“La sobriété comme choix délibéré”
Pierre Rabhi est le précurseur de l’agro-écologie, philosophe et apôtre de la sobriété. Installé en Ardèche après un retour à la terre en 1961, il est l’auteur de nombreux ouvrages sur les questions environnementales. Il répond aux questions de La Gazette en toute franchise et prêche la décroissance.
La Gazette. A Grande-Synthe, le 27 septembre prochain, vous allez tenir une conférence intitulée “La biodiversité ou la symphonie de la vie”. Derrière ce titre poétique, quelles idées allez-vous défendre ?
Pierre Rabhi. La vie est une symphonie, tous les éléments de la biodiversité interviennent dans ce que j’appelle une symphonie. La biodiversité n’est pas chaotique. Il y a un ordre établi. Songez que l’arrivée de l’homme dans l’histoire terrestre correspond aux deux ou trois dernières minutes d’une journée de 24 heures. A priori, la vie n’est pas humaine. L’homme est une espèce dont l’impact est négatif sur la planète. Toutes les grandes civilisations ont reposé sur la destruction des ressources. Aujourd’hui encore nous détruisons. Mais la planète ne nous veut que du bien alors que nous ne la voyons que comme un vulgaire gisement de ressources.
Vous êtes connu pour être un militant actif de la cause écologique. Etes-vous partisan de la décroissance ?
Oui, je suis militant. On m’a poussé à intervenir dans la campagne présidentielle de 2002, le temps du débat national où nous avons été quelques-uns à soutenir des propositions comme la décroissance salutaire, l’équilibre homme/femme… Je ne vois pas comment soutenir une croissance illimitée sur une planète limitée. Le politique ne fait que de l’acharnement thérapeutique. Il y a des déséquilibres considérables entre très riches et misérables. Pour mettre en oeuvre la décroissance, il faut de la sobriété, de la modération comme un choix délibéré. Cette modération est libératrice, elle est la condition de la satisfaction, du bonheur d’être. Je ne préconise pas forcément le retour à la terre pour tous. Je dis qu’il faut se libérer de la matière.
Pour quelle raison ? Nous avons besoin de la matière : elle est une condition de notre existence…
Il faut ramener le curseur à un niveau raisonnable. Nos besoins fondamentaux sont alimentaires, ils relèvent du logement, de l’habillement. Ce sont les incontournables. Nous avons aussi besoin de nourrir notre pensée. Il nous faut une limite à l’avoir pour mieux être. Aujourd’hui, nous vivons une époque où l’arrogance de maîtriser notre destin en dehors de la nature est terminée. Voyez l’absurdité du système : en Europe occidentale, on en arrive à soigner des gens qui sont trop nourris alors qu’ailleurs c’est l’inverse ! La sobriété n’est pas un caprice, c’est une nécessité pour la survie.
Devons-nous tous retourner à l’âge du bronze alors que nous sommes au stade de la mondialisation des échanges ?
La culture de la terre est un acte politique aujourd’hui. La grande distribution confisque. Même en Ardèche, il ne reste que des friches autour de nous. Pensez donc que des camions de nourriture encombrent les autoroutes alors que nous pouvons produire et consommer sur place… Qu’est-ce que la mondialisation aujourd’hui ?, Qu’est-ce que je t’achète et qu’est-ce que je te vends ? Certains sont en train de confisquer les semences, d’autres de détruire les sols. Je prône le retour à l’autonomie suffisante. De toute manière, au final, la nature nous imposera ses limites…
La technologie répond-elle de manière satisfaisante à tous ces défis ?
Il faut faire attention à cela. On voudrait justifier les OGM avec cet argument. Certains introduisent des semences artificielles qui ne se régénèrent pas. Nous produisons de manière nocive quand on ne fait confiance qu’à la technologie.
Vous avez développé le concept d’“oasis en tout lieu”. Pouvez-vous le préciser car l’oasis ferait penser à une communauté isolée, fermée…
L’oasis n’est pas fermée dans mon esprit. Le modèle actuel arrive à ses limites. Quid de l’avenir ? Des villes surpeuplées générant toujours plus d’exclusion ? Je crois qu’il faut passer à la phase de reconstitution, en s’appuyant sur la modération, des communautés humaines solidaires. Au hameau du Buis, une vingtaine de maisons ont été construites : de l’habitat, une école, du maraîchage… C’est un lieu où le recours à l’argent devient marginal et où les échanges de savoir-faire et de bonnes pratiques fonctionnent très bien.
Quel message avez-vous à délivrer aux chefs d’entreprise ?
On m’a gentiment remis un prix il y a quelques années, que j’ai reçu des mains de Franck Riboud, PDG de Danone. Je ne suis pas dupe mais je pense qu’individuellement, ce grand patron est avant tout un homme qui peut être touché par ce que je dis. J’espère le revoir et aller plus loin dans la discussion. A cette occasion, j’ai rencontré des entrepreneurs qui m’ont dit : mon entreprise va bien mais moi pas. Vous comprenez bien que le fait de posséder ne les rend pas heureux. D’où le retour à l’être : la richesse, c’est le bonheur d’être.