Fille de déporté, elle ressuscite le maquis et ses morts
Elle voulait "réparer une injustice": pendant trois décennies, Liliane Jérôme a mené d'intenses recherches pour sortir de l'oubli des résistants vosgiens raflés...
Elle voulait "réparer une injustice": pendant trois décennies, Liliane Jérôme a mené d'intenses recherches pour sortir de l'oubli des résistants vosgiens raflés peu avant la Libération.
Elle a réussi son pari et 80 ans après, pour la première fois, un hommage officiel leur est rendu.
Dans le séjour de sa maison de plain-pied, qui offre un formidable panorama sur les plateaux des Vosges, s'entassent les boîtes d'archives.
A l'intérieur, classés méthodiquement, des dossiers qui établissent l'identité et le parcours de ces hommes, boulangers, garde-forestier ou instituteurs, qui ont combattu l'occupant pendant la Seconde Guerre mondiale.
Entre le 16 et le 19 octobre 1944, en plein repli de la Wehrmacht, 50 d'entre eux, membres des maquis locaux de La Bourgonce, La Salle, Saint-Rémy et Saint-Benoît-la-Chipotte, ont été arrêtés par l'officier nazi Erich Wenger et son commando: 11 ont été fusillés sur place, les autres déportés vers les camps de concentration de Buchenwald, Dachau ou Mauthausen. Parmi eux, 32 n'en sont jamais revenus.
En bordure de forêt, à l'endroit de leur massacre, une stèle honore la mémoire des fusillés, enterrés à proximité. Mais s'agissant des déportés, leur histoire est restée presque ignorée pendant plus d'un demi-siècle.
Chape de plomb
"Il y a eu une chape de plomb sur cette affaire, on n'en a jamais parlé", confie Liliane Jérôme, installée à son ordinateur sur la table de sa salle à manger, d'où elle mène ses recherches. Si son père a survécu à la déportation, ce n'est pas le cas de deux de ses oncles.
"Je suis née pendant leur déportation. Chez nous, les femmes étaient toujours habillées en noir avec un chapeau à voilette, c'était la tristesse", se remémore-t-elle. "Petite, papa et grand-père m'emmenaient en pèlerinage sur les lieux du massacre, mais ouvertement, il ne m'ont jamais raconté. C'était des taiseux. Je n'osais pas poser de question, mais je voulais savoir."
Alors, à partir de 1995, quelques années après la mort de son père, Liliane se lance dans des recherches. "Tous les mercredis j'allais aux archives à Nancy ou à Strasbourg", raconte cette ancienne institutrice. "C'était des heures et des heures de travail."
Elle commence par explorer l'histoire des membres de sa famille, des Alsaciens ayant fui vers les Vosges pour éviter l'incorporation forcée dans l'armée du Reich, puis élargit aux groupes de résistants locaux du réseau "Eaux et forêts", "des héros" aux yeux de son père qu'ils avaient accueilli.
"J'ai recherché les familles, pour avoir des documents, des photos, des témoignages aussi", raconte Liliane, qui a gardé sa vitalité du haut de ses 79 ans, et consacre son temps libre à ces travaux. "J'ai retrouvé par exemple une dame qui avait 11 ans à l'époque, qui m'a raconté deux arrestations. C'est bien."
Peu à peu, elle retrace l'histoire de chacun de ces Résistants, finalement compilée dans un livre intitulé "Quatre petits maquis vosgiens anéantis et oubliés", publié ce mois-ci.
Grâce à ce travail, une cérémonie officielle est organisée le 19 octobre à Saint-Remy (Vosges) pour célébrer leur mémoire et leur engagement dans la Résistance, 80 ans jour pour jour après la rafle.
Ca m'a remué les sangs
Outre les élus et diverses personnalités, près de 200 descendants doivent y assister. Les écoles ont été associées à la préparation de l'événement.
"Pour moi c'est une mission qui se réalise. Je répare une injustice", se réjouit Liliane Jérôme. "Il y a eu des tas de livres d'histoire écrits dans le coin, ces maquis étaient passés sous silence. Ce n'est pas normal qu'on les oublie. Il faut les faire sortir de l'ombre. Il est grand temps, 80 ans après."
Pour les enfants et petits-enfants des Résistants, renouer le fil de l'histoire familiale et découvrir la trajectoire de leurs aïeux procure une intense émotion.
"Je savais très peu de choses sur mon grand-père", confie Yannick Saint-Voirin, 60 ans, petit-fils d'Emile Saint-Voirin, déporté en 1944. "J'avais essayé de mener des recherches, mais c'est compliqué, il faut savoir démêler tout ça. Et finalement, c'est Liliane Jérôme qui m'a retrouvé. Quand elle m'a appelé, ça m'a remué les sangs."
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