« Face à un retard de paiement, la pire des options consiste à ne rien faire »
L'accumulation des chocs subis par l'économie depuis quatre ans engendre tensions entre les entreprises et comportements irrationnels croissants, constate la Médiation des entreprises. Cette structure qui dépend de Bercy aide les petites entreprises à trouver des solutions à l'amiable en cas de différents avec d'autres sociétés ou structures publiques. Les conditions de paiement demeurent le principal motif de saisine. Trois questions à Pierre Pelouzet, Médiateur des entreprises et Nicolas Mohr, Directeur général de la Médiation des entreprises
Quel est le bilan de la Médiation des entreprises pour 2024 ?
Les chiffres définitifs devront le confirmer, mais globalement, l'activité de la Médiation des entreprises en 2024 devrait atteindre un niveau similaire à celui de l'année précédente : autour de 2 000 à 2 500 saisines. Cela correspond aussi plus ou moins au niveau d'avant la crise du Covid durant laquelle nous avions atteint un pic inédit, avec un quasi doublement de l'activité. Les raisons pour lesquelles les entreprises s'adressent à nous sont très diverses. Toutefois, les conditions de paiement demeurent le premier et principal motif de saisine de la Médiation des entreprises. Elles concernent 40% des cas. Parmi les autres sujets, sur l’année 2024, celui concernant l'énergie représente encore près de 10% des saisines. C'est moins qu'au second semestre 2022, quand les prix avaient atteint des sommets. Néanmoins, il reste encore des entreprises qui, ayant conclu un contrat à cette époque, continuent de payer leur énergie en conséquence. Parmi les autres motifs de saisine figurent aussi des désaccords sur les termes d'un contrat, un accord verbal qui n'a pas été respecté... La Médiation des entreprises a commencé à intervenir sur le sujet des baux commerciaux durant la pandémie, lors des fermetures administratives liées aux confinements. Ce problème a disparu, mais il existe toujours des tensions entre commerçants et bailleurs.
À travers l'activité de la Médiation, quel état d'esprit percevez-vous dans le monde économique ?
Autour de la table de la Médiation, il y a des êtres humains qui, lorsqu'ils subissent des pressions, se comportent d'une manière particulière. Ce dernier semestre, nous l'avons nettement ressenti, même si le phénomène est difficilement quantifiable : l'atmosphère générale actuelle d'incertitude se répercute dans l'entreprise ; elle influence les comportements et les rend parfois irrationnels. En interne, par exemple, le directeur général d'une entreprise annonce qu'il est nécessaire de faire attention à la trésorerie. Le directeur financier répercute l'information au sous-directeur ; le financier de base décide de retarder les paiements des factures... Était-ce réellement le sens du message d’originel ? C'est en tout cas ainsi qu'il se concrétise.
Par ailleurs, nous observons une tendance extrêmement inquiétante en matière de délais de paiement. En 2024, nous pourrions atteindre 13 jours de retard, un jour de plus que les trois années précédentes. C'est d'autant plus regrettable que depuis 2008, année après année, ces retards avaient progressivement diminué pour atteindre 10 jours en 2019. La crise de 2020 a brisé cette dynamique. En fait, depuis quatre ans, le monde économique a subi une succession de chocs, la pandémie ouvrant la voie à une reprise qui a engendré une flambée des prix des matières premières à laquelle s'est ajoutée celle de l'énergie avec la guerre en Ukraine, l'inflation, les hausses des taux d'intérêts... Chocs géopolitiques et difficultés spécifiques à la France se conjuguent pour générer un niveau de difficulté inédit de l'activité économique et des comportements dictés par le stress.
Le service de la Médiation des entreprises a beau être gratuit, n'est-il pas risqué pour un chef d'entreprise de s'engager dans cette démarche avec un client mauvais payeur ?
Face à un retard de paiement, un chef d'entreprise a plusieurs possibilités. La pire des options consiste à ne rien faire. On sait ce qui se passe ensuite : il accepte un, puis deux, puis trois retards... Au final, un jour, le manque de trésorerie peut conduire l'entreprise à la catastrophe. La deuxième solution consiste à tenter la voie du dialogue avec le client. Mais en cas d'échec, les solutions restantes sont limitées, comme celle qui consiste à passer par le tribunal pour demander une injonction de paiement. Il est fort probable que le client considère cette mesure comme agressive, voire très agressive. La médiation constitue une solution plus douce, car elle consiste à aborder le différent dans une logique de continuité des relations commerciales. Lorsqu' un chef d'entreprise saisit la Médiation des entreprises, il entame un échange confidentiel avec les médiateurs sur son dossier, ce qu'il souhaite obtenir. Sur cette base, les médiateurs contactent l'autre partie pour lui proposer d'échanger. Elle accepte dans 96% des cas : il ne faut pas sous-estimer les difficultés que peut entraîner pour une entreprise un mauvais relationnel avec un fournisseur. L'objectif de la médiation consiste à renouer le dialogue entre les deux acteurs, pour trouver ensuite une solution de compromis au problème posé. Dans l'immense majorité des cas, nos médiations sont conclues en deux ou trois mois, avec un taux de réussite de 70%.