France : la croissance de 2025 à la merci des consommateurs
Alors que la France navigue en plein brouillard politique depuis le mois de juin, que les dépenses publiques vont nécessairement reculer et que les exportations s’annoncent moins dynamiques, la croissance potentielle pour 2025 repose sur les comportements des consommateurs. Le taux d’épargne reste au plus haut.
La fête est finie. L’euphorie des Jeux olympiques et paralympiques de l’été dernier semble loin. Les ventes de billets et la diffusion télévisuelle, comptabilisés, comme le veulent les règles de la comptabilité nationale, au moment de cet événement sportif, avaient alors dopé la croissance de 0,3 point, rappelle l’Insee dans sa note de conjoncture, publiée le 17 décembre 2024. Depuis, la croissance s’est repliée et se limiterait, pour l’ensemble de l’année 2024, à un modeste 0,8%.
L’incertitude politique qui domine depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin dernier, n’aide pas. Avant même la censure du gouvernement Barnier, début décembre, le « paysage était maussade », observe Dorian Roucher, chef du département de la conjoncture, en soulignant que « le climat des affaires est sous la moyenne depuis le 9 juin ». L’Insee a d’ailleurs intitulé sa note de conjoncture « L’activité suspendue à un regain de confiance ».
Si l’on se place du strict point de vue de la croissance, les mauvaises nouvelles s’accumulent. L’année pluvieuse explique les « mauvaises récoltes » qui ont coûté 0,2 point de PIB. Les ventes automobiles stagnent, car « les gens procèdent moins souvent au renouvellement de leur véhicule ». Les consommateurs refusent-ils d’acheter des produits marqués par l’obsolescence programmée ? Sans aller jusque-là, les conjoncturistes s’interrogent sur « la perte d’appétence pour certains produits ». L’Insee s’est également penché sur le sort du e-commerce. Alors que le climat des affaires de ce secteur se plaçait systématiquement au-dessus de celui de l’ensemble de l’économie tout au long de la décennie 2010, et a culminé avec la pandémie en 2020-21, les deux courbes se sont rejointes en 2022. Autrement dit, les ventes en ligne « se sont banalisées », observe Dorian Roucher.
Néanmoins, l’économie a été tirée, en 2024, par deux facteurs inhabituels. Le commerce extérieur, dopé par les ventes de biens manufacturés, tandis que les importations qui ont enregistré une baisse de 1,3%, y auront contribué. Par ailleurs, les dépenses publiques ont été soutenues tout au long de l’année. Mais ces deux sources de croissance devraient se tarir en 2025, assurent les prévisionnistes. La Chine mène depuis deux ans une politique commerciale agressive : « les exportateurs chinois baissent fortement leurs prix pour accroître leurs volumes de vente », ce qui ne manquera pas d’atteindre le marché européen. En outre, l’Insee s’attend logiquement, sur la foi de la « loi spéciale » palliant l’absence de budget, à des restrictions budgétaires.
Ces données mitigées ont un impact sur l’emploi. La croissance atone ne parviendrait plus, en 2025, à absorber la progression de la population active, dont le volume augmente de 120 000 par an, notamment en raison de la réforme des retraites. L’Insee prévoit une légère remontée du taux de chômage d’ici la fin juin, à 7,6% de la population active, contre 7,4% fin 2024.
Miracle économique espagnol
On ne sait si c’est une consolation, mais les pays voisins connaissent des circonstances similaires. « L’activité est restée à l’arrêt en Italie et en Allemagne », souligne la note de conjoncture. Dans la zone euro, seule l’Espagne s’en tire mieux. L’Insee consacre même une analyse spécifique au « dynamisme économique espagnol depuis la crise sanitaire ». Outre-Pyrénées, la croissance depuis 2019 atteint 7,3%, contre 4,8% en moyenne dans la zone euro, et le taux de chômage continue de reculer. Ce petit miracle s’explique, selon l’Insee, par « d’importants financements européens », « une forte attractivité touristique », ou une « dynamique démographique très favorable, tirée par l’immigration de personnes qualifiées provenant d’Amérique du Sud ». De l’autre côté de l’Atlantique, l’Insee souligne par ailleurs l’« insolente santé de l’économie américaine », où la croissance se maintient au rythme de 0,7% par trimestre.
En France, par contraste, la prévision de croissance s’établit à 0,5% à la fin du premier semestre de 2025. Ce sont les consommateurs qui ont la destinée économique du pays entre leurs mains, ou plutôt dans leur portefeuille. Ils en ont les moyens : le taux d’épargne, qui se maintenait aux alentours de 15% avant la pandémie, n’est pas redescendu depuis 2021. Fin 2024, il progresse de nouveau, flirtant avec les 18%. Ainsi, en 2024, le pouvoir d’achat a augmenté de 2,1%, plus du double de la croissance. Pour le dire autrement, « il manque chaque année 60 milliards de consommation par rapport à 2019 », assène Dorian Roucher. Le conjoncturiste explique cet « attentisme des ménages » par « la composition du revenu, résultant des dividendes davantage que des salaires, et donc plus favorable à l’épargne », et surtout par « la perception de l’inflation ».
Les spécialistes de l’Insee ne cachent pas qu’ils ont été « surpris » par le décalage entre les relevés des prix dans les lieux de vente, indiquant une inflation à 1,3% en 2024, et les réponses des consommateurs, qui assurent avoir constaté récemment une hausse des prix. Les gens « ont mis du temps à se rendre compte que ça n’augmentait plus », commente Dorian Roucher.
L’argent qui renfloue les comptes d’épargne et les assurances-vie se débloquera-t-il ? Au moment où l’Insee présentait sa note de conjoncture, le nouveau Premier ministre, François Bayrou, n’avait pas présenté son gouvernement, et encore moins un budget pour 2025. Les conjoncturistes estiment que la réduction des dépenses publiques pourrait intimider les consommateurs. Mais à l’inverse, le simple fait d’avoir un gouvernement stable pourrait renforcer la confiance et inciter à la désépargne.