Jean-Marc Puissesseau : le départ d’un «géant»

A 82 ans, Jean-Marc Puissesseau va naviguer vers d'autres cieux... En effet, il quittera son poste de président de la Société portuaire des ports du Détroit le 11 août prochain, après avoir mis en place l’un des plus grands chantiers d’Europe avec le nouveau port de Boulogne-Calais, inauguré le 9 septembre 2021 après la visite de François Hollande en 2016. D’une rare longévité, il aura accompagné la Chambre de commerce et d’industrie dans sa mutation et parié, avec l’ancien président de région Daniel Percheron, sur l’union des ports de la Côte. Portrait d’un audacieux.

Jean-Marc Puissesseau quitte la présidence des ports de Calais-Boulogne, fonction qu'il occupe depuis la création de la Société d'exploitation des ports du Détroit en 2015. (© Aletheia Press / Morgan Railane)
Jean-Marc Puissesseau quitte la présidence des ports de Calais-Boulogne, fonction qu'il occupe depuis la création de la Société d'exploitation des ports du Détroit en 2015. (© Aletheia Press / Morgan Railane)

C’est probablement l’un des chefs d’entreprise qui restera dans la mémoire collective locale et même au-delà. Jean-Marc Puissesseau aura en effet marqué l’histoire économique de la région, en plein coeur de la turbulence de ces 20 dernières années.

Issu d’une vieille famille calaisienne, Jean-Marc Puissesseau est né peu après 1940. A l’école du Vauxhall, il côtoie la frange ouvrière de Calais. Chez les Puissesseau, les hommes sont ingénieurs Arts et Métiers. : «mon père, mon grand-père, mes oncles, mes cousins… Moi, je suis parti en Allemagne faire une école d’interprétariat et j’ai continué dans l’industrie». Militaire au bataillon de Joinville, il est escrimeur. De retour à Calais, il se lance dans l’importation de radiateurs : «Mon père avait des contacts avec des entreprises allemandes. C’était le marché des radiateurs au gaz. J’ai commencé à importer peu à peu. Avec l’arrivée du radiateur électrique, on s’est développé. On faisait tourner un bus anglais dans toute la France avec EDF à l’époque», raconte-t-il. Il dirige ainsi l’entreprise Tresco, spécialisée dans le chauffage depuis plus de 40 ans et distinguée parmi les dix entreprises les plus performantes de la région en 2012.

«Mais qu’est-ce que je fais là ?»

Dans les années 1980, il s’investit au CRUFC, le club de foot calaisien. Devenu son président, il traverse l’épopée calaisienne qui qui l’amène en finale de la Coupe de France en 1999. Le territoire est en effervescence et le président du club est sous les projecteurs. 

Puis, dans les années 2000, il prend un autre engagement en devenant président de la CCI de Calais : "J’étais membre associé depuis longtemps ; mon père avait été président à partir de 1970.» Au tournant du siècle, Charles Ravisse président de la CCI, décède. Pierre Bée le remplace et provoque une nouvelle élection qui doit le légitimer avec le concours des acteurs portuaires qui ont toujours eu le dernier mot à la CCI. C’est compter sans le Medef, qui vient chercher Jean-Marc Puissesseau... qui l’emporte. «Quand je m’assois dans le fauteuil du père Ravisse, je me dis : mais qu’est-ce que je fais là ?, s’amuse t-il aujourd’hui.  Et puis je m’y suis mis. J’ai nommé de nouveaux cadres. Au port d’un côté, au consulaire de l’autre. J’ai continué à faire le ménage.» Il prépare aussi un projet conséquent : «C’est Patrick Fourgeaud qui m’a conseillé. On faisait 7% de croissance par an, des navires plus grands finiraient par remplacer les anciens. J’ai alors dessiné un bassin. C’est parti de là.» 

Le projet «Calais Port 2015» va vite changer de nom. L’occasion est trop belle pour unifier les ports de la Côte d’Opale. «Le football m’avait rapproché de Daniel Percheron. J’ai proposé qu’on arrime Boulogne à Calais. Je voulais la complémentarité… et puis garder à l’œil le trafic transmanche à Boulogne.» Qu’importe : il était inespéré qu’un port riche comme Calais propose d’«inclure» un port démuni et en mauvais état comme Boulogne il y a 20 ans, dans un projet d’investissement de 863 millions d’euros…

Un élément disruptif

C’est l’époque où les ports de Calais et de Boulogne sont confiés par l’Etat à la Région, et où la grande réforme consulaire pousse aux fusions. Ainsi, les astres sont-ils parfaitement alignés pour un projet de cette ampleur. Le président du port pense même inclure Dunkerque, ce à  quoi Michel Delebarre, président de la CUD à l’époque, lui répond : «Ne me demande pas d’être pour Calais Port 2015 ; contente-toi du fait que je ne suis pas contre...» Dunkerque restera un port d’Etat. A noter que périmètre de la discussion entre Delebarre et Puissesseau concerne l’agrandissement du port de Calais et non pas l’idée d’un port unique Calais-Boulogne-Dunkerque.

En dépit de vicissitudes judiciaires avec Eurotunnel, le projet ira à son terme avec son lot de retards mais avec un résultat qui en fait l’un des équipements les plus complets d’Europe. «Il y a tout désormais au port de Calais-Boulogne : des voitures, des bus, des camions, des trains, des conteneurs…», égrène le futur ex-président, avec le sentiment du devoir accompli. A l’heure de raccrocher, cet homme haut en couleur ne laisse personne indifférent : rusé, prolixe, parfois rancunier, agile, emporté ou rude, Jean-Marc Puissesseau aura été un élément disruptif au service des territoires. Chapeau !