L’autonomie en tant que stratégie d’entreprise
Réindustrialisation, relocalisations, innovation… Certaines stratégies de développement des entreprises favorisent leur autonomie économique. Un bon moyen de sécuriser ses activités, en temps de crises, et de contribuer à la souveraineté de la France et de l’Europe.
La crise sanitaire et le conflit en Ukraine ont violemment mis en lumière la vulnérabilité et les dépendances des entreprises françaises et européennes, aussi bien en matière d’approvisionnement et d’accès aux marchés que de risques numériques et d’ingérences étrangères. C’est sur la base de ce constat que le Medef et l’ESSEC Business School ont organisé, le 5 avril dernier, une matinée d’échanges sur l’autonomie des entreprises et leur contribution à l’autonomie stratégique de la France et de l’Europe.
Être autonome : un enjeu d’entreprise
«Les menaces sont considérables et elles touchent toutes les entreprises», a déclaré Laurent Giovachini, directeur général adjoint de Sopra Steria, président de Syntec et co-président de la Commission souveraineté et sécurité économiques du Medef. Pour une entreprise, le chemin vers l’autonomie s’articule, selon lui, autour trois grands enjeux.
Tout d’abord, «nous devons protéger nos données et nos actifs», a-t-il expliqué. Pour ce faire, le Medef a récemment édité, un guide «qui aide les entreprises à définir ce que sont leurs données sensibles, leurs données stratégiques», élaboré avec la Direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l’Économie, dans le cadre de la réforme de la loi dite «de blocage». Ensuite, «il faut être conscient de ses dépendances, les connaître et les réduire autant que possible, et surtout les assumer et les maîtriser», c’est-à-dire qu’«il faut admettre un certain nombre de dépendances parce qu’elles sont dans notre intérêt ou parce qu’on n’a pas le choix».
Enfin, «il faut chercher à créer les leaders technologiques mondiaux de demain, en France et en Europe», en s’appuyant, notamment, sur une politique industrielle et d’innovation qui «doit conduire à ce que nous, Européens, nous produisions des produits et des services à forte valeur ajoutée, pour rendre le reste du monde dépendant de nous». Sur ce terrain, le Medef est «très favorable aux partenariats publics-privés», tel que l’initiative France 2030 et les Programmes importants d’intérêt commun (PIIEC) à l’échelle européenne.
Réindustrialiser pour réduire nos dépendances et redynamiser les territoires
La réindustrialisation «est une magnifique occasion non seulement de réduire nos dépendances et d’assumer notre souveraineté, mais aussi de remettre de l’emploi au plus près des territoires, de revitaliser nos tissus économiques locaux», a poursuivi le représentant du Medef. Et ce, en privilégiant «les villes moyennes» : «ce n’est pas la peine de remettre de l’industrie dans les grandes métropoles, elles n’en ont pas besoin».
La réindustrialisation de la France «est indispensable pour reconquérir un peu de souveraineté» et «pour les grands donneurs d’ordres qui veulent retrouver de l’autonomie», a souligné David Simonnet, P-DG du groupe Axyntis, spécialiste français de la chimie fine. «Ce débat sur la souveraineté peut nous paraître extrêmement lointain, mais en réalité il touche le cœur de nos territoires» en raison, notamment, de «l’effet démultiplicateur de la réindustrialisation», a-t-il expliqué : «un salarié dans l’industrie, c’est en moyenne 30 à 40% de plus que la moyenne des salaires constatés par l’Insee, tous secteurs confondus, c’est donc du pouvoir d’achat, et la préservation de commerces et d’activités».
Une réindustrialisation verte et compétitive
«La réindustrialisation doit être verte, sinon elle ne sera pas acceptée en France et en Europe», a souligné Laurent Giovachini. Elle devra également être compétitive : «il faudra gommer autant que possible le différentiel de compétitivité qui justifiait que l’on s’installe à Shenzhen plutôt qu’à Romorantin». Or, sur ce terrain, «c’est tout le numérique qui est à la manœuvre : l’automatisation, la robotisation, l’usine 4.0…».
L’enjeu de la souveraineté numérique s’établit, selon lui, à trois niveaux : la cybersécurité, tout d’abord, un domaine dans lequel «la France est plutôt pas mal placée» ; la protection des données, ensuite, et «là nous sommes moins bien placés face aux géants américains et chinois» et c’est pourquoi «on se doit d’être innovants et on doit réglementer, avec le RGPD, le DSA [Digital Services Act], le DMA [Digital Markets Act]», pour contenir la puissance de ces plateformes ; et enfin, l’émergence de solutions numériques souveraines, grâce à «des champions» français et européens : «peut-être pas sur le terrain des grandes plateformes BtoC, où la guerre est probablement perdue, mais dans tout un tas de secteurs BtoB où les jeux ne sont pas faits».