«Il faut favoriser la 'ville du quart d’heure'»
Une récente étude sur l’impact du confinement sur la ville de demain a été présentée lors de l'Université d'été. Une manière d’aider la profession à se renouveler, sans tomber dans la quête utopique d’une ville idéale.
C’était trop tentant : en mars dernier, à l’annonce du confinement, quoi de mieux pour les chercheurs que de lancer une enquête pour savoir comment les Français vivaient le confinement afin d’imaginer la ville de demain. C’est ce qu’a fait Lise Bourdeau-Lepage, géographe, professeur à l’Université de Lyon 3, venue présenter ses derniers résultats à Guise. Cette enquête, «Le confinement et ses effets sur le quotidien», réalisée du 23 mars au 10 mai 2020, porte sur un échantillon de 10 976 personnes, représentatif de la population française. «Les grandes crises ont toujours façonné nos villes. Et celle de la Covid a été un catalyseur des aspirations d’une partie de la population, un révélateur des désirs et des besoins des Français dans leur espace de vie mais aussi des maux de la ville», souligne-t-elle.
Nouveau rapport à la nature
L’enquête confirme que la population vivant dans un logement avec jardin a mieux vécu le confinement. Elle montre aussi, durant le confinement, un déploiement de la proximité virtuelle (34% ont téléchargé une nouvelle appli). Mais aussi le renforcement de l’entraide (aux proches : 42% ; aux voisins : 32%), une augmentation de l’isolement (41,3% contre 9% avant le confinement), une contraction de la vie sociale, un resserrement autour de la cellule familiale, une redécouverte du voisin et des commerçants du quartier. Et demain ? Ainsi, +57% des gens ne veulent pas généraliser le télétravail pour préserver leur vie privée ; 66,8% pensent que ce confinement va changer quelque chose dans la manière de vivre. «Et le résultat qui m’a le plus étonné est le 69% des individus pour qui le confinement va modifier notre manière de prendre en compte l’environnement et de le préserver», souligne Lise Bourdeau-Lepage.
La revanche du quartier
A la suite de cette étude, notre chercheuse esquisse la ville de demain désirée : «Elle doit d’abord être sensible à l’individu, et sera donc sensible à l’environnement car on voit que les citadins souhaitent avoir un nouveau rapport à la nature.» Elle plaide également pour une ville plus ouverte, avec une forte participation des citadins dans la construction urbaine, une ville plus résiliente (désimperméabilisation des sols dans les cours de récréation, au pied des arbres ; gestion alternative des eaux de pluie, diversité des essences d’arbres qui résistent aux hautes températures, cuve de récupération des eaux de pluie), une ville frugale en consommation d’énergie et de ressources (utilisation de matériaux biosourcés, le pisé, la terre crue…), une ville verte centrée sur la santé des habitants, avec des paysages thérapeutiques et le développement des déplacement doux en positionnant le piéton au centre de l’aménagement. «Il faut favoriser la ‘ville du quart d’heure’, favorable à la rencontre et à la vie de quartier de proximité, et réconcilier les deux désirs des citadins : celui de socialisation et celui de nature.»
Retard à l’allumage
Si certaines solutions proposées semblent être déjà connues depuis longtemps, on peut s’interroger sur le retard de leur mise en oeuvre, au vu notamment des récentes crises de la citoyenneté (Gilets jaunes) et de l’urgence climatique. Pour répondre à cette question durant cette Université, certains n’ont pas mâché leurs mots. Pour Hervé Pignon, directeur de l’Ademe Hauts-de-France, l’agence de la transition écologique, «les urbanistes doivent travailler sur des visions prospectives et sortir de leurs dogmes pour innover. La ville peut se penser avec une logique d’économie circulaire». Pour d’autres, la faute revient aux politiques comme l’a évoqué Magali Reghezza, géographe, membre du Haut Conseil pour le climat : «L’adaptation au changement climatique implique des efforts et des changements structurels car il faut réduire la consommation et l’émission de gaz à effet de serre. Mais ces choix ne sont jamais mis à l’agenda politique. Or, on a les capacités techniques de choisir. Mais il faut décider, répartir les efforts en termes de coûts. Tout ça n’est pas posé sur la table. C’est dû en partie à la fragilité des systèmes démocratiques. Les politiques élus ont souvent du mal à appliquer leur programme.» Même si en cas de crise sanitaire, on a vu la capacité du politique à imposer un «shut-down» historique.
Nouvel élan du CFDU
Cette Université a permis aussi de renouveler la présidence du Conseil français des urbanistes (CFDU), organisateur de l’événement. Pascale Poupinot, directrice de l’agence d’urbanisme Oise-Les Vallées, succède ainsi à Philippe Druon. Le CFDU devrait poursuivre cette année sa mobilisation pour créer un statut d’urbaniste territorial dans la fonction publique territoriale, proposer une structure professionnelle confédérale et obtenir un code NAF (Nomenclature des activités françaises) pour la profession. Par ailleurs, le CFDU, à l’issue de ces ces trois jours, a lancé un Manifeste pour un urbanisme d’après crise, coécrit avec le groupe d’architectes Frugalité heureuse, représenté sur place par Philippe Madec : «Nous sommes ravis de cette coopération. Cette notion de frugalité est un tournant dans l’histoire de l’architecture. Le bâtiment et les transports sont à l’origine de 60% des GES. L’objectif est que les pratiques changent. Les urbanistes doivent élargir leurs propos à l’établissement humain, sa manière de s’approvisionner, le lien entre campagne et cité, et ne pas être tournés que vers la ville.» Pour rappel, les villes représentent 2% de la surface du globe et 50% de la population (deux tiers en 2050) ; elles consomment les trois quarts de l’énergie.