accordent sur le fait que l’accès aux autoroutes doit rester payant. Cet avis n’est pas partagé par toute la classe politique. L’ancien député de la majorité David Valence, qui a présidé le Conseil d’orientation des infrastructures, résume les enjeux : « Deux offres politiques proposent, la gratuité pour les uns, la nationalisation pour les autres », dit-il, citant, sans les nommer, le Rassemblement national et la France insoumise. « La gratuité serait un échec collectif terrible », résume le sénateur socialiste de Meurthe-et-Moselle, Olivier Jacquin. En Espagne, où les autoroutes sont gratuites depuis 2021, « les accidents sont plus nombreux, les bouchons augmentent, on ne voit pas encore la dégradation de l’infrastructure, mais l’entretien n’est plus aussi performant », affirme Arnaud Quémard, à la Sanef. Et le réseau routier espagnol, par définition, ne finance pas le réseau ferré.