Financement - Investissement : le temps des inquiétudes...
Le big bang hexagonal provoqué par l’annonce de la tenue d’élections législatives à la fin du mois où les extrêmes caracolent en tête, fait souffler son vent d’incertitudes et d’inquiétudes sur l’écosystème du financement et de l’investissement des entreprises. Ces dernières étaient pourtant sur une bonne lancée au début de l’année du fait d’une certaine résilience et d’une adaptation à une situation déjà délicate. En quelques jours, tout a basculé. Quid des jours d’après de l’échéance des 30 juin et 7 juillet ?
Et maintenant ? C’est la grande question aujourd’hui qui plane sur l’univers bancaire et la sphère du financement des entreprises. «2024, il faut se l’avouer nous avons beaucoup de mal. Il n’y a pas d’investissements significatifs, et ce, malgré le fait que nous disposons de fonds pour investir. Nous observons une certaine latence dans la prise de décision d’investir.»
Constat établi par un directeur d’un fonds d’investissement régional et cela quelques jours avant l’annonce de la dissolution de l’assemblée nationale par le président de la République, Emmanuel Macron, et l’incertitude générale ambiante du fait des élections législatives de la fin du mois et de début juillet.
Déjà avant cette épisode quasi historique qui est en train de tout ébranler, l’ambiance se soldait par une certaine prudence. Quid aujourd’hui des jours d’après ? Bien malin celui qui peut le dire aujourd’hui. 2023 et le début de 2024 affichaient leurs lots de difficultés mais certains gardaient un optimisme à toute épreuve.
Projets en sommeil
«Les projets sont là, ils sommeillent. Il y a un élan de l’innovation et une vitalité des entreprises», assurait fin avril Bernard Nicaise, le directeur du réseau Est de Bpifrance à l’occasion de la présentation, fin avril, de l’activité de la banque d’investissement pour l’année écoulée.
L’an passé, Bpifrance a soutenu près de 5 900 entreprises à hauteur de 1,9 Mds € permettant de mobiliser 4,6 Mds € de financements publics et privés. Tous les départements ont été concernés par cette forte croissance de l’innovation annoncée liée au déploiement du plan France 2030. Au total, ce sont près de 243 M€ qui ont été mobilisés par la banque d’investissement l’an passé pour le seul secteur de l’innovation, soit trois fois plus qu’en 2019.
En Lorraine, la Meurthe-et-Moselle affiche les quelque 445 M€ de financements mobilisés (dont 225 M€ de soutien de Bpifrance) pour 871 entreprises soutenues. La Moselle affiche les 798 M€ (dont 338 M€ de soutien de Bpifrance) pour 1 013 entreprises soutenues. Dans les Vosges, 483 entreprises ont été soutenues avec une mobilisation de Bpifrance de 136 M€ pour un total de 281 M€ de financements mobilisés. 152 entreprises meusiennes ont été accompagnées pour un montant de soutien de Bpifrance de 49 M€ et un financement total mobilisé de 128 M€. Côté typologie d’entreprises, Bpifrance Grand Est assure que 70 % des entreprises financées sont des TPE.
Report voir annulation d’investissement
«On pense trop souvent que nous ne finançons que les grandes entreprises. Le critère principal pour déclencher un financement (ou non), c’est le projet. Si certaines entreprises sont fragiles mais qu’elles possèdent des marchés, nous apportons notre soutien.»
Même chose pour celles qui ont «besoin de réalimenter la pompe» notamment après la période de remboursement des PGE (Prêt garantis par l’État). Cette année, Bpifrance Grand Est assure continuer sur cette lignée avec quatre priorités : accélérer la transition énergétique et écologique, renforcer l’accompagnement et le financement des créateurs-repreneurs, soutenir les écosystèmes de l’innovation et contribuer à la réindustrialisation. La dynamique annoncée pourrait tout simplement être stoppée du fait du contexte actuel.
«Une grande partie des investissements annoncés lors de la dernière édition du sommet Choose France pourraient être reportés, voire même ne jamais voir le jour», analyse un observateur du secteur. Des investissements gelés, pas impossible voire même fort probable.
Dans ce climat d’incertitudes, la résilience des entreprises sera, de nouveau, mise à rude épreuve mais à un niveau jamais atteint. Dans sa dernière enquête, parue en mai dernier, la Fédération bancaire française mentionnait que «malgré un contexte marqué notamment par la guerre en Ukraine, la hausse des prix énergétiques, le chiffre d’affaires des entreprises françaises, quelle que soit leur taille, a fortement progressé en 2021 et 2022. Ces derniers mois, dans un contexte économique mondial morose, les entreprises françaises ont vu leurs carnets de commandes se réduire nettement notamment dans l’industrie et le bâtiment.»
Un état de fait établi et qui devrait s’accentuer dans les semaines et mois à venir. L’investissement, notamment des PME et des TPE commençait déjà à connaître un fléchissement au premier trimestre. Le dernier baromètre trimestriel publié par Bpifrance Le Lab et Rexecode constate que les PME et TPE vont réduire leurs dépenses d’investissement cette année.
Risque majeur de décrochage
Du côté du financement des entreprises, «malgré une conjoncture morose et une politique monétaire restrictive, le financement des entreprises reste bien assuré dans l’Hexagone», assure la Fédération bancaire française dans ces chiffres du financement des entreprises à la fin mars.
La croissance annuelle des crédits bancaires aux entreprises a accéléré dans l’Hexagone en mars avec une hausse de + 1,5 % «alors qu’elle était toujours négative en zone euro.» Les encours de crédits aux entreprises au niveau national atteignent 1,349 Mds € à la fin mars. La progression des crédits d’investissement demeure soutenue mais à un niveau légèrement inférieur à sa moyenne de long terme.
L’endettement des entreprises, majoritairement à taux fixes, et à maturité longue, est moins impacté par la hausse de taux d’intérêts qui restent en France, bien inférieurs à la moyenne de la zone euro. Au premier trimestre, l’accès des entreprises au crédit demeure élevé «dans un contexte de probable remontée des risques, du fait du ralentissement de l’activité et de la hausse des défaillances. 98 % des PME ont obtenu en totalité ou en grande partie les crédits d’investissements demandés et 85 % les crédits de trésorerie souhaités.»
Une remontée des risques qui il y a encore quelques semaines ne prenaient pas en compte le big-bang entraîné par l’annonce de la tenue de nouvelles élections législatives à la fin juin. Dans un récent communiqué, l’Afep (Association française des entreprises privées) met en avant que les résultats des futures élections législatives «vont conditionner la capacité des entreprises et leurs salariés à poursuivre leur développement, à innover et à maintenir l’emploi et le pouvoir d’achat.» Elle alerte, «sur un risque majeur du décrochage durable de l’économie française et européenne.»
Les différents scénarios élaborés par les penseurs économiques, par rapport aux programmes mis en avant par les deux partis extrêmes en course (et bien placés) sont tout simplement catastrophiques. Dans ce contexte, difficile de percevoir un retour réel d’une dynamique en termes d’investissement. À moins que...
Investissement : coup d’arrêt en vue ?
Un autre monde ! Dire que l’investissement des entreprises va pâtir des résultats des élections législatives de la fin juin n’est pas un scoop, sauf grand renversement de situation politique. A l’heure où nous écrivons ces lignes, l’inquiétude de voir arriver aux pouvoirs les extrêmes (aussi bien extrême droite, qu’extrême gauche) met en branle toute la sphère économique et financière. Un coup d’arrêt certain aux conséquences jugées plus que dommageables. Un flou total et persistant devrait s’installer et pour longtemps.