“Recréer le lien entre agriculteurs et consommateurs”

Avec le soutien de leurs homologues belges (FaireBel existe déjà), les porteurs du projet français de coopérative commerciale “lait équitable” poursuivent leur tournée d’explications. Les agriculteurs sont à convaincre mais aussi les consommateurs…

Une partie du public d’agriculteurs dans la salle des fêtes du village. Ils ne veulent plus être de simples “producteurs”.
Une partie du public d’agriculteurs dans la salle des fêtes du village. Ils ne veulent plus être de simples “producteurs”.

 

Ces panneaux devraient être de plus en plus présents sur le bord des routes dans les prochaines semaines. Dans l’Avesnois mais aussi dans les autres régions d’élevage laitier de France.

Ces panneaux devraient être de plus en plus présents sur le bord des routes dans les prochaines semaines. Dans l’Avesnois mais aussi dans les autres régions d’élevage laitier de France.

Avec l’appui de l’expérience belge – en cours depuis deux ans, sous le nom de FaireBel –, l’Apli (Association des producteurs de lait indépendants) et aussi l’OPL (Organisation des producteurs de lait rattachée à la Coordination rurale) battent la campagne. Ils ont à expliquer leur projet de coopérative commerciale FaireFrance que ses initiateurs comptent mettre en place pour la fin de cette année. Le grand public a déjà été alerté par des panneaux annonciateurs au bord des routes et par des interviews filmées circulant sur le Net.
Ce projet, en résumé, repose sur deux grands constats. D’abord, le modèle agricole industriel et mondialisé a coupé l’agriculteur du consommateur, et il faut donc rétablir ce lien direct entre les deux extrémités de la chaîne agroalimentaire. Ensuite, la notion de commerce équitable n’est pas réservée aux relations pays du Nord/pays du Sud et doit aussi s’appliquer en France. Beaucoup d’agriculteurs ne vivent plus de leur travail (voir encadré) et l’idée consiste donc à introduire dans un système bien verrouillé une juste rémunération.
La tournée a fait une halte le 19 juin, à Wallers-en-Fagne, ce petit village en pierre bleue du Sud-Avesnois, où réside et travaille Richard Blanc, très engagé dans le projet en tant que président de la coopérative en cours de montage. Il est agriculteuréleveur lui-même, installé en GAEC. Soulignons que l’Avesnois, terre de bocage et d’élevage, est particulièrement concerné par ce projet. Le responsable départemental de l’Apli, Carol Bulcke, y habite également.

10 centimes par litre en plus. Un des initiateurs du projet belge, Philippe Massoz, précieux soutien commercial au projet français, a dit : “A 60 centimes le litre de lait vendu en grande surface, acheté peut-être 20 centimes à l’agriculteur, les fermes devraient toutes être en faillite.” Et si elles ne le sont pas, c’est qu’il y a les primes européennes. Il ajoute que si les fermes devaient disparaître, il ne resterait plus que des “mégastructures” qui pourraient vendre le litre lait à 1,50 euro si l’envie leur en prenait. Et là, constate-til, quand le consommateur comprendra, il sera trop tard. A l’écouter, le lait sera équitable s’il est vendu dans les grandes surfaces à un “prix recommandé” de 0,90 euro dont 0,10 euro allant à la nouvelle coopérative. A ce prix, estime-til, le lait sera équitable pour tous les acteurs de la filière.

Convaincre les agriculteurs. Premier enjeu de la tournée d’explications : faire en sorte que les agriculteurs-éleveurs comprennent le principe de cette coopérative commerciale (qui ne collecte pas de lait, a-t-il été répété, car le malentendu existe) et aussi l’engagement qui leur est demandé. L’habileté du projet est sans doute de ne pas attaquer de front la filière agroalimentaire de collecte, de transformation et de vente, telle qu’elle existe, mais de vouloir, en utilisant les mécanismes disponibles, y introduire l’équité souhaitée. Ainsi que la solidarité entre les agriculteurs adhérents.
La coopérative fonctionnerait, a rappelé Richard Blanc, selon un système de parts, d’ailleurs déjà en vente (chaque coopérateur peut acheter entre 10 et 40 parts à 100 euros chacune) et de dividendes calculés à partir de la quantité de lait équitable vendue. Il faudrait, dit-il, un millier de coopérateurs en France pour bien démarrer. “En Belgique, où ils sont 500 agriculteurs engagés, la rémunération des parts, pour 100 euros investis, est déjà passée de 23 euros la première année à 36 euros la seconde. En trois ans, les agriculteurs belges devraient avoir récupérer leur mise.
Richard Blanc a expliqué la place et le rôle de FaireFrance dans la filière : démarchage des centrales d’achat qui fournissent les supermarchés afin d’élaborer avec elles un cahier des charges ; négociations ensuite avec un industriel qui fournira le lait ; stockage du lait, mise en briques avec la nouvelle marque, logistique, contrôlés par la coopérative mais sous-traités. Le lait demi-écrémé, le plus vendu, serait le premier visé, mais d’autres produits laitiers (lait chocolaté, crème glacée…) suivraient, comme en Belgique. Richard Blanc a bien rappelé au passage que la coopérative s’adressait en outre à tous les agriculteurs et toutes les productions agricoles.

Richard Blanc, agriculteur à Wallers-en-Fagne, est très engagé dans ce projet. Il a présenté ce qui avait été fait en Belgique.

Richard Blanc, agriculteur à Wallers-en-Fagne, est très engagé dans ce projet. Il a présenté ce qui avait été fait en Belgique.

Que l’agriculteur redevienne un vendeur. Il a martelé les idées portées par le projet. “Nous ne voulons pas être des producteurs, isolés les uns des autres et coupés des consommateurs, on veut être des agriculteurs…” La coopérative demandera donc à ceux qui ont acheté des parts de donner une partie de leur temps en participant à la promotion du lait équitable dans les grandes surfaces. L’endroit peut surprendre mais il repose sur le constat très pragmatique que c’est là où vont les consommateurs. “Faire la promotion, ajoute Richard Blanc, c’est tout simplement expliquer que les 0,10 euro demandés en plus représentent une part de la juste rémunération du travail de l’agriculteur. Cette démarche va redonner du sens à notre travail et mettre le consommateur devant les réalités.
Pour lui, le consommateur est le seul, aujourd’hui, en mesure d’écouter et de comprendre les agriculteurs. D’où l’intérêt d’un lien direct à rétablir. Il note que ça ne coûtera rien au supermarché qui pourra, en outre, en retirer un bénéfice pour son image et ses affaires.

Une partie du public d’agriculteurs dans la salle des fêtes du village. Ils ne veulent plus être de simples “producteurs”.

Une partie du public d’agriculteurs dans la salle des fêtes du village. Ils ne veulent plus être de simples “producteurs”.

Un président confiant. Richard Blanc est confiant dans ce projet. Il s’appuie sur plusieurs faits : les bons échos venus de Belgique où l’initiative, avec des exemples de succès populaires, a séduit des enseignes ; deux banques françaises ont pris contact avec la future coopérative française ; ou encore ce constat que les agriculteurs et leurs animaux ont rarement du mal à séduire l’opinion publique. Autre encouragement pour lui : une voix, à la Commission de Bruxelles, dont il espère qu’elle est sincère, encourage maintenant les agriculteurs à se regrouper, à être moins dépendants et à partir à la rencontre des consommateurs.
Sur le site internet de l’Apli, on trouve explications et interviews filmées sur ce projet. En outre, la tournée en cours diffuse les documents financiers, techniques et commerciaux liés à la coopérative FaireFrance en devenir.