En Roumanie, le désarroi d'agriculteurs "au bout du rouleau"

Depuis près de deux semaines maintenant, Gheorghe Fifea campe sur son tracteur aux abords de Bucarest. Malgré la fatigue, cet agriculteur roumain ne quittera pas les lieux tant qu'il...

Des agriculteurs roumains en colère rassemblés sur une route à Afumati, à une quinzaine de km de Bucarest,  le 16 janvier 2024 © Daniel MIHAILESCU
Des agriculteurs roumains en colère rassemblés sur une route à Afumati, à une quinzaine de km de Bucarest, le 16 janvier 2024 © Daniel MIHAILESCU

Depuis près de deux semaines maintenant, Gheorghe Fifea campe sur son tracteur aux abords de Bucarest. Malgré la fatigue, cet agriculteur roumain ne quittera pas les lieux tant qu'il n'aura pas obtenu gain de cause.

Partout en Europe, la colère du secteur gronde sur fond de revendications diverses face à la flambée du prix du carburant, la concurrence des marchandises ukrainiennes et aux contraintes européennes.

La Roumanie, pays de 19 millions d'habitants voisin de l'Ukraine, est en première ligne.

"On n'en peut plus, on est au bout du rouleau", confie lundi à l'AFP le manifestant de 58 ans, qui a parcouru près de 500 kms avec quatre collègues pour venir protester en périphérie de la capitale.

Blé, tournesol, maïs, soja: son exploitation de 700 hectares, située dans le nord, non loin de la frontière ukrainienne, est directement affectée par l'afflux des céréales exportées par Kiev, à la faveur de la levée des droits de douane de l'UE en mai 2022. 

"Nous en avons ras-le-bol! Ils arrivent et les vendent à prix bradé", s'insurge Gheorghe Fifea. 

Les pertes liées à cette concurrence ont été évaluées à près de trois milliards d'euros l'an dernier, selon les chiffres avancés par l'un des syndicats agricoles.

Pendant ce temps, lui raconte mourir à petit feu, entre les crédits à rembourser, les épisodes de sécheresse et les taxes élevées, énumère-t-il, bonnet en fourrure vissé sur la tête pour se protéger du froid glacial.

'Nous restons ici'

"Agriculture en état de mort clinique": aux quatre coins de la Roumanie, de Timisoara à la ville d'Afumati où stationnent une vingtaine de véhicules, les fermiers organisent chaque jour des opérations escargot à grand coup de klaxon.

Ils sont épaulés dans leur lutte par les routiers, mécontents des exemptions fournies par Bruxelles aux compagnies de transports du pays en guerre.

"Sur la route on ne voit qu'eux, ils sont prioritaires", affirme Costica, qui n'a pas voulu donner son nom de famille. A l'inverse, peste-t-il, les chauffeurs roumains doivent patienter des heures sur le port de Constanta, devenu une plaque tournante pour le transit des grains depuis le blocus russe des ports ukrainiens de la mer Noire.  

Le chauffeur de 50 ans, cheveux grisonnants et veste jaune fluo, dort dans sa cabine, même par moins 11 degrés comme la nuit précédente. "Nous sommes habitués à vivre à la dure", témoigne-t-il. "Nous persisterons jusqu'à ce que nous obtenions des résultats concrets".

Même détermination du côté de Gheorghe Fifea: "Nous restons ici, nous n'avons rien à faire à la maison".

76 revendications

L'ambiance est bon enfant parmi les manifestants, qui improvisent parfois un pique-nique sur une remorque, partageant pain, saucisses et "zacusca", une spécialité roumaine à base de tartinade aux légumes.

Sur la liste transmise au gouvernement, figurent pas moins de 76 requêtes. Après plusieurs séances de négociation, des aides financières ont été décidées. Des systèmes de traçabilité des céréales ukrainiennes et de régulation du trafic des poids lourds à Constanta sont aussi envisagés.

Mais ces annonces n'ont pas suffi à calmer la grogne.

"On nous a promis beaucoup mais attendons que les mesures soient votées", commente, prudent, Ioan Clapau, du haut de ses 17 ans, aux côtés de son père Vasile.

Originaires de Transylvanie, ils ont dû se séparer l'an dernier de la quasi totalité de leur bétail, "faute de subventions à cause de l'incompétence de la classe politique". 

"Il ne me reste que deux vaches et sept veaux pour ma propre consommation. D'un producteur de 18 à 20.000 litres de lait par mois, je suis devenu chômeur", se lamente le père âgé de 56 ans.

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