Desseilles Lacesà nouveau dans la tourmente

Desseilles Laces vit un moment charnière dans son histoire. En 30 ans, la PME est passée par six directions différentes : grand groupe, fonds de participation, investisseurs lettons, et enfin cadres issus de l’entreprise. Depuis la reprise consécutive à sa liquidation judiciaire, Desseilles va mieux mais doit faire face à un litige avec des délégués syndicaux tullistes.

De gauche à droite : Sandy Bomble, Eric Delavier et M. Dernis, délégués du personnel et tullistes chez Desseilles Laces.
De gauche à droite : Sandy Bomble, Eric Delavier et M. Dernis, délégués du personnel et tullistes chez Desseilles Laces.

 

De gauche à droite : Sandy Bomble, Eric Delavier et M. Dernis, délégués du personnel et tullistes chez Desseilles Laces.

De gauche à droite : Sandy Bomble, Eric Delavier et M. Dernis, délégués du personnel et tullistes chez Desseilles Laces.

C’est le monde à l’envers d’après le dirigeant de Desseilles Laces. Et Jean-Louis Dussart n’y va pas avec le dos de la cuillère : “On risque de couler à cause de ça.” En cause six salariés non repris, qui étaient des salariés protégés. La plupart d’entre eux sont tullistes et enchaînent les procédures pour être embauchés bien que Desseilles fabrics soit en cours de liquidation judiciaire. Deux droits s’affrontent : celui des affaires et celui du social.
Ces licenciements avaient été réalisés avant qu’un recours ne vienne réintégrer les six personnes dans les effectifs de la nouvelle société. A l’origine, la reprise était calibrée pour 73 salariés. Au centre des problèmes, l’équipe des tullistes : dix personnes dont six qui ne feraient pas partie de la nouvelle aventure de Desseilles. En juillet 2011, il leur est proposé des nouveaux postes, moins rémunérés, qu’ils refusent. Quelques semaines plus tard, l’inspection du travail refuse leur licenciement et les réintègre à leur poste… et à leurs anciens salaires (aux alentours de 3 600 euros bruts). Or, la direction de Desseilles parvient depuis septembre à travailler sans tulliste : “Le Leavers n’est pas rentable avec des tullistes, aux conditions salariales très favorables. On ne peut plus travailler comme ça”, justifie Jean-Louis Dussart. “La reprise était calibrée avec des passeurs de chaîne pour l’atelier Leavers. Si les délégués tullistes ne veulent pas changer de conditions, je suis prêt à leur vendre dix métiers Leavers pour qu’ils s’installent à leur compte”, assume-t-il sans que les intéressés répondent à la proposition… Sur la reprise, les délégués syndicaux reconnaissent qu’il s’agit d’“une bonne nouvelle pour les emplois” selon Sandy Bomble, délégué CFDT qui mène le combat contre la direction. Reste un regret : “Ne pas avoir fait nous-mêmes une offre de reprise.

Des tares variables… Le métier de tulliste semble avoir été remisé chez les dentelliers de Calais et de Caudry. Ce n’est évidemment pas l’avis des tullistes récalcitrants. “Heureusement qu’on est là”, lâche Sandy Bomble. Bruno Delavier, délégué CGT, le reconnaît pourtant : “Les passeurs de chaîne s’en tirent très bien. On ne peut pas dire qu’ils ne savent pas travailler.” Des estimations donnent en effet à réfléchir : les syndicalistes tullistes produisent deux, voire trois fois moins que les intérimaires et les passeurs de chaîne comme le montre un tableau affiché dans l’usine. Un des griefs des délégués réside dans la qualité : “on est arrivé à 15% de tare. On n’a jamais connu ça : d’habitude, c’est 3 à 5% de marchandise inutilisable”, assure Sandy Bomble. Sauf que les chiffres de l’entreprise démentent ceux du syndicaliste : “7,91% en janvier, 6,96% en février en écru. Ces chiffres sont présentés en comité d’entreprise”, commente sobrement Jean-Louis Dussart. Même au sortir de la teinturerie, le taux de tare ne dépasse pas 11%. “On veut nous licencier, c’est normal si on se défend. On leur coûte trop cher, c’est la seule raison”, rétorquent les tullistes. “Dans le plan de reprise, accepté par le tribunal, nous devions être 73. Avec la réintégration des 6, Desseilles a 350 000 euros de charges supplémentaires par an. La masse salariale passe de 41% à 70%. Nous avons dû licencier nos CDD (qui touchent un Smic et un euro par rack de dentelle produit) alors qu’ils travaillaient plus que les délégués du personnel”, se défend le dirigeant.

Délégations et production. Jean-Louis Dussart dénonce aussi le nombre d’heures de délégation syndicale des délégués : “1 200 heures en 2011 pour Sandy Bomble ; 60 heures par mois depuis le début de l’année. Les délégués ont le droit de prendre des heures de délégation de manière illimitées nous dit l’inspecteur du travail. Comment alors travailler ?” “Si M. Dussart n’avait pas fait un recours contre notre réintégration, nous ne serions pas à nous défendre”, riposte Sandy Bomble. Un avis que ne partage pas Catherine Elmerich, également déléguée du personnel, qui, écoeurée par ces pratiques, a démissionné de la CFDT : “Quand la quasitotalité des salariés du service finition ont été licenciés, nous sommes allés voir les délégués syndicaux. Ils nous ont répondu que cela ne les concernait pas car ce n’était pas l’atelier Leavers. Ces gens-là ne pensent qu’à eux.” La direction de Desseilles attend le résultat du recours qu’elle a formulé auprès du ministre du Travail le 9 avril prochain. En attendant, l’avenir de l’entreprise semble plombé.

Pour information : M. Top, inspecteur du travail à Calais, n’a pas souhaité répondre à nos questions et nous a orientés vers son directeur départemental que nous ne sommes pas parvenus à joindre.