Évolution de la dette publique : une dynamique explosive
Dans ses perspectives économiques de novembre 2023 pour les deux années à venir, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) s’inquiète de la soutenabilité de la dette publique face à une croissance atone…
« Le financement de la dette devient de plus en plus coûteux et les conditions du crédit se sont durcies » ! Le secrétaire général de l’OCDE a sonné l’alarme lors de la présentation des perspectives économiques pour 2024 et 2025. Il est vrai que selon les prévisions publiées fin novembre 2023, « la dette publique est généralement plus élevée qu’avant la pandémie, et s’établit, dans de nombreux pays, en proportion du PIB, à des niveaux qui n’avaient été observés précédemment qu’en temps de guerre ».
Un tel constat conduit donc à s’interroger sur la soutenabilité de la dette publique, dans un contexte de hausse des taux d’intérêt et de stagnation de l’activité économique.
Dynamique dangereuse de la dette publique
La dynamique de la dette publique dépend principalement du solde primaire, c’est à dire hors charge de la dette, et de la différence entre le taux d’intérêt moyen implicite de la dette publique et le taux de croissance du PIB nominal. Or, c’est peu dire que tous ces facteurs sont actuellement très mal orientés : besoins de financement public en nette augmentation ; hausse des taux d’intérêt sous l’effet de l’inflation, du resserrement de la politique monétaire et de la montée des risques ; production et commerce international en berne.
Aussi, selon les projections de l’OCDE, en l’absence d’ajustements apportés à la structure des dépenses ou aux recettes de l’État au sens large, l’endettement public — mesuré comme le rapport de la dette brute des administrations publiques au PIB — continuerait sa hausse vertigineuse, à partir de niveaux souvent déjà très élevés. Qu’on en juge, sur deux cas particuliers : le taux d’endettement public passerait de 112 % du PIB, cette année, à près de 150 % en 2040 en France et de 142 % à près de 200 % en Italie ! Des hausses encore plus vertigineuses seraient à prévoir au Japon (+80 points) et aux États-Unis (+90 points).
Seule l’Allemagne semble faire mieux, avec une dette publique qui avoisinerait les 100 % du PIB en 2040, contre 66 % actuellement. Mais, c’est sans compter les nombreux fonds sectoriels créés par le gouvernement pour venir en aide aux entreprises et aux ménages, qui pèsent tout de même plusieurs dizaines de milliards d’euros et échappent, opportunément, au périmètre de la dette publique notifiée. Cet artifice comptable, qui a permis à la coalition du chancelier Scholz de contourner habilement à la fois le Bundestag et le sacro-saint frein à l’endettement (« Schwarze Null »), a du reste été récemment retoqué par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe.
Réformes structurelles et soutenabilité
Une dette publique est considérée comme soutenable tant que les administrations publiques qui se sont endettées (État, Sécurité sociale, organismes divers d’administration centrale et collectivités locales) sont en mesure d’assurer, à tout instant, le service de la dette accumulée. En l’état actuel des choses, cela suppose, entre autres, une capacité à lever de nouveaux impôts et surtout le maintien de l’accès aux marchés financiers. D’où la crainte d’une dégradation de la note souveraine d’un État par les célèbres agences de notation.
Les États cherchent, par conséquent, à stabiliser leur taux d’endettement public, afin de rassurer sur la soutenabilité de leur dette. Or, jusqu’à présent, la réduction du ratio de dette publique passait trop souvent par des incantations sur le taux de croissance, une augmentation du PIB en valeur plus rapide que le taux d’intérêt apparent sur la dette publique permettant, en effet, de faire baisser la fièvre, toutes choses égales par ailleurs.
Cependant, s’il n’était plus permis de compter sur le retour d’une croissance forte durant les deux prochaines décennies, alors les gouvernements se verraient contraints de mener des politiques budgétaires d’austérité au long cours, que le rapport de l’OCDE formule en ces termes : « la politique budgétaire doit assurer la viabilité de la dette tout en répondant aux nouvelles priorités » (vieillissement de la population, transition climatique et défense). Bref, la quadrature du cercle !
Le remède prescrit par l’OCDE, somme toute toujours le même depuis 40 ans, consiste ce faisant à mener en urgence des politiques d’ajustement structurel, dénomination probablement plus acceptable socialement de l’austérité. Elles consistent, d’une part, à « créer des cadres budgétaires à moyen terme crédibles, conjugués à des orientations claires en matière de dépenses et de fiscalité ». D’autre part, il s’agit de « réduire les contraintes sur les marchés de produits et du travail ». « Rehausser l’investissement et le taux d’activité, et renforcer le développement des compétences permettraient d’améliorer les perspectives d’évolution de la productivité et de maximiser les gains de la transformation numérique ».
Cela impliquerait donc de réduire drastiquement le budget de l’État et de détricoter davantage la Sécurité sociale, au moment où l’économie plonge dans l’incertitude et où les tensions sociales s’exacerbent. C’est la définition même d’une politique du pire (moment) !