«Il faut laisser aux collectivités les moyens d'agir et d'investir»
Trésorier de l'Association des maires du Nord depuis 2015 et élu à Cysoing depuis 2001, commune de 4 850 habitants, Benjamin Dumortier revient sur le rôle du maire et de ses équipes dans cette crise sans précédent. Au plus proche de leurs administrés, les élus se sont mobilisés pour maintenir le lien tout en soutenant l'activité économique de leurs communes.
La Gazette : On pourra dire que cette année d’élection électorale aura été inédite en bien des aspects…
Benjamin Dumortier : En effet, 2020 a été l’année du renouvellement des municipalités et de leurs conseillers, mais dans un contexte où il a fallu innover tous les jours. Comment faire pour maintenir le lien avec nos habitants, assurer notre rôle de service de proximité tout en répondant aux inquiétudes et aux craintes sur la réalité de la situation sanitaire et ses conséquences économiques ? Il faut saluer tous ces maires qui ont pris les choses à bras-le-corps en restant au service de leur population, sans forcément être déjà installés. La commune n’a jamais autant justifié son existence, son échelon et sa proximité avec les habitants. Clairement, il n’y a plus lieu d’avoir un débat sur l’avenir des communes. Elles ont leur place.
Comment avez-vous ressenti l’état d’esprit de vos habitants durant cette période ?
Nous nous sommes mobilisés pour maintenir une information locale et nous avons également tous activé le plan blanc quand le préfet nous l’a demandé. Cette crise a aussi été synonyme d’un bel élan de générosité : à Cysoing, par exemple, une personne a cousu à elle seule près de 700 masques ! Beaucoup de collectivités et de communautés de communes ont mis en place un soutien financier en faveur des commerces. C’est le cas à Cysoing où nous avons mis en place une subvention pouvant aller jusqu’à 1 500 € pour le commerce de proximité, et nous avons également permis l’octroi de terrasses aux cafés qui n’en avaient pas avant, et à ceux qui en avaient la possibilité de les étendre. Mais les effets ne sont pas encore tous mesurés et la crise est loin d’être terminée.
Alors que la crise se traduit par une diminution des recettes et par une augmentation des dépenses des collectivités territoriales, entraînant une baisse de leur capacité d’autofinancement, le plan de relance de l’Etat évoque un soutien à l’investissement des collectivités de plus de 5 milliards d’euros. Est-ce suffisant selon vous ?
Quand les mesures ont été annoncées, j’ai eu le sentiment que les collectivités n’étaient pas assez soutenues. Nous sommes en train de préparer le budget 2021, mais sur quoi allons-nous pouvoir nous engager pour investir sur des projets ? Quel sera l’accompagnement de l’Etat ? Nous voulons des précisions claires sur les niveaux d’aide et les critères précis.
Il faudra également rester vigilants sur les EPCI (établissements publics de coopération intercommunale) qui perçoivent la cotisation foncière des entreprises et qui devront faire face à une baisse importante des recettes fiscales. Il serait très mal venu, dans le contexte actuel, de baisser les dotations, même la dette a été creusée de manière importante. Il faut aussi rappeler que nous avions été beaucoup ponctionnés de 2013 à 2018 avec le plan de redressement des comptes publics : toutes les communautés de communes ont vu leurs dotations baisser pour réduire les dépenses. Avec parfois des collectivités qui avaient déjà très peu de marges de manœuvre. A cela est venue s’ajouter la suppression de la taxe d’habitation qui était un de nos leviers fiscaux. Nous avons donc perdu en capacité à agir sur les finances publiques. Il faut laisser aux collectivités les moyens d’agir et d’investir.
C’est aussi par les collectivités que passera la reprise économique ?
Il faut rappeler que nous sommes le plus gros financeur des entreprises locales via la commande publique. C’est indispensable de soutenir nos commerces et nos entreprises. Et avec la commande publique nous devons investir et permettre à nos entreprises locales de travailler. Le rebond se fera aussi dans la prise de conscience de chacun de son rôle à jouer dans cette reprise, qu’il soit consommateur, collectivité ou entreprise…
Comment l’Association des maires du Nord s’est-elle adaptée à cette période délicate ?
Puisque l’un de nos rôles principaux est de proposer de la formation aux élus, nous avons mis en place un programme de formation important, des séminaires. Le Congrès est en effet un moment de convivialité qui rassemble près de 800 personnes. Ce qui est important, c’est le partage d’expérience puisque les maires ont tous les mêmes problématiques : le financement, la sécurité, les écoles, l’ingénierie… Nous avons mis en place le logiciel Innogam pour faciliter le lien entre les maires, les inscriptions aux formations, etc. Nous allons aller plus loin dans nos outils de communication.
Vous profitez généralement du Congrès des maires du Nord pour passer un message envers les représentants de l’Etat. Malgré son annulation, quel message souhaiteriez-vous faire passer ?
Le plan de relance parle d’aides pour la rénovation énergétique des bâtiments publics et des logements sociaux, mais nous ne savons pas encore sur quels critères, ni quels montants. Je demande la simplification des procédures administratives sur la commande publique, les permis de construire… La relance peut aussi se faire par l’immobilier, mais il faut déjà s’attacher à la rénovation des logements anciens et la résorption des passoires thermiques. La transition écologique comme vecteur de reprise et de relance est, à mon avis, un bon vecteur. C’est un sujet qui s’inscrit dans la durabilité et c’est une volonté de nombreux élus de l’inscrire dans leurs politiques publiques. Quant à la mobilité douce, elle a été un des effets bénéfiques de cette crise. Il y a un enjeu de taille : renouer la confiance entre l’élu et le citoyen. C’est inquiétant de constater les baisses sensibles au niveau de la participation électorale, et il faut renouer le contrat républicain entre les élus et les citoyens avec plus de démocratie participative et des budgets participatifs, des réunions de quartier… Nous nous devons être à l’écoute et nous avons notre rôle à jouer dans l’après-crise.