Gérardmer, une question d’équilibre...
Gérardmer, la perle des Vosges, l’image d’Épinal laisse souvent penser que cette petite ville, ou gros village, de 8 400 habitants est uniquement portée par l’activité touristique. Si le tourisme demeure un des moteurs, l’industrie textile et autres jouent à arme égale dans un climat général de transitions. Des transitions à maîtriser et anticiper pour Stessy Speissmann Mozas, maire de la commune depuis 2014.
À la fin du mois, Gérardmer accueillera la 32e édition du Festival international du film fantastique, une des manifestations phares en termes d’attractivité touristique de la ville comme la Fête des Jonquilles ou encore le Triathlon international. Le tourisme demeure-t-il aujourd’hui votre principal moteur de développement ?
C’est souvent l’image qui est
donnée à la ville qui ne serait portée que par le tourisme.
Naturellement, il représente une part importante de l’activité
économique de la ville mais pas seulement et loin de là. C’est
aujourd’hui, moitié-moitié !
Au total, nous recensons plus d’une cinquantaine
d’entreprises hors tourisme, ce qui est loin d’être anodin pour
une ville
de 8 400
habitants. Gérardmer possède un important passé industriel qui
perdure encore aujourd’hui avec des entreprises phares telles que
Garnier-Thiébaud, Blanc des Vosges, le Jacquard Français ou encore
Linvosges. Cette dernière entreprise est le plus gros employeur de
la ville. Nous avons su conserver toutes ces entreprises du secteur
textile. Elles ont connu très peu la crise car elles ont su prendre
le bon virage en se mettant sur le haut de gamme ou sur des tissus
techniques. Elles continuent à embaucher des centaines de personnes
et elles produisent localement.
Dans le rapport de présentation de l’enquête publique (menée du 18 novembre au 19 décembre derniers) de la révision du PLU (Plan local d’urbanisme), il est mentionné le fait qu’une offre foncière à vocation économique doit être fournie en adéquation avec les objectifs de création d’emplois visés à l’échéance du document d’urbanisme. Cette offre est-elle présente ?
Ce n’est pas nouveau et nous avons toujours travaillé sur ce sujet. La grosse difficulté est que le foncier se raréfie. En cœur de ville, nous avons encore des terrains contigus aux entreprises déjà installées. C’est d’ailleurs, une de nos spécificités, nos entreprises sont en cœur de ville. Le désir politique est de flécher ces terrains-là toujours à vocation industrielle pour les entreprises du tissu économique local. Linvosges va d’ailleurs dans les mois à venir entamer un projet d’extension.
© Emmanuel Varrier. Le lac de Gérardmer s’affiche comme un des moteurs de l’attractivité de la ville.
Par ce fléchage de terrains pour les entreprises locales, est-ce là l’un des moyens pour atteindre votre objectif de maintenir un équilibre entre l’activité touristique et les autres activités économiques, principalement industrielles, de la ville ?
Cet équilibre entre l’emploi industriel et les emplois de l’économie touristique est primordial. Ce sont nos deux piliers, c’est notre force. Je pense qu’aujourd’hui, nous avons atteint le virage maximal en matière de développement touristique. Depuis la crise sanitaire, nous avons rencontré une très forte hausse de la fréquentation. Cette fréquentation est de plus en plus lissée sur l’année. Les mois de juillet et août ainsi que, dans une moindre mesure, le mois de février sont toujours moteur. Notre première clientèle, ce sont les habitants du Grand Est, cela demeure de la proximité. Il faut maintenir cette économie touristique mais d’une façon raisonnée. Nous ne devons pas tomber dans le surtourisme.
Vous êtes également vice-président de l’Association nationale des maires des stations de montagne. Le tourisme, dans une ville de montagne comme Gérardmer, doit faire face à une mutation certaine, notamment le tourisme lié à la neige du fait des évolutions climatiques. Cette mutation est-elle réellement perceptible aujourd’hui ?
Elle est déjà engagée sur Gérardmer. Sur ce sujet de l’économie touristique hivernale, nous nous rendons compte depuis quelques années que cela ne touche que le mois de février. Au-delà, nous avons déjà passé cette transition grâce à une diversification et une adaptation des activités. Pour les fêtes de fin d’année, qu’il y ait de la neige ou pas, il y a du monde. Si le produit neige est présent, c’est un plus. Au mois de janvier, c’est la même chose. Il n’y a que les vacances de février qui sont fléchées 100 % sur l’activité ski. D’ailleurs, les gens ne skient plus comme avant. Sur le mois de février, le forfait le plus vendu est le forfait deux heures. Que peut-on proposer pour tirer notre épingle du jeu sur cette période spécifique ? Je vous avoue que l’on n’a toujours pas trouvé. Gérardmer est déjà une ville quatre saisons, faut-il réellement rechercher une activité spécifique sur le mois de février ou réaménager les activités déjà existantes. La question se pose.
Depuis plus de quinze ans, la ville gère en régie directe la station de la Mauselaine, comment vous positionnez-vous aujourd’hui sur cet outil dans un contexte où de nombreuses interrogations se posent sur le devenir, et l’avenir, de l’activité ski et du produit neige en général ?
Nous avons repris en régie la gestion de cette station après le départ de l’exploitant privé qui a mis la clé sous la porte après deux mauvaises saisons. Et depuis, nous n’avons de cesse d’injecter des millions d’euros pour la maintenir à flot. La transition de cette station est l’une de nos plus importantes problématiques. Retrouver un privé pour l’exploiter, nous avons essayé mais nous n’avons pas trouvé, nous nous sommes alors enlevés cette idée de la tête. Le domaine skiable actuel, de la façon qu’il est dimensionné, n’est plus équilibrable car il y a un manque crucial d’enneigement. Nos saisons sont perturbées. Au mois de janvier, nous enregistrons de forts épisodes de pluie et un redoux général. Le modèle d’il y a encore dix ans n’est plus tenable.
Dans ces conditions, quelle est la solution envisagée pour le devenir de cette station ?
Il faut entrer dans un modèle économique de décroissance progressive tout en limitant la casse. En 2050, il n’y aura plus tout simplement d’activité ski. C’est extrêmement dur pour les professionnels qui se reposent que sur ce produit neige. Aujourd’hui, ils en ont bien pris conscience et ils travaillent pour changer et se diversifier. Au niveau de notre quinzaine de permanents sur la station, la grande majorité s’est engagée dans une diversification vers d’autres activités.
© Emmanuel Varrier. À l’image de Linvosges, qui va prochainement lancer un projet d’extension, les entreprises textiles de Gérardmer ont su prendre le bon virage pour continuer leur développement.
C’est violent pour une économie de montagne ?
C’est certain mais c’est une réalité. Faire le deuil d’une station est loin d’être simple car nous y sommes tous attachés et certains y demeurent fortement accrochés d’un point de vue sentimental. Il est très difficile d’affirmer haut et fort, comme moi je le fais, que la station va peut-être fermer demain. Nous avons une communication parfois violente sur le sujet, on me le reproche souvent mais au moins je suis honnête. Les choses commencent à porter leurs fruits.
© Emmanuel Varrier. La station de ski alpin de la Mauselaine est géré, depuis 2008, en régie directe par la ville.
Comment voyez-vous votre ville dans cinq ans ?
J’espère que la population demeurera au même niveau malgré le vieillissement. La population diminue, comme partout dans le Grand Est. Il nous faut contenir cette diminution en continuant à être attractif. Gérardmer est un gros village, avec ses avantages et ses inconvénients. Le gros avantage est que tout est concentré sur l’industrie, le tourisme. Nous faisons tout pour que cela perdure. L’une de nos forces est d’avoir un tissu associatif important et qui est resté dynamique en portant nos manifestations phares. Gérardmer a ce nom et cette renommée grâce à ces manifestations. Cela devrait durer.
Immobilier : des garde-fous enfin ?
Qui dit ville de montagne à forte attractivité touristique, dit explosion des prix de l’immobilier au point qu’il devient tout simplement impossible pour les locaux de se loger ou d’envisager l’acquisition d’une résidence principale. Gérardmer n’échappe pas à la règle ! «Le foncier a explosé avec le principe de l’offre et de la demande, les locations saisonnières et le business autour fait qu’il devient difficile, notamment, pour les jeunes de s’installer», constate Stessy Speissmann Mozas, le maire de Gérardmer. Un sujet qu’il connaît bien comme vice-président de l’Association nationale des maires des stations de montagne, éditrice d’un livre blanc de l’urbanisme en stations de montagne. Les moyens d’actions ? Ils apparaissent limités face aux promoteurs immobiliers. Une récente loi du 19 novembre, «dont on attend les décrets d’application» pourrait un peu changer la donne. «Elle va permettre aux municipalités de réserver dans leurs plans locaux d’urbanisme des zones pour les résidences principales. Elles pourront également réguler les locations existantes en baissant notamment le nombre de jours de location saisonnière. C’est un moyen de tenter de réguler quelque chose qui n’est plus maîtrisable. Les maires ont enfin cet outil !»