Hausse des taux d’intérêt souverains : risque de crise ?

Depuis quelques semaines, les taux d’intérêt nominaux sont globalement orientés à la hausse au sein de la zone euro, et en particulier les taux souverains. Mais à bien y regarder, la situation est loin d’être défavorable…

«Le monde financier ne s’inquiète pas tant du taux d’inflation, qui, somme toute, est loin d’être alarmant, mais de l’incertitude sur la durée du phénomène.»
«Le monde financier ne s’inquiète pas tant du taux d’inflation, qui, somme toute, est loin d’être alarmant, mais de l’incertitude sur la durée du phénomène.»

«Explosion des taux d’intérêt», «inquiétante remontée des taux d’intérêt», «la fin de l’argent facile»… Voilà autant de sentences lapidaires entendues ces dernières semaines ! Il est vrai que les taux d’intérêt sur les obligations d’État - les taux souverains - ont augmenté dans presque tous les pays entre mi-juillet 2021 et mi-janvier 2022 : de 0,05 % à 0,27 % en France, de - 0,29 % à - 0,05 % en Allemagne, de 0,74 % à 1,26 % en Italie, de 1,37 % à 1,77 % aux États-Unis, etc. D’aucuns en déduisent alors que les taux d’intérêt sont désormais sur une pente ascendante, suffisamment dangereuse pour conduire à un krach obligataire, voire une nouvelle crise dans la zone euro. Mais rien n’est moins sûr…


Inflation et incertitudes

Actuellement, le monde financier ne s’inquiète pas tant du taux d’inflation, qui, somme toute, est loin d’être alarmant, mais de l’incertitude sur la durée du phénomène : s’agit-il d’un changement structurel ou juste d’un désajustement passager lié à la pandémie ? Ce débat se retrouve d’ailleurs chez les banquiers centraux, qui hésitent à changer trop vite leur fusil d’épaule, sous peine de mettre un coup de frein à la timide reprise économique. Ainsi, alors que le président de Fed aux États-Unis, Jérôme Powell, s’est engagé à ne pas laisser l’inflation s’installer durablement tout en restant évasif sur les hausses des taux directeurs et la réduction du bilan de la Fed, son homologue européen, Christine Lagarde, s’est pour l’instant abstenu d’annoncer des changements majeurs. Toutes ces incertitudes sur les caractéristiques de l’inflation, sur l’évolution des salaires et sur la réaction des Banques centrales, conduisent alors inévitablement à une hausse des taux d’intérêt.


Des conditions de financement encore favorables

Quoi qu’il en soit, si le taux d’intérêt nominal correspond au prix de l’argent emprunté, la valeur réelle des remboursements est fortement réduite par l’inflation. D’où la nécessité d’analyser l’évolution du taux d’intérêt réel, qui correspond au taux d’intérêt nominal corrigé des effets de l’inflation. Et c’est peu dire que les taux réels demeurent très souvent négatifs, suffisamment pour être favorables à l’investissement (même s’il ne dépend pas que des taux d’intérêt, tant s’en faut) et au financement des déficits publics. Gageons que les États s’en saisissent pour financer les nécessaires transitions énergétiques et écologiques. Au reste, les conditions d’emprunt du secteur privé restent, elles aussi, encore très favorables, notamment dans l’immobilier. En tout état de cause, eu égard à la faiblesse globale de la demande un peu partout dans le monde, il est fort probable que les Banques centrales chercheront à pratiquer une sous-indexation des taux d’intérêt nominaux à l’inflation, afin que la hausse de leurs taux directeurs ne conduise pas à une hausse des taux d’intérêt réels qui freinerait la demande.


Pas de crise souveraine en vue dans l’UE

Le fait que les taux d’intérêt nominaux quittent le territoire négatif est en soi une très bonne nouvelle, car comment l’économie peut-elle fonctionner lorsque le loyer de l’argent est négatif ? Si les taux devaient se maintenir durablement au-dessus de 0, les Banques centrales retrouveraient alors une marge de manœuvre avec leurs taux directeurs pour lutter contre l’inflation. Et peut-être seront-elles en mesure de réduire considérablement leurs politiques monétaires non-conventionnelles (TLTRO, Quantitative Easing…), qui ont conduit à des valorisations astronomiques sur certains marchés ! N’oublions pas que malgré toutes les mesures mises en œuvre par la BCE depuis près de dix ans, la politique monétaire a échoué sur son objectif principal d’inflation (2 %). Cette politique monétaire ultra-expansionniste aura cependant réussi à solvabiliser provisoirement les États dont l’économie est atone (Italie, Grèce…). Dès lors, le principal risque avec une hausse des taux d’intérêt nominaux est que les investisseurs commencent à douter de la capacité de certains États européens à rembourser leur dette publique, au point de les conduire à se retirer trop brutalement du marché obligataire. Cela marquerait alors le retour des défauts en cascade dans la zone euro, avec le cortège funèbre de plans d’ajustement structurels. Mais on en est loin, car les taux sont aujourd’hui encore historiquement très bas, et il est certain que la BCE mettra tout en œuvre pour éviter une telle crise. Mais que dire des valorisations boursières, soutenues par la baisse des taux d’intérêt réels négatifs et déconnectées de la santé réelle de l’économie ?