Japon: les horaires des chauffeurs routiers davantage encadrés, au risque de plomber le secteur
"Avant, je conduisais aussi longtemps que possible avant de faire une pause", regrette Fujio Uemura après avoir roulé toute la nuit pour transporter du poisson dans son camion: il doit désormais observer de nouvelles règles qui...
"Avant, je conduisais aussi longtemps que possible avant de faire une pause", regrette Fujio Uemura après avoir roulé toute la nuit pour transporter du poisson dans son camion: il doit désormais observer de nouvelles règles qui risquent selon des experts de pénaliser le secteur.
Ces changements de la réglementation visent à réduire le stress lié au travail mal rémunéré des camionneurs, et à rendre ce métier plus attractif pour les jeunes, dans un Japon vieillissant où 90% des marchandises sont transportées par la route.
"Les longues heures ne me dérangent pas. C'est mon travail", explique à l'AFP Fujio Uemura, 59 ans, après avoir parcouru 1.000 km entre Oita (sud) et Tokyo au volant de son camion frigorifique.
Depuis avril, les heures supplémentaires annuelles des chauffeurs routiers ont été plafonnées à 960 -- soit 80 heures par mois -- et de nouvelles règles ont été adoptées pour les pauses, changeant les habitudes de nombreux chauffeurs qui roulaient sans interruption pour être mieux payés.
Mais cette vie solitaire et les longues heures passées derrière le volant contribuent à des taux élevés de maladies cardiaques et d'accidents vasculaires cérébraux.
Malgré son importance pour la quatrième économie mondiale, le secteur routier rémunère mal: les chauffeurs travaillent généralement 20% de plus que la moyenne, mais gagnent 10% de moins, soit environ 4,5 millions de yens (27.700 euros) par an.
Près d'un sur cinq travaille au minimum 60 heures par semaine.
Offrir des rabais pour survivre
La plupart des 63.000 transporteurs routiers japonais sont de petites entreprises possédant 10 véhicules ou moins, dont beaucoup peinaient à joindre les deux bouts avant même les nouvelles règles.
Elles ont survécu en baissant leurs prix ou en offrant gratuitement le chargement et le déchargement, souvent manuel. Les chauffeurs attendent souvent pendant des heures sans frais supplémentaires pour le client.
Pour Haruhiko Hoshino, un responsable de l'association des routiers japonais, "réduire les horaires, c'est devoir refuser du travail. Cela signifie que les marchandises ne seront pas livrées".
Sans réforme significative, le Japon sera incapable de transporter jusqu'à 34% de son fret d'ici à 2030, selon une étude régulièrement citée par le gouvernement.
Celui-ci "s'attaque au sujet de toutes ses forces", a assuré le mois dernier le ministre des Transports Tetsuo Saito, le qualifiant de "problème urgent".
Les effets sont déjà visibles: au début de l'année, des aéroports ont eu du mal à se procurer suffisamment de carburant, et des fruits et légumes ont connu des retards de livraison.
Les entreprises se sont associées pour partager des camions, une mesure impensable avant les nouvelles règles, et les sociétés laitières envisagent de standardiser leurs conteneurs.
En réponse à ce qui a été désigné comme le "problème de 2024", le gouvernement appelle les entreprises à faire preuve d'indulgence vis-à-vis des transporteurs routiers et à ne pas demander de remises.
Les consommateurs devront payer
Au final, ce sont les consommateurs qui devront payer davantage, souligne Hiroaki Oshima, professeur à l'université Ryutsu Keizai.
Cela pourrait s'avérer un casse-tête pour le nouveau Premier ministre Shigeru Ishiba après les élections législatives du 27 octobre, l'impopularité de son prédécesseur Fumio Kishida étant notamment liée à la vie chère au Japon.
Pour le professeur Oshima, "c'est la société" qui doit payer, "ceux qui envoient et reçoivent des marchandises, les consommateurs".
Fujio Uemura passait autrefois ses matinées en tournées pour récupérer du poisson dans différents endroits de sa région, avant de le transporter à Tokyo, mais son employeur, Portline Service, emploie désormais d'autres chauffeurs pour cette besogne.
Katsuya Doi, le chef de l'entreprise, chiffre ce surcoût à au moins 8.000 euros par mois. "Nous sommes les victimes. Nous ne devrions pas être les seuls à devoir supporter les coûts", déclare-t-il à l'AFP.
Portline Service tente avec certains concurrents de partager les missions, de négocier des augmentations et de sensibiliser le public.
A 35 ans, le fils de Fujio Uemura a néanmoins abandonné la construction navale pour le métier de routier.
"Je lui ai dit que ce n'était pas un travail où l'on dort beaucoup", sourit son père. "On gagne davantage en travaillant dur."
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