Transition

Faut-il inventer d'autres règles pour la rénovation énergétique du bâti ancien ?

Les procédures sur la rénovation énergétique ne sont pas adaptées aux logis construits avant 1948, soit le tiers du parc, dénonce la commission de la Culture du Sénat. Cette inadéquation aurait des conséquences négatives sur le plan environnemental, patrimonial et de l'accès au logement.

Les procédures sur la rénovation énergétique ne sont pas adaptées aux logis construits avant 1948, soit le tiers du parc, dénonce la commission de la Culture du Sénat.
Les procédures sur la rénovation énergétique ne sont pas adaptées aux logis construits avant 1948, soit le tiers du parc, dénonce la commission de la Culture du Sénat.

Gare aux effets pervers. Le 28 juin, la commission de la Culture du Sénat a publié le résultat de sa mission d'information «Patrimoine et transition écologique» qui pose constat et propositions. À l'origine de la démarche, l'inquiétude des sénateurs quant aux effets potentiellement négatifs des dispositions de la loi «Climat et résilience» (2021) sur le patrimoine bâti ancien. Pour la commission, les outils de ce texte «se révèlent inadaptés au bâti ancien et menacent sa préservation.» L'enjeu de la rénovation du bâti ancien - datant d'avant 1948 - est majeur sur le plan écologique et du logement, rappelle le rapport sénatorial. Il concerne un peu plus de 10 millions de logements, soit environ le tiers du parc immobilier, présent à la fois en milieu rural et dans les centres anciens. Pour l'essentiel, ce bâti n'est pas protégé au titre du Code du patrimoine. Toutefois, ses styles divers, selon les lieux et les époques, participent à l'identité des paysages. «La transition écologique du bâti ancien représente un défi particulier, dans la mesure où elle exige de parvenir à rénover cet habitat, sans porter atteinte à sa valeur patrimoniale», pointent les sénateurs. Autre constat, le bâti ancien est plutôt vertueux du point de vue de ses performances énergétiques : à la construction, elle est évaluée, en moyenne, à 200 kWh/m² par an, contre le double pour les logements réalisés dans les années 1960 (jusqu'au choc pétrolier de 1973). La raison : la spécificité de ces constructions (matériaux naturels, inertie thermique procurée par ses parois épaisses, ventilation naturelle...). Ces caractéristiques procurent, en outre, une longévité et une soutenabilité qui contribuent à une empreinte environnementale modérée du bâtiment ancien, par rapport à ceux des années 60. Ce qui plaide en faveur de «sa réhabilitation, et non de sa destruction au profit de constructions neuves», écrivent les sénateurs. D'autant que cette opération n'exige qu'une faible quantité de matériaux dont l’empreinte carbone est faible (pierre, bois ou, pour l’isolation, chanvre, lin…). Et elle contribue en plus à perpétuer des savoir-faire et développer de l’emploi local.

La disparition du paysage

Or, les modalités de calcul du nouveau DPE, Diagnostic de performance énergétique, «trop simplificatrices (… ) ont été élaborées en fonction du comportement du bâti moderne, sans concertation avec le ministère de la Culture», dénoncent les sénateurs. Et, conséquence, l'évaluation ne tient pas compte de paramètres qui rendent le bâti ancien performant, comme la nature des matériaux utilisés. «Ces modalités d’analyse ne permettent pas de rendre compte des performances réelles du bâti ancien et conduisent majoritairement à son classement dans la catégorie des passoires thermiques», pointe le rapport. Autre problème, à plusieurs titres, les solutions de rénovation préconisées par les textes «se révèlent très largement inappropriées au bâti ancien.» Sur le plan patrimonial, l'isolation des murs (souvent présentée comme une priorité) par l'extérieur se révèle particulièrement dommageable, par exemple sur une façade en pierre de taille. Et pour un résultat limité : les murs représentent 10 à 30 % seulement de la déperdition dans l'ancien, la toiture constituant, en général, le point faible... Pire, certaines solutions d'isolation, qui ne tiennent pas compte des caractéristiques hydriques et thermiques propres à ces bâtiments, peuvent générer des pathologies (humidité, moisissures) susceptibles de rendre leur dégradation irréversible et leur occupation impossible. Au total, «la volonté de répondre de manière rapide et massive au défi posé par l’urgence climatique» qui a généré des «dispositifs uniformes», pourrait entraîner une cascade d'effets négatifs dans le bâti ancien. Des propriétaires pourraient être conduits à vendre leurs biens à la valeur dépréciée par les résultats du DPE, ou au contraire, à engager en urgence des travaux de rénovation (éventuellement dommageables). L'impossibilité de louer des biens jugés trop énergivores pourrait engendrer un risque de vacance de ces logis, avec, à la clé, une possible aggravation de la crise du logement, une accélération de la désertification des centres anciens, où ce type de bâti est majoritaire, et une amplification de l’exode rural. À cela s'ajoute un «risque d’effacement progressif du patrimoine non protégé et de banalisation des caractéristiques architecturales propres à chaque région», expliquent les sénateurs. Cette tendance serait, bien évidemment, accompagnée de la disparition des savoir-faire traditionnels résultant d’une baisse de la demande pour ce type d’interventions.


"La transition écologique du bâti ancien représente un défi particulier, dans la mesure où elle exige de parvenir à rénover cet habitat, sans porter atteinte à sa valeur patrimoniale", affirme la mission d'information "Patrimoine et transition écologique" du Sénat.