Éric Trappier, président de l’UIMM : «il est nécessaire que la France reste une puissance industrielle»

Porté à la présidence de l’UIMM le 15 avril 2021, Éric Trappier succède à Philippe Darmayan, qui était arrivé au terme de son mandat de trois ans. La Métallurgie lui confie la responsabilité d’engager ses entreprises dans une dynamique de rebond, après la longue année d’incertitude engendrée par la crise sanitaire. Lui-même confronté au défi d’une économie mondiale bousculée par la Covid, le patron de Dassault Aviation appelle ses troupes à l’optimisme sans relâcher les efforts pour autant.

En 2013, Éric Trappier devient le plus jeune PDG de l’histoire de Dassault Aviation.
En 2013, Éric Trappier devient le plus jeune PDG de l’histoire de Dassault Aviation.

Certes la crise sanitaire n’est pas terminée et la métallurgie rassemble une très grande diversité d’entreprises, mais globalement comment se porte-t-elle aujourd’hui ?

Elle va plutôt bien. L’activité redémarre fortement dans quasiment toutes les filières. Et même celles qui nous inquiétaient tout particulièrement, à commencer par l’automobile et l’aéronautique, semblent sur la bonne voie. La première doit cependant gérer un problème d’approvisionnement en composants électroniques, qui bride un peu la production. Elle doit aussi composer avec la transition environnementale. On ne passe pas d’un moteur thermique à un moteur électrique en un claquement de doigts et cela inquiète naturellement une partie de nos adhérents, qui sont majoritairement des sociétés investies dans le moteur thermique.

Le cas de la filière aéronautique, que vous connaissez parfaitement, est-il encore différent ?

La filière aéronautique a en effet été lourdement touchée par cette crise, avec une chute de son activité de l’ordre de 30 à 40 %. Le coup est rude, mais nous avons quelques signaux de reprise. C’est notamment le cas pour les A320 dans la famille Airbus, pour les business Jet de Dassault Aviation... J’ajoute que l’aviation militaire s’est plutôt bien portée pendant cette période. Pour toutes ces raisons, j’ai tendance à penser que nous avons laissé derrière nous la période la plus complexe.

L’horizon s’est donc dégagé ?

Oui, mais il faut rester prudent. La très forte demande qui s’exerce sur les matériaux en raison de la reprise, notamment aux États-Unis, mais aussi sur les composants électroniques, constitue un sujet de préoccupation. La question de l’emploi est un autre point sur lequel nous devons rester attentifs. C’est un paradoxe : nous manquons de bras pour travailler dans nos entreprises, alors que la France compte encore 2,5 millions de chômeurs.

Le manque d’attractivité de l’industrie vous inquiète ?

Il m’interpelle en tout cas. Nous avons un gros travail d’information à réaliser en direction des jeunes, des parents et des enseignants. Il est incompréhensible que, pour le plus grand nombre, ils pensent encore les métiers de l’industrie réservés aux élèves en échec. Ce n’est pas le cas. Il y a de formidables parcours à réaliser dans l’industrie. Et pour s’engager dans cette voie, l’apprentissage et l’alternance sont des véhicules essentiels. L’UIMM est depuis très longtemps mobilisée sur la formation. Le centre de formation que j’ai visité ce matin dans le 8e arrondissement de Lyon symbolise la démarche que nous portons pour accompagner la mutation de nos métiers. Je rappelle que plus de 90 % des jeunes qui passent par-là auront un emploi en sortant de formation ; ce n’est pas anodin.

Inflation, difficultés de recrutement, des sujets d’inquiétude pour les entreprises, auxquels s’ajoutera à un moment donné celui du remboursement des aides gouvernementales. N’est-ce pas le principal défi qui les attend ?

Il faut en effet être vigilant. Le «quoi qu’il en coûte» a été salvateur au plus fort de la crise, mais il est logique de revenir maintenant à des aides plus ciblées. Pour le moment, le remboursement des PGE a été étalé et c’est une très bonne chose. Mais plusieurs facteurs de tension vont se conjuguer à l’avenir. Les remboursements des PGE tout d’abord. Mais aussi les investissements que beaucoup d’entreprises ont engagé, notamment dans le numérique, en bénéficiant des programmes de modernisation mis en place par l’État, mais aussi en les autofinançant en partie. Enfin, la reprise qui s’exerce et qu’il va falloir financer également. Car c’est au moment où la production redémarre qu’il y a un besoin de fonds de roulement. Ceci étant dit, il faut vraiment prendre cette sortie de crise comme une opportunité et s’adosser sur cet élan pour faire rebondir l’industrie.

Justement quelles sont les clés pour favoriser ce rebond industriel ?

Nous pouvons avoir une industrie forte grâce à l’innovation. Notre tissu industriel est dense, innovant et propose des produits à forte valeur ajoutée. C’est vrai dans l’automobile, dans l’aéronautique... C’est pour cela qu’il est essentiel de conserver des aides en faveur de l’innovation dans certains secteurs. De la même manière, si nous voulons que la production suive, il faudra aussi des aides à l’investissement. Sur tous ces points, l’UIMM, en collaboration avec France Industrie et le Medef, fera des propositions. Une année électorale se profile en 2022 et les différents candidats devront se positionner sur le futur en matière de compétitivité, de fiscalité, de charges sociales, d’aides à l’investissement…

Certains parlent d’un nouveau plan de relance ; vous semble-t-il nécessaire ?

Nous sommes à la fin du «quoi qu’il en coûte», qui a généré une grosse dette, mais je crois qu’il fallait le faire pour éviter que nos entreprises perdent des compétences. En fait c’est presque un plan de sauvetage qui a été mis en place, même si le mot n’a pas été utilisé. Demain, il faudra continuer à accorder des aides, qu’elles s’appellent plan de relance ou pas, mais de manière plus ciblée. Par exemple pour prolonger la transformation numérique de nos entreprises, ou bien pour favoriser la transition énergétique, qui constitue un énorme défi, car il va falloir accompagner la décarbonation de notre industrie, qui est préconisée pour arriver à tenir les ambitions de la stratégie bas carbone française ou du green deal européen.

C’est d’ailleurs l’un des programmes majeurs du plan d’investissement d’avenir. Que vous inspire ce PIA ?

Sa mise en place a été une très bonne initiative, mais il a été construit avant la crise. Il doit donc évoluer pour faire face à la période post-crise. Il faut notamment l’améliorer et le simplifier. Trop de règles compliquées, trop de contraintes administratives empêchent les entreprises de s’en saisir. Notamment les PME. C’est un sujet central et l’UIMM jouera son rôle, pour s’assurer qu’elles sont en mesure d’accéder facilement à ces programmes, que ce soit au sein des filières ou en direct. Il doit en aller de même pour la numérisation. L’industrie 4.0 va coûter cher, mais il faut absolument s’engager dans cette voie. Enfin, quoi qu’en disent certains, il faut absolument préserver le Crédit d’Impôt Recherche.

En cas de rebond de la crise sanitaire, que certaines annoncent pour septembre, faudra-t-il en arriver à la vaccination obligatoire pour que l’économie nationale ne manque pas la reprise ?
La nouvelle vague épidémique nous inquiète en effet. Ceci étant dit, la France est en train de beaucoup vacciner et c’est une bonne nouvelle. Pour le reste, ce n’est pas à nous mais au gouvernement de décider s’il faut ou non, obliger les gens à se vacciner. Pour ma part, j’encourage fortement ceux qui ne le sont pas encore à le faire. C’est que nos entreprises pourront retrouver leurs clients et leurs sous-traitants un peu partout dans le monde.

La «relocalisation» est devenue le maître-mot du discours politique depuis quelques années ; est-ce aussi votre priorité ?

Je suis de ceux qui pensent que l’on doit aider en premier lieu ceux qui sont déjà «localisés». Ceux qui ont investi en France depuis des décennies, ceux qui croient à la production française, ceux qui sont fidèles à ce pays. Ensuite, il faut bien entendu favoriser la relocalisation de l’innovation et de la production. Mais relocaliser des secteurs dits stratégiques dans le cadre d’une politique industrielle décidée par l’État n’a de sens que si c’est durable. Et surtout, j’insiste, il ne faut pas que cela se fasse au détriment de ceux qui sont déjà en France et qui se battent tous les jours dans une compétition mondiale pour prolonger leur développement et poursuivre leurs investissements.

Pour que la France reste une grande puissance industrielle ? L’est-elle encore d’ailleurs ?

Je vais vous répondre d’une façon détournée, en affirmant qu’il est nécessaire que la France reste une puissance industrielle. Notre pays ne peut pas être simplement celui du tourisme. La France ne se conçoit pas sans industrie. De l’aéronautique à l’automobile, en passant par le nucléaire, le ferroviaire et la santé, nous avons des fleurons mondiaux. Il serait totalement absurde de croire que le déclin de l’industrie est inéluctable. Il faut absolument renverser la vapeur et pour cela l’industrie doit être une priorité nationale.


Propos recueillis par Jacques Donnay (Tout Lyon) pour Réso Hebdo Éco - www.reso-hebdo-eco.com.

En dates :

1983 : Diplôme d’ingénieur Télécom Sud Paris.

1984 : Rejoint Dassault Aviation, dont il devient le plus jeune PDG 29 ans plus tard.

2017 : Élu président du Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales (Gifas).

2021 : Élu président de l’UIMM.