Entreprise en difficulté : des évolutions notables dès le 1er juillet 2014

Le droit des entreprises en difficulté a été modifié par l’ordonnance n°2014-326, publiée au Journal officiel du 14 mars 2014. Ses dispositions entreront en vigueur dès le 1er juillet 2014. Explications.

Certaines dispositions du code de commerce apparaissent inadaptées aux enjeux actuels, au regard notamment de la place importante prise par les banques dans le financement des entreprises. Par ailleurs, les procédures de prévention sont encore largement méconnues malgré leur efficacité.
Aussi, le gouvernement a-t-il réformé le droit des procédures collectives à travers, notamment, deux axes d’amélioration : d’une part, le renforcement de la procédure de conciliation et, d’autre part, la volonté de favoriser l’émergence de plans de continuation ou de redressement présentés par des créanciers, alternatifs à ceux proposés par le dirigeant ou les associés. Si les modifications apportées en matière de procédures de prévention apparaissent satisfaisantes au regard de l’objectif poursuivi, force est de constater que l’ordonnance demeure trop timorée s’agissant du deuxième objectif.

Vers une plus grande efficacité des procédures de prévention. En effet, lorsque les difficultés financières rencontrées par une entreprise sont traitées suffisamment en amont d’un état de cessation des paiements, ses chances de redressement apparaissent plus élevées. Fort de ce constat, le législateur entend donc promouvoir les procédures de prévention. Ces procédures de prévention (mandat ad hoc et procédure de conciliation) s’adressent aux entreprises en difficulté qui ne sont pas encore en état de cessation des paiements (ou qui le sont depuis moins de 45 jours s’agissant de la procédure de conciliation) et qui souhaitent renégocier avec leurs principaux créanciers (fournisseurs ou banques) les modalités de remboursement des sommes dues.
Dans une procédure de prévention, le dirigeant en place n’est pas dessaisi de la gestion de l’entreprise et la procédure s’inscrit dans un cadre législatif peu contraignant, dont l’objectif est de parvenir à un accord de nature contractuelle entre l’entreprise et ses principaux créanciers. Le gouvernement a pris des mesures de nature à renforcer l’efficacité de ces procédures de prévention (en particulier la procédure de conciliation). Les plus notables sont les suivantes. – Extension de la neutralisation des clauses de déchéance du terme. Ces clauses (courantes en matière de prêt bancaire notamment) prévoyant une exigibilité anticipée des sommes en cas de nomination d’un mandataire ad hoc ou d’ouverture d’une procédure de conciliation sont désormais réputées non écrites. Ce principe existait déjà en cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire.
– Le juge ayant ouvert la procédure de conciliation aura désormais la faculté d’imposer, dans certaines conditions, des délais de paiement aux créanciers poursuivant ou ayant mis en demeure l’entreprise de payer les sommes dues. Cette mesure vise à permettre l’exécution de l’accord de conciliation intervenu entre l’entreprise en difficulté et certains de ses créanciers;
– Il est désormais prévu la possibilité pour le conciliateur, à la demande du débiteur et après avis des créanciers participants à l’accord de conciliation, d’organiser une cession partielle ou totale de l’entreprise dans l’hypothèse d’une conversion de la procédure en sauvegarde ou redressement judiciaire.
Relevons qu’une autre modification relative au privilège de conciliation (ou privilège de “new money”) a été fort opportunément abandonnée par le gouvernement alors qu’elle figurait dans le premier projet d’ordonnance. Ce privilège permet à toute personne (il s’agit généralement d’une banque), ayant consenti “un nouvel apport de trésorerie” dans le cadre de la procédure de conciliation, d’être remboursée du montant de “l’apport” avant quasiment toutes les autres créances, en cas d’ouverture d’une procédure collective postérieurement à la procédure de conciliation. Le projet d’ordonnance étendait ce privilège aux “apports de trésorerie” réalisés dans le cadre du mandat ad hoc (dont la durée est indéterminée, contrairement à la procédure de conciliation, d’une durée maximale de cinq mois) et l’étendait à l’administration fiscale et aux organismes sociaux accordant des remises de dette à l’entreprise en difficulté. Compte tenu de l’élargissement du nombre de bénéficiaires potentiels du privilège de “new money”, l’attractivité de celui-ci en aurait été affaiblie. En effet, il apparaît important que ce privilège reste réservé aux créanciers finançant effectivement le besoin en fonds de roulement à court terme de l’entreprise par un “apport de trésorerie” jusqu’à la restructuration effective de celle-ci.

Absence de rééquilibrage réel au profit des créanciers en cas d’ouverture d’une procédure collective. L’ouverture d’une procédure collective a notamment pour effet de geler le passif de l’entreprise en difficulté au jour du jugement d’ouverture de la procédure : ainsi, durant la période dite d’observation, les créances antérieures à ce jugement ne peuvent plus être payées et aucune poursuite aux fins de paiement d’une somme d’argent ne peut être engagée contre l’entreprise. Seules les créances postérieures au jugement, et utiles à l’activité de l’entreprise durant la période d’observation (qui peut durer jusqu’à 18 mois), peuvent être payées aux créanciers, ces règles ayant notamment pour objectif de laisser le temps à la société et à l’administrateur judiciaire désigné par le jugement d’ouverture de la procédure, d’étudier la possibilité d’un plan de continuation ou de redressement de l’entreprise.
Dans le cadre de l’élaboration et de l’adoption de ce plan, le droit des entreprises en difficulté est traditionnellement favorable aux associés et au dirigeant en place. Et peut sembler insuffisamment protecteur des intérêts des créanciers de l’entreprise. L’ordonnance du 14 mars 2014 contient donc certaines dispositions visant à rééquilibrer les efforts demandés aux créanciers d’une part, et aux associés, d’autre part, au travers notamment de la volonté de favoriser l’émergence de plans de redressement alternatifs.

Ainsi, l’ordonnance prévoit les dispositions suivantes :
– le jugement d’ouverture de la procédure collective d’une société rend le capital non libéré de celle-ci immédiatement exigible ;
– un membre d’un comité de créanciers aura la possibilité de proposer au tribunal de commerce un plan de continuation concurrent à celui proposé par le dirigeant de l’entreprise en sauvegarde ou redressement ;
– dans l’hypothèse où le plan prévoit une modification du capital, et qu’il apparaît que les capitaux propres sont inférieurs à la moitié du capital social, un mandataire peut être chargé de voter au lieu et place des associés s’opposant à la reconstitution des capitaux propres, permettant ainsi la poursuite d’activité en dépit du refus d’un ou plusieurs associés. Ces mesures s’inscrivent dans le sens de l’objectif poursuivi par l’ordonnance, même si d’autres auraient pu être adoptées, comme certains praticiens l’évoquaient. Ainsi, le projet d’ordonnance avait initialement prévu la possibilité de forcer les associés (et non simplement le dirigeant) contrôlant l’entreprise à céder leurs actions à des créanciers qui se seraient engagés à exécuter le plan de redressement adopté par le tribunal. Cette solution aurait permis aux créanciers sociaux de prendre le contrôle de l’entreprise et d’injecter la trésorerie nécessaire au redressement de l’entreprise, s’il apparaissait qu’aucune solution satisfaisante n’était proposée par le dirigeant ou les associés existants. Anticipant une éventuelle censure du Conseil constitutionnel en raison du caractère attentatoire au droit de propriété de cette éviction forcée, le gouvernement a finalement abandonné cette proposition.

Enfin, il est toutefois regrettable que l’ordonnance n’ait pas renforcé l’efficacité des sûretés réelles prises par les créanciers sur des actifs de l’entreprise (hypothèque, nantissement, gage), celle-ci étant largement discutable en cas d’ouverture d’une procédure collective. Bien que cette réforme contienne des dispositions intéressantes, le droit des entreprises en difficulté empêche aujourd’hui l’émergence d’un véritable marché du retournement, permettant à des structures spécialisées de proposer des solutions alternatives à des plans de cession ou de redressement. Car ces plans apparaissent souvent peu satisfaisants au regard de la nécessité de sauvegarder l’entreprise et l’emploi mais également de préserver les intérêts légitimes des créanciers.

Me Paul GRÉGOIRE, avocat au barreau de Lille – EY Société d’avocats