Immobilier rural : la vague des maisons à la campagne
Les marchés fonciers ruraux ont été affectés par les mesures sanitaires, à l’exception du segment des «maisons à la campagne». Les Safer s’inquiètent toutefois de la poursuite de l’artificialisation des terres agricoles, en dépit des promesses récurrentes des pouvoirs publics.
Les gouvernements se succèdent, les lois passent, les crises prennent des formes toujours plus inattendues, mais un invariant s’enracine : la France s’urbanise de plus en plus. Le constat est établi par la Fédération nationale des Safer, qui regroupe les 19 sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), dans son bilan des marchés fonciers ruraux, publié fin mai. Même si l’Etat promet pour 2050, dans la loi Climat, une «zéro artificialisation nette», destinée à préserver les terres agricoles, «on n’y est pas», observe Loïc Jégouzo, ingénieur d’études à la Fédération.
Certes, «la consommation de terres agricoles est en baisse, et ça devrait être le cas à l’avenir. Mais 23 000 hectares ont été urbanisés en 2020, et 27 000 autres hectares ont été vendus pour l’être». Selon une formule consacrée, l’artificialisation concerne «l’équivalent de la surface agricole d’un département qui disparaît en 14 ans», précise le spécialiste.
Cette transformation touche surtout des terres situées à moins de 100 kilomètres des grandes villes : l’Ile-de-France, le Nord, la vallée de la Seine, le littoral méditerranéen ou encore la Gironde. En outre, en 2020, 24 900 hectares ont été «soustraits à leur usage agricole par des non-agriculteurs, pour l’extension d’un jardin, un usage récréatif ou une agriculture de loisirs», notent les Safer. Par ailleurs, les spécialistes relèvent que «les différentes politiques à l’œuvre depuis 2000 semblent avoir moins d’effet sur la réduction de la consommation de terres que les crises», qu’elle ait été financière en 2008, ou sanitaire en 2020-21.
Car les marchés fonciers ruraux ont été, comme d’autres, «marqués par la crise». Lors du confinement du printemps 2020, «des projets de transaction ne se sont pas conclus», tandis que les notifications n’ont repris qu’à la fin mai. Les marchés ont certes repris de la vigueur tout au long du second semestre, mais pas assez pour compenser le choc. Pour 2020, le nombre de transactions, 325 000, affiche un recul de 3% par rapport à l’année précédente. En surface (664 000 hectares), la baisse est comparable, mais en valeur (36,8 milliards d’euros), le marché enregistre une hausse de 5,5%. Les Safer émettent l’hypothèse que le marché serait «soutenu par les ventes de maisons à la campagne».
Les vignes se vendent moins
Et les différents segments connaissent des trajectoires contrastées. Les terres et prés avaient connu cinq années consécutives de hausse, qui s’achève en 2020. Les Safer estiment que la crise a «précipité les départs à la retraite», en particulier dans l’élevage, où certains agriculteurs peinent à trouver un repreneur. Parmi les acquéreurs, on relève, en effet, une baisse du nombre d’agriculteurs et une appétence nouvelle des particuliers, pour qui les terres agricoles peuvent apparaître «comme une valeur refuge», souligne Loïc Jegouzo.
Le marché des vignes a «été très durement impacté» par l’épidémie, observe le spécialiste. Le nombre de transactions (8 190) a chuté de près de 11%, ce qui le ramène au niveau d’il y a presque 30 ans. En valeur (-13%) et en surface (-20%), la chute est encore plus rude. «Tous les bassins viticoles sont concernés», précisent les Safer. Président de la FNSafer, Emmanuel Hyest rappelle «la fermeture de tous les lieux de vie, où l’on peut consommer du vin». En outre, la crise est intervenue «dans un contexte morose, consécutif au relèvement des droits de douanes américains, en octobre 2019», note Loïc Jegouzo. Ces circonstances ont atteint la trésorerie des viticulteurs, dont beaucoup ont reporté des achats de terres.
En revanche, le prix des vignes s’est maintenu, s’offrant même une légère progression. Si la baisse est marquée en Alsace, on peut constater une hausse dans la région de Bordeaux, dans le Val de Loire et en Bourgogne, «en particulier pour les appellations prestigieuses comme Pauillac, Margaux, les grands crus de Bourgogne ou le Sancerre», observe l’ingénieur. La vigne, comme la terre, devient une valeur refuge. Observons le cas particulier du champagne, le secteur géographique dont les terres sont, de loin, les plus chères. Certes, dans un contexte anxiogène, la consommation de bouteilles a reculé. Mais ce choc n’entraîne qu’une baisse modérée des prix des terres : -1,2%.
Ces déconvenues sont en partie compensées par l’engouement que connaissent les maisons à la campagne. En 2020, près de 112 000 transactions (+6,6%) ont été conclues, ce qui constitue un record. En surface (+9%) et en valeur (+12%), les hausses sont encore plus nettes. «Le marché est dopé par la recherche d’espace, l’essor du télétravail, voire le changement de résidence principale», analyse Loïs Jegouzo.
Le phénomène concerne tous les secteurs géographiques, y compris ceux qui semblaient délaissés par les citadins : «la Somme, l’Yonne, la Creuse, la Haute-Saône, la Haute-Marne», observe le spécialiste. Les acquéreurs font monter les prix, «y compris fortement dans les endroits où le niveau est faible». Pour Emmanuel Hyest, ces chiffres «montrent que de nombreux ménages souhaitent changer de lieu de vie et de façon de vivre», un «exode inversé», qui se confirmerait d’après les premiers chiffres compilés en 2021. Or, «cette évolution des comportements pourrait engendrer une modification de l’économie du monde rural», constate le président de la Fédération. Cette économie serait dès lors moins basée sur la production agricole, et davantage sur les services, entraînant donc une nouvelle vague d’urbanisation. L’artificialisation des terres agricoles n’est sans doute pas terminée.