“Il faut continuer à réformer”

Le président de la CGPME se veut résolument offensif mais aussi force de proposition. Et salue la volonté réformatrice du gouvernement.

François Asselin.
François Asselin.
François Asselin.

François Asselin.

Quelle est la conjoncture pour les PME-TPE ?
François Asselin. La conjoncture est globalement différente pour ce que j’appellerai la France de l’intérieur et celle de l’extérieur. Pour les entreprises tournées vers l’export ou sous-traitantes pour des entreprises internationalisées, l’activité est plutôt satisfaisante. En revanche, pour celles qui ont des marchés franco-français, c’est toujours assez compliqué tant en volume d’activité que de marges, et donc de capacité à gagner de l’argent. Néanmoins le contexte actuel est assez positif avec un “bon alignement de planètes”, puisque l’on a en même temps des taux d’intérêt historiquement bas, une parité euro/dollar favorable et des prix de l’énergie et des matières premières très bas. Autant de facteurs qui devraient faciliter le redémarrage de l’économie. Et, effectivement, on sent un léger frémissement en ce moment, avec un peu plus d’optimisme dans les entreprises que ces six derniers mois.

L’emploi marchand a d’ailleurs très légèrement augmenté ces derniers mois…
Voilà un indicateur intéressant. Effectivement, il est en très légère hausse, mais, malheureusement, il faut bien constater qu’avec un peu moins de 16 millions d’emplois marchands aujourd’hui, nous sommes peu ou prou au même niveau qu’en 2004. Cela signifie qu’en onze ans, notre pays n’a pas créé d’emplois. C’est un chiffre très préoccupant d’autant que nous sommes un des plus mauvais élèves de l’OCDE en la matière. Donc, notre pays s’appauvrit pendant que d’autres s’enrichissent. Un phénomène largement lié au déséquilibre qui existe toujours entre la sphère de la dépense publique, qui représente plus de 57% de notre PIB, et celle du secteur marchand. Nous devons vraiment nous attaquer à ce problème de fond pour nous en sortir et j’espère que le gouvernement osera le faire avant les présidentielles. Ce sont 1,6 million de PME et TPE du secteur marchand qui peuvent créer de la richesse et nourrir le pays.

S’attaquer au problème, ce n’est pas ce que le gouvernement essaie de faire ?
Il y a effectivement depuis quelques mois une volonté de réforme de la part de ce gouvernement qu’il convient de saluer. CICE, pacte de responsabilité et de compétitivité, rapport Combrexelle sur la réforme du Code du travail sont autant d’initiatives bienvenues. Il faut attendre, bien sûr, ce qui sortira concrètement et réellement de toutes ces annonces. Mais c’est un bon début. Une partie de la majorité et le gouvernement donnent le sentiment d’avoir ouvert les yeux sur les réalités que les entreprises et les entrepreneurs vivent au quotidien. Après, il faut que les actes suivent et que les déclarations d’intention ne soient pas remises en cause. Par exemple en juin dernier nous avons applaudi à l’annonce de la limitation des indemnités aux prud’hommes, car des montants trop élevés peuvent mettre en danger l’existence même d’une entreprise. Mais quelques semaines plus tard, le Conseil constitutionnel a retoqué cette proposition.

Vous parliez du rapport Combrexelle. Quels points positifs en retenez-vous par exemple ?
Deux choses excellentes. Le principe de subsidiarité tout d’abord, qui propose qu’on permette aux acteurs du terrain, donc aux entreprises, de prendre les décisions qui les concernent par le biais de négociations collectives. Second principe également très important, celui de suppléance qui permettrait de signer ces accords collectifs au niveau des branches professionnelles, lorsque les entreprises sont trop petites pour pouvoir signer de tels accords. En passant par les branches professionnelles, on évitera aussi que ce soit “la jungle” entre les entreprises en mettant un bornage. À la CGPME nous aimerions aussi que les entreprises qui n’ont pas de syndicat puissent également consulter directement leurs salariés par le biais de référendum.

Certains sujets restent tout de même tabous comme le Smic ou les 35 heures…
Sur le Smic, c’est difficile, c’est un sujet qu’on ne peut pas isoler de celui de la couverture sociale des salariés. Quand on a une couverture sociale proche du Smic quand on ne travaille pas, cela n’encourage pas les gens à accéder à l’emploi. Mais, d’un autre côté, ne pas parvenir à proposer un salaire minimum décent, c’est un échec collectif majeur. Il faut reconnaître qu’il y a des endroits en France comme Paris où vivre avec le Smic est très difficile. Ce n’est pas pour autant que le coût du travail n’est pas un vrai sujet, mais c’est une question très complexe.

Et les 35 heures ?
La question, c’est moins celle du temps de travail que celle du déclenchement des heures supplémentaires. En France, on peut travailler plus de 35 heures. Et les Français sont des bosseurs qui refusent rarement de travailler plus quand il y a du boulot supplémentaire dans leur entreprise. Mais le problème concerne le seuil à partir duquel on déclenche ces fameuses heures majorées qui coûtent très cher. Sur cette question, le débat est aujourd’hui plus ouvert et plus facile.

L’essentiel aujourd’hui, c’est quoi pour un chef d’entreprise ?
Rendre l’embauche moins anxiogène. Beaucoup de petits patrons ne veulent plus recruter parce qu’ils ont peur des conflits prud’homaux par exemple. Il faut absolument continuer à réformer et accepter un peu moins de sécurité pour déverrouiller le marché de l’emploi et le faire repartir. Il y a eu d’ailleurs de bonnes mesures annoncées, comme la possibilité de renouveler un CDD deux fois au lieu d’une. Une proposition d’ailleurs largement saluée par 78% des jeunes de 18 à 35 ans. Alors, bien sûr, on peut légitimement craindre les abus possibles avec des recours trop systématiques à ces contrats. Mais l’important, c’est d’abord de créer des conditions favorables.

Et les entreprises embaucheront ?  
À condition d’avoir en face un niveau d’activité et un carnet de commandes satisfaisant. Mais vous savez, embaucher un salarié, c’est pour un chef d’entreprise l’acte le plus valorisant. Surtout dans une PME-TPE où le patron incarne littéralement la société qui est d’abord son lieu de vie. Ce qui caractérise le plus ces entreprises, c’est justement la proximité entre patron et salariés. Et c’est pour cette raison aussi que licencier quelqu’un y est bien plus difficile humainement que dans un grand groupe. Parce que ce salarié dont vous devez vous séparer, vous allez le retrouver la semaine suivante en ville, à l’école, au supermarché… C’est une très grosse charge émotionnelle. Et pourtant, parfois il n’y a pas d’autre solution possible pour l’entreprise.

Vous avez pris vos fonctions de président en janvier dernier. Comment avez-vous vécu cette année ?
D’abord je suis très heureux dans mon mandat. Tout n’est pas facile et il y a des dossiers très complexes à traiter. Mais je reste persuadé que l’action de la CGPME est utile aux PME-TPE de France. Je suis heureux d’être le leader d’un syndicat qui veut être non seulement une force d’opposition reconnue, mais aussi et surtout une force de proposition. Nous faisons valoir nos arguments et critiques bien sûr, mais nous apportons aussi des propositions et des idées. Sur la pénibilité, le RSI et tous les autres dossiers, nous ne nous contentons pas de protester. Et je salue aussi la volonté réformatrice du gouvernement, même s’il faut aller encore plus loin et continuer à réformer.

Le dialogue fonctionne mieux ?
Peut-être que les lignes sont en train de bouger dans ce pays. On peut discuter et ne pas être d’accord, mais avancer ensemble. Je crois que nous sommes effectivement dans une période difficile où les principes de réalité sont en train de nous exploser à la figure et où nous n’avons plus, collectivement, d’excuse pour ne pas avancer. Nous connaissons tous les sujets à traiter, nous savons où les caisses sont vides et où sont les efforts à faire. Notre responsabilité commune est d’avancer avec courage. D’ailleurs, vous savez, les Français en ont assez des discours puérils et je crois que beaucoup d’entre eux sont prêts à regarder les choses autrement et à remettre en question certains avantages acquis. Parce que nous n’avons plus le choix.

Repères
CGPME
– Plus de 600 000 entreprises
– 200 branches professionnelles et syndicats de métiers dans l’industrie, les services, le commerce, l’artisanat
– 125 unions territoriales, régionales, départementales, ultramarines
François Asselin
– 50 ans – Président d’Asselin SAS (140 salariés
– 14,5 M € de CA 2014
– Thouars, Deux-Sèvres). Cette entreprise de menuiserie et ébénisterie d’art, spécialisée dans la rénovation de bâtiments historiques, a notamment travaillé sur la reconstitution du voilier L’Hermione, mais également au château de Versailles, au Palais Garnier, à la Villa Médicis…

Propos recueillis par Sophie GUILLAUD