Journal d'un agriculteur: "quand tu te lances, tu investis autant que tu éternues"

Jérôme Caze, 37 ans, marié et père de trois enfants, achève sa sixième année à la tête d'une exploitation maraîchère et d'élevage de poulets en Lot-et-Garonne, la première passée sans...

Jérôme Caze, agriculteur de 37 ans, exploite une ferme maraîchère, un élevage de poulets et de porcs, à Meilhan-sur-Garonne, dans le Lot-et-Garonne, le 3 octobre 2024 © Thibaud MORITZ
Jérôme Caze, agriculteur de 37 ans, exploite une ferme maraîchère, un élevage de poulets et de porcs, à Meilhan-sur-Garonne, dans le Lot-et-Garonne, le 3 octobre 2024 © Thibaud MORITZ

Jérôme Caze, 37 ans, marié et père de trois enfants, achève sa sixième année à la tête d'une exploitation maraîchère et d'élevage de poulets en Lot-et-Garonne, la première passée sans les aides dédiées aux jeunes agriculteurs.

Dans un monde paysan protéiforme, les crises récurrentes et un renouvellement de génération inédit - dans les 10 ans, un exploitant sur deux aura passé l'âge de la retraite - sèment de plus en plus le doute sur l'avenir de la profession.

Une année durant, au fil des saisons, cet exploitant "non syndiqué" et "apolitique" a accepté de raconter à l'AFP son quotidien de "petit agriculteur", entre joies et peines, et les défis à relever - physiques, financiers, sociaux, familiaux, environnementaux - pour "nourrir" la population. Et pouvoir en vivre.

Lors d'une première rencontre, il a évoqué les ambitions et les difficultés des débuts.

L'installation

"Cette ferme était purement maraîchère, avec mes parents qui s'étaient spécialisés dans la tomate de conserve. Ils l'avaient reprise de mes grands-parents, eux fils de métayers, qui faisaient un peu de tout dans les années 1950 : des vaches, de la vigne, un peu de légumes, du tabac.

Mes parents sont inquiets pour l'avenir du métier, ils ne voulaient pas que je reprenne l'exploitation. Mais pour moi c'était l'héritage : on est l'aîné, avec un sentiment de responsabilité, de  continuité, et puis on sait notre apport à la société. Avec ma nourriture, j'y apporte quelque chose de concret.

J'ai une licence pro +Énergies renouvelables+ mais après plusieurs années à aider mes parents, quand ils ont eu des soucis de santé réguliers, j'ai passé mon BP (brevet professionnel) d'exploitant agricole et je me suis lancé fin 2017.

Je voulais marquer mon empreinte plutôt que marcher dans les pas de papa-maman, même s'ils s'en sortaient financièrement. J'ai voulu révolutionner. J'ai emprunté 250.000 euros pour construire deux bâtiments d'élevage de poulets Label rouge, payer le terrassement, la maçonnerie, etc. Mais aussi pour les piquets, les grillages, qui coûtent horriblement cher, afin de planter un verger pour que les poulets y gambadent à l'ombre.

Tu ajoutes 70.000 euros pour acheter des terres, celles de ma tante, pour reconstituer la ferme familiale du début, plus 20.000 euros pour les équipements : chargeur frontal, pailleuse, balayeuse...

Manque de pot : le premier bâtiment était quasi terminé quand une tempête l'a inondé. J'avais déjà commandé les poussins... Il a fallu le couper en deux pour l'adapter en urgence. Comme si on te livrait une voiture neuve en te disant qu'il faut trafiquer le moteur pour la faire rouler...

Les débuts sont toujours compliqués. Tu es seul dans ta merde, avec seulement l'aide d'un copain agriculteur, qui a aussi son emploi du temps, pour te sortir de ce genre de trucs. Et mon épouse, en disponibilité, qui m'appuie ponctuellement. 

Avec le recul, heureusement qu'on a fait les poulets. Après le Covid, uniquement avec les légumes, je me serais cassé la gueule. J'ai pu me verser un salaire dans le passé mais aujourd'hui, je suis au RSA.

J'aurais dû emprunter plus pour faire quatre bâtiments et deux fois plus de poulets, on me l'avait conseillé mais c'est un risque financier à prendre et j'ai été +petit bras+.

Depuis un an, on se lance dans l'élevage de porcs Duroc, une race inexistante dans le coin et hyper qualitative. Même si on évite le bio car le label est trop contraignant et restrictif, on suit le mot d'ordre hérité de mes parents : toujours privilégier la qualité avant les calculs. On en est fiers. On le fait avec les légumes, sans produits phytosanitaires et en lutte intégrée contre les ravageurs (technique agroécologique ayant recours à des insectes, par exemple, pour éliminer des parasites, NDLR), avec les poulets Label rouge, et maintenant le cochon. 

J'ai déjà dépensé 5.000 euros pour deux mâles reproducteurs et dix truies, on se serre la ceinture : pour la nurserie des petits, on va faire +tripote et mascagne+ (se débrouiller, expression gasconne, NDLR) : les piquets viennent des vignes arrachées par mes parents en 2007; l'abri, c'était une remorque avec des tôles vieilles de 30 ans. On réutilise tout. À l'économie. Il le faut car quand tu te lances, tu investis autant que tu éternues."

Propos recueillis par Karine ALBERTAZZI et Thomas SAINT-CRICQ

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